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Élections en Turquie : bataille pour les voix des cinq millions de primo-votants

C’est une des grandes interrogations du scrutin à venir : qui de Recep Tayyip Erdoğan ou de Kemal Kılıçdaroğlu aura les faveurs de la jeunesse turque, et en particulier des 5 millions de primo-votants ?
Des jeunes dans une rue d’Istanbul, le 28 avril 2023, avant les élections présidentielles turques du 14 mai (AFP)
Des jeunes dans une rue d’Istanbul, le 28 avril 2023, avant les élections présidentielles turques du 14 mai (AFP)
Par Elis Gjevori à ISTANBUL, Turquie

Plus de cinq millions de nouveaux électeurs devraient voter pour la première fois lors des  élections du 14 mai en Turquie.

L’ampleur de leur participation devrait être un facteur important pour potentiellement faire basculer le résultat du vote, dans une course serrée entre le président sortant Recep Tayyip Erdoğan et Kemal Kılıçdaroğlu, chef du principal parti d’opposition laïque, le CHP.

Selon Ozer Sencar, le directeur de MetroPoll, une organisation de sondage turque, 78 % des électeurs de la tranche d’âge 18-24 ans ont exprimé leur intention de voter, soit un taux inférieur à celui de la population générale, supérieur à 80 %. 

« Dans nos résultats de sondage d’avril, la moitié des jeunes électeurs préfèrent Kılıçdaroğlu », a déclaré Sencar à Middle East Eye.

« Kılıçdaroğlu est de loin le candidat préféré des électeurs de la tranche d’âge des 18-24 ans. Erdoğan peut obtenir environ 30% des voix dans ce groupe d’âge. »

À quelques jours de la date des élections, Sencar a déclaré que « les jeunes en Turquie, quels que soient leur statut socio-économique et leurs convictions politiques, ont les mêmes inquiétudes quant à leur avenir, en particulier en raison de l’incertitude qui prévaut. »

« Les principales raisons de cette incertitude sont l’état actuel de l’économie turque et la qualité de l’éducation dans le pays. »

« Nous avons besoin d’une Turquie plus vivable »

Zeybek, une étudiante de 21 ans de l’Université de Marmara, fait part d’un sentiment commun parmi ses pairs autour de la polarisation politique qui a balayé la Turquie ces dernières années. 

« Je ne veux pas que la politique et l’État soient à l’ordre du jour de ma vie quotidienne, je ne veux pas être autant affectée par la politique », a-t-elle déclaré. 

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La jeune femme, qui avait 16 ans lorsque les dernières élections ont eu lieu en 2018, est catégorique sur sa préférence pour Kılıçdaroğlu.

Son ami, Kaan Eroglu, 21 ans, étudiant en mathématiques à l’université de Bogazici, qualifie les élections de « tournant crucial pour le pays ». Il envisage également de quitter la Turquie.  

« Nous avons besoin de changements pour une Turquie plus vivable. En tant que peuple turc, nous sommes trop divisés et nous devons nous réunir à nouveau », explique-t-il, ajoutant que Kılıçdaroğlu est « l’homme idéal pour réaliser cette unité. »

Ces dernières années, il y a eu une perception croissante chez les jeunes que la méritocratie ne suffit plus pour gravir les échelons dans les institutions publiques. 

 « Ce qui est important pour moi dans ces élections, c’est la fin de l’injustice et de la rudesse dont nous sommes victimes depuis un certain temps », a déclaré Zeybek. 

« Je pense que le problème pour les jeunes électeurs comme moi est d’obtenir ce pour quoi ils travaillent, et de ne pas être victimes d’injustice. Quand nous faisons un effort pour quelque chose, nous voulons l’obtenir. Cela nous rend fous de voir des gens qui ne le méritent pas être mieux placés que nous. »

« Sentiments nationalistes »

La crise économique en Turquie, la qualité de l’éducation et les perspectives d’emploi sont des préoccupations largement partagées par les jeunes de tous bords. Leur vote est extrêmement courtisé par les deux principaux candidats.

Le plus grand événement technologique du pays, Teknofest, organisé par le gouvernement et Selcuk Bayraktar, l’homme a l’origine du programme de drones et gendre d’Erdoğan, a cherché à attirer de jeunes talents de tout le pays. 

« Kılıçdaroğlu est aussi tristement connu comme un perdant. Il est le chef de l’opposition depuis plus d’une décennie et rien n’a changé en Turquie »

- Furkan, 21 ans, étudiant 

C’est aussi l’occasion pour le gouvernement de montrer qu’il peut encore générer des idées et des événements destinés à inspirer les jeunes dans les domaines des technologies de pointe. 

« Il est évident qu’Erdoğan essaie de faire appel aux sentiments nationalistes de la nouvelle génération avec sa campagne axée sur l’industrie de la défense », a déclaré Sencar, ajoutant que « les développements technologiques tels que l’industrie de la défense montrent également un effort pour augmenter le nombre de jeunes électeurs ».

Kılıçdaroğlu, 74 ans, cherche lui à jouer sur les aspirations libertaires de la jeunesse. Le candidat de l’opposition à la présidentielle a déclaré au cours de sa campagne aux jeunes qu’ils pouvaient le critiquer autant qu’ils le voulaient sans crainte. 

« Kılıçdaroğlu, en revanche, attire l’attention des jeunes avec sa promesse de changement, de liberté et de rattrapage par rapport aux normes mondiales », a déclaré Sencar. 

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Basak, 20 ans, étudiante en médecine à l’université Biruni d’Istanbul et primo-électeur, est pleinement consciente des difficultés que traverse le pays. 

Exprimant un mélange d’excitation et de confusion à propos des élections, elle affirme que son vote ira à Erdoğan. « Je pense qu’en ce moment de turbulences économiques, la chose la plus importante serait l’amélioration des conditions de vie et l’amélioration des opportunités d’emploi », a-t-elle déclaré.

Pour Basak, Erdoğan et son parti restent la meilleure option pour améliorer l’état de l’économie « malgré leurs erreurs » au pouvoir.

« Mon engagement n’est pas émotionnel. J’aborde la question d’un côté plus pratique. Et je ne vois pas comment l’autre coalition à six pourrait tenir ses promesses. Ils sont superficiels dans ce qu’ils essaient de faire », a-t-elle ajouté. 

« L’image d’un perdant »

Cependant, tous les soutiens à Kılıçdaroğlu ne sont pas enthousiastes et effusifs.« Je ne pense pas que le candidat de l’opposition, Kılıçdaroğlu, soit ce que les gens aiment vraiment », déclare Furkan, 21 ans, qui étudie l’ingénierie industrielle à la Kultur Universitesi. 

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Furkan votera pour Kılıçdaroğlu mais a déclaré que le chef de l’opposition n’avait pas le charisme qui a fait d’Erdoğan un titan politique dans la politique turque. 

« Kılıçdaroğlu est aussi tristement connu comme un perdant. Il est le chef de l’opposition depuis plus d’une décennie et rien n’a changé en Turquie », a déclaré Furkan. 

« Les gens disent que l’une des principales raisons pour lesquelles Erdoğan a été au pouvoir aussi longtemps et a encore une chance de gagner les prochaines élections est la faible opposition dirigée par Kılıçdaroğlu. »

Furkan éclate alors de rire : « Qu’est-ce que j’en sais, je ne suis qu’un idiot de 21 ans. »

Traduit de l'anglais (original).

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