EN IMAGES : Dans la banlieue de Tunis, les combats de béliers se poursuivent malgré les appels en faveur de leur interdiction
L’odeur caractéristique du bétail flotte dans les ruelles de la ville tunisienne de Mohammedia, à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest de la capitale. Dans les entrepôts de la ville parsemée de bâtiments inachevés et de rues sans nom, des béliers sont élevés pour la reproduction et les combats, un sport populaire dans certaines banlieues du pays. Les combats se déroulent le plus souvent avant la fête musulmane de l’Aïd al-Adha, qui est généralement marquée par le sacrifice d’un animal, qui peut être un bélier, bien que les combats d’animaux ne soient pas tolérés par l’islam. (Photos : MEE/Jacopo Lentini)
Mongy Labidi élève et entraîne des béliers depuis l’âge de 17 ans. Il montre fièrement la photo d’un des « champions » qu’il a possédés. « J’en ai eu trois, mais c’était le meilleur », confie-t-il. La première chose qu’il a faite à son retour en Tunisie en 2008, après avoir passé plusieurs années en prison pour trafic de stupéfiants en Italie, a été d’acheter un bélier.
« Je me sens bien quand je passe du temps avec ces bêtes ; cela m’aide à garder mon esprit occupé et je suis vraiment électrique quand je vais sur l’arène. Mes frères disaient que j’étais fou. »
En Tunisie, les béliers de combat ne sont pas tués, sauf s’ils perdent un combat. Leurs propriétaires peuvent dépenser jusqu’au salaire mensuel minimum tunisien d’environ 420 dinars (environ 128 euros) pour les nourrir. Selon Mongy Labidi, de nombreux jeunes tunisiens sont passionnés par l’élevage de béliers parce qu’il ne se passe pas grand-chose d’autre dans le pays : « Ils n’ont rien à faire, [alors] ils achètent des bières et vont voir les combats. »
Les béliers sont généralement entraînés à l’extérieur, parfois plusieurs fois par jour avant un combat. Les propriétaires incitent les béliers, toujours attachés, à leur donner des coups de tête, ce qui les énerve encore plus.
Pour certains, comme Sophiene Aloui, avoir un bélier est un passe-temps occasionnel dans lequel il peut investir, maintenant qu’il en a les moyens. Il a acheté ses deux premiers béliers récemment pour s’initier au monde des combats. Il les garde dans un abri qu’il a construit à l’arrière de sa maison. « Je voulais vraiment faire ça parce qu’ici, avoir un bélier n’est pas seulement une tradition, c’est dans notre sang », confie-t-il. Ces abris mesurent environ deux mètres carrés et sont peu éclairés, voire pas du tout.
Une grande foule se masse pour assister à un combat, un dimanche après-midi, sur un terrain situé à côté de la route principale qui traverse El Ouardia, un quartier voisin de Tunis. Au cours du combat, qui dure de quelques minutes à une heure, les bêtes se donnent constamment des coups de tête jusqu’à ce que l’une d’elles s’effondre ou soit mortellement blessée.
L’arbitre est souvent choisi sur place et il n’y a pas de règles à respecter, si ce n’est de s’assurer que chaque bélier dispose d’un espace égal. Le combat peut être bruyant, car les spectateurs ne connaissent pas toujours les propriétaires et encouragent donc les béliers à se battre, plutôt que de soutenir l’un ou l’autre.
Khamous Jouida est une figure bien connue du milieu des combats de béliers. Il voyage à travers la Tunisie pour retransmettre les combats en direct sur des pages Facebook dédiées. Une fédération officielle de combats de béliers, aujourd’hui dissoute, a été créée en 1975. Les combats sont annoncés sur les réseaux sociaux avec des affiches agressives semblables à celles de combats de boxe. « Aujourd’hui, des hommes d’affaires et même de célèbres footballeurs tunisiens ont acheté des béliers pour frimer », explique Khamous Jouida. « C’est une question d’honneur et de prestige. Quelqu’un a même proposé 20 000 dinars [environ 6 100 euros] pour un champion. »
Les béliers ont tendance à saigner assez rapidement au cours du combat et sont ramenés dans l’arène s’ils tentent de s’échapper. Ils finissent par s’effondrer d’épuisement ou à la suite d’une blessure. Les propriétaires de béliers insistent sur le fait qu’ils traitent bien leurs animaux, bien que les défenseurs de la cause animale ne cessent de réclamer l’interdiction de ce sport. Selon les articles 315 et 317 du code pénal tunisien, une personne peut être condamnée à 15 jours d’emprisonnement et à une amende de 4,80 dinars (environ 1,50 euro) en cas de mauvais traitements exercés sur des animaux domestiques.
« Mais il n’y a rien au-delà », affirme Rakia Borgi de Tunisia Animals Voice, un groupe qui a lancé une pétition pour modifier la loi et faire interdire « toute forme de mauvais traitements exercés sur les animaux errants et d’autres espèces, y compris les combats ». La pétition doit être présentée au Parlement tunisien en octobre, mais celui-ci est actuellement suspendu jusqu’à nouvel ordre en raison de la crise politique actuelle.
Si les combats de béliers se limitent majoritairement à la banlieue de Tunis, les béliers sont également élevés dans toute la capitale. À Ezzouhour, un quartier situé à quelques minutes de marche du célèbre musée du Bardo, Moez Badri garde son animal dans un petit garage qu’il loue 150 dinars (environ 46 euros) par mois. Il nourrit le bélier trois fois par jour, mais si ce n’est pour des photos occasionnelles avec des habitants du quartier, l’animal est confiné dans un espace sans fenêtre et enchaîné « pour qu’il soit plus agressif », explique-t-il.
À Mohammedia, les jeunes arrêtent souvent leur match de football s’ils entendent qu’un combat de béliers a lieu à proximité. « Les jeunes assistent à ces événements même s’ils n’ont pas vraiment envie de prendre part à cette pratique eux-mêmes », explique Hassen Chaabani, anthropologue. « Bien que la tradition des combats de béliers existe toujours, elle est relativement rare en Tunisie. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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