Tunisie : nouvelles tensions à El Kamour après l’échec des négociations
TUNIS – « Nous ne sommes pas prêts à lâcher, nous ne sommes pas des criminels ! » Naïm est un des coordonnateurs du sit-in d’El Kamour, site pétrolier à 700 kilomètres au sud de Tunis, installé fin avril par les jeunes de la région pour réclamer une meilleure répartition des richesses et des recrutements prioritaires dans les sociétés du secteur pétrolier.
Comme ils l’avaient promis après les manifestations du 22 mai qui avaient dégénéré en affrontements avec les forces de l’ordre, les jeunes maintiennent le sit-in pendant le Ramadan. Selon le porte-parole, ils seraient à peu près 1 000 à se relayer pour qu’il y ait au moins une centaine d’occupants sur les lieux chaque jour.
Dans la nuit de mardi à mercredi, ils ont aussi manifesté pacifiquement dans les rues de Tataouine pour protester contre « le refus » du gouvernement de discuter avec eux.
Pourtant, ils avaient espéré que la nomination il y a trois jours d’un nouveau gouverneur pouvait encore faire changer les choses.
Adel Ouerghi, qui prêté serment le lundi 5 juin, est le troisième gouverneur pour la région nommé en moins d’un an, le dernier ayant démissionné le 24 mai, deux mois seulement après son affectation. Auparavant secrétaire général au gouvernorat de Tataouine, le nouveau gouverneur avait pris le relais après le départ du gouverneur en mai. Originaire de la région du Kef (nord-ouest), il est en poste depuis plus de deux ans au sein du gouvernorat.
Mardi 6 juin, il a donc pris ses fonctions en présence du ministre de l’Emploi, Imed Hammami, qui se trouvait aussi à Tataouine pour discuter avec lui de la façon dont gérer la crise.
« Nous connaissons les identités de ceux qui ont infiltré les manifestants pour mener des actions criminelles »
-Imed Hammami, ministre de l’Emploi
Selon les protestataires contactés par Middle East Eye, une rencontre était prévue avec eux le matin au siège du gouvernorat. Elle a ensuite été reportée au soir, après la rupture du jeûne et ne s'est… finalement jamais tenue.
Toujours selon nos sources, le ministre a également rencontré des représentants de la société civile, de l'Union générale tunisienne du travail.
Entre temps, à l’issue d’une réunion avec plusieurs représentants régionaux, le ministre a confirmé dans plusieurs médias les rumeurs selon lesquelles des protestataires risquaient d’être poursuivis en justice.
« Nous connaissons les identités de ceux qui ont infiltré les manifestants pour mener des actions criminelles, en pillant les locaux de la douane et en incendiant les districts de la Garde nationale et de la police. Ils seront traduits en justice et nous serons intransigeants à leur égard » a-t-il déclaré dans une déclaration officielle au gouvernorat de Tataouine le 6 juin, filmée par la radio Mosaïque FM.
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Il a ajouté qu’il ne ferait pas de nouvelle proposition et que celles proposées par Youssef Chahed le 15 mai étaient toujours en vigueur.
À savoir, sur les 64 mesures, 2 000 emplois sur les 4 000 demandés, un fonds de 50 millions de dinars (18 millions d'euros) sur les 100 millions (36 millions d'euros) réclamés et l'augmentation des allocations du programme de responsabilité civile imputé aux entreprises pétrolières.
Pour Mounir Helal, chargé de la programmation à Radio Tataouine, la manifestation a envoyé deux messages : « Les manifestants sont sortis pour montrer qu’ils ont le soutien de la population et que la solution au sit-in d’El Kamour ne peut être sécuritaire. Ils ont aussi voulu manifester car les représentants du sit-in n’étaient pas présents lors de la réunion au siège du gouvernorat », précise-t-il à MEE. Selon ses estimations, environ 1 500 à 2 000 personnes seraient descendues dans la rue hier soir.
La poursuite du sit-in risque toutefois d’être menacée à la fois par l’annonce de poursuites judiciaires de la part des sociétés pétrolières contre des manifestants, mais aussi suite aux déclarations de la ministre de l’Industrie, Hela Cheikhrouhou, le 31 mai, sur la hausse des prix du carburant.
« L’arrêt de la production dans cette région, qui fournit 40 % de la production nationale, poussera l’État à importer du pétrole alors que le dinar tunisien se déprécie par rapport aux devises étrangères et que le cours du pétrole continue de grimper », relève la ministre dans la presse tunisienne. Elle a réitéré ses propos sur la radio tunisienne Shems FM le 2 juin.
Le taux de chômage dans le gouvernorat de Tataouine – de 58 % chez les diplômés et de 27 % chez les jeunes – est un des plus élevés dans le pays (AFP)
L’inquiétude face à la hausse des prix de l’essence en raison des mouvements sociaux a aussi été confirmée par le PDG de l’Entreprise tunisienne des activités pétrolières (ETAP), Moncef Matoussi, sur les ondes de la radio Express FM le lundi 5 juin.
Il a ajouté que « l’arrêt de la production à Tataouine a fait que 700 personnes se sont retrouvées sans travail, en plus des 20 millions de dinars (7 millions d’euros) mensuels que l’État doit maintenant débourser en dommages et intérêts aux sociétés à l’arrêt. Ajoutez à cela le manque à gagner pour l’État, estimé à 24 millions de dinars (10 millions d’euros) par semaine, les caisses de l’État ont été affectées !”
Les protestataires demandent également des informations sur l’enquête concernant la mort du manifestant Anouar Sekrafi. Une délégation parlementaire s’est d’ailleurs rendue lundi dans la famille de ce dernier.
L’autre site qui avait connu un blocage l’année dernière, Petrofac, sur l’archipel de Kerkennah a repris ses activités fin mai. L’entreprise avait menacé de quitter le pays en raion du blocage de ses activités depuis 2016. Les revendications des protestataires de Petrofac étaient similaires à celles d’El Kamour, certains avaient été arrêtés en marge des manifestations.
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