Un accueil de héros pour le négociateur de retour à Téhéran
TEHERAN - Après avoir signé un accord nucléaire historique entre son pays, les États-Unis et d'autres puissances mondiales à Vienne, le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif a donné aux journalistes de son pays une occasion spéciale pour l’interviewer sur l’accord en les invitant à se joindre à lui à bord de son avion pendant le vol de retour à destination de Téhéran.
Avec environ trente-deux journalistes qui s’étaient joints aux représentants du ministère des Affaires étrangères, l'ambiance à bord de l'avion était joyeuse, à la fois grâce à la conclusion très attendue des longues négociations et aux descriptions des festivités dans les rues du pays.
Après le décollage, Zarif a dit qu'il avait quelques surprises en réserve pour ses compagnons de route, y compris un détour par Mashhad, la ville considérée comme la capitale spirituelle de l'Iran car abritant le sanctuaire du huitième imam chiite.
« J’avais promis à nos diplomates que nous irions au mausolée de l'imam Reza si nous arrivions à un accord. L’imam Reza est la fierté de l'Iran et la source de tout ce que nous avons », a déclaré à Zarif aux journalistes.
Selfies dans la fatigue
Malgré sa fatigue évidente, Zarif a rejoint les journalistes à plusieurs reprises pendant le vol, leur permettant de prendre des selfies avec lui et répondant à leurs questions informelles concernant les pourparlers sur le nucléaire et son célèbre « balcon de la diplomatie » - une référence à son apparition sur le balcon de l'hôtel Palais Coburg à Vienne après les séances de négociation, où il répondait aux questions que des journalistes rassemblés en dessous lui criaient.
Répondant à une question sur l'heure exacte à laquelle l'accord nucléaire a été convenu, Zarif a déclaré : « Il était environ 23 heures, heure locale, le lundi quand nous avons atteint un accord général, puis les députés [des ministres des Affaires étrangères] ont terminé le texte du traité. Je suppose que le travail de [Abbas] Araghchi [le négociateur en chef de l'Iran] et de [ministre adjoint des Affaires étrangères Majid Takht-] Ravanchi ont duré jusqu'au mardi à 03h30 ».
« Aucun délai »
Zarif a également parlé de la date limite qui aurait pu être imposée si l'accord n’avait pas été conclu lundi soir.
« Dès le premier jour, nous avons dit que nous n’avions pas de date limite, et si les négociations avaient été étendues, je serais resté ; mais vous auriez dû être là pour voir ce que [le ministre russe des Affaires étrangères Sergey] Lavrov et [le ministre français des Affaires étrangères Laurent] Fabius ont fait pour terminer sur la question le lundi soir. »
Interrogé sur l'absence remarquée de Lavrov lors de la cérémonie marquant l'accord, Zarif a simplement répondu : « Lavrov a dû aller en Ouzbékistan ».
Selon des journalistes russes, Lavrov les a informés avant la cérémonie sur ce qui se passait lors des réunions des diplomates, c’est-à-dire l'avenir des relations irano-russes et la question de la livraison par la Russie de son système de défense antimissile S300 à l'Iran, précédemment proposée, et qui était stoppée en raison des sanctions des Nations unies.
L’autre surprise de Zarif était un don de 100 dollars à chaque journaliste pour marquer l'Aïd el-Fitr, la fête de la fin du mois de jeûne du Ramadan.
Le directeur de l'Organisation de l'énergie atomique iranienne, Ali Akbar Salehi, et Hossein Fereydoun, assistant spécial du président, étaient aussi dans l’avion pour Téhéran et accordaient du temps aux journalistes. Tous les deux étaient dans l'équipe de négociation pour l'accord sur le nucléaire.
Dans l'ambiance détendue du vol de retour, Fereydoun a déclaré aux journalistes en plaisantant : « Chaque fois que je vous ai vu, vous les journalistes depuis le balcon, j’ai sympathisé avec vous [en attendant les prochaines nouvelles à vous rapporter]. »
Accueil triomphal au sanctuaire
Un accueil triomphal attendait Zarif et les autres négociateurs quand ils sont arrivés à Mashhad à 5h du matin heure locale (00h30 GMT) après un vol de cinq heures ; les populations locales scandaient « Dr Mochakerim ! » (« Dr Zarif, merci ! ») et les voitures affichant sur leurs vitres des photos de Zarif ont suivi le bus du ministre des Affaires étrangères jusqu’au sanctuaire.
Zarif a répondu en plaçant sa main droite sur sa poitrine en signe de respect pour la population.
Au sanctuaire, Zarif, portant le manteau caractérisant les bénévoles qui dirigent et aident les pèlerins à se diriger dans le lieu saint, a de nouveau été entouré par des sympathisants.
Après une escale de deux heures, le groupe s’est envolé pour Téhéran, où Zarif a été accueilli par Mahmoud Vaezi et Hassan Qazizadeh Hashemi, respectivement ministres de la technologie et de la santé, et des familles des scientifiques nucléaires iraniens tués au cours des années qui ont précédé l’accord international.
Zarif et Araghchi étaient au bord des larmes quand les familles des scientifiques décédés ont salué et remercié l'équipe.
Au moment de l'arrivée de Zarif, Téhéran et d'autres villes avaient déjà vécu une nuit de liesse où les gens ont célébré la perspective d'une fin des sanctions qui a nui à l'économie de leur pays pendant des années.
Les habitants de la capitale ont pris leurs voitures, klaxonné et scandé « Rohani Mochakerim ! » (« Rohani, merci ! ») en faisant des signes de victoire.
Le nombre de personnes dans les rues était comparable à celui de deux autres événements au cours des deux dernières années : la victoire d’Hassan Rohani à l'élection présidentielle de 2013 et le match de football de coupe du monde de l'Iran contre l'Argentine l'année dernière (quand l'Iran a perdu avec un seul but de retard).
Des drapeaux iraniens et des photos de Rohani et Zarif ornaient les rues et des foules heureuses ont chanté et agité des drapeaux. Les jeunes, à qui on demandait pourquoi ils étaient descendus dans les rues et dansaient sur leurs voitures, ont répondu par un seul mot : « Victoire ! »
Héros national
Pour de nombreux Iraniens Zarif est maintenant un héros national qui se classe aux côtés d’Amir Kabir, un Premier ministre novateur du milieu du 19ème siècle, et Mohammad Mossadegh, le Premier ministre démocratiquement élu, évincé dans un coup d'État avec l'aide des puissances occidentales en 1953.
Les deux ont toujours été une source de fierté pour les Iraniens ; le premier a essayé de moderniser l'Iran, tandis que le second a nationalisé l'industrie pétrolière iranienne.
L'atmosphère joyeuse a même suscité quelques blagues sur la perspective d'un réchauffement des relations entre le longtemps hostile Iran et les États-Unis. Dans l'une d’elles, un homme a dit, « j'espère que notre relation avec les États-Unis ne sera pas intime, parce que je suis trop timide pour appeler « oncle » le président Obama ».
Dans une ambiance de fête, un homme, Ali Ghayumi, a confié à Middle East Eye : « Je suis heureux de voir que la crise de douze ans qui a causé du tort à ce pays est terminée. Nous voulons que le monde présente correctement l'Iran et les Iraniens comme une nation éprise de paix. Nous devrions être en mesure de réaliser ce que ce peuple mérite dans les domaines scientifiques, économiques et de santé à travers la communication avec le monde. »
L'accord nucléaire soulève également l'espoir de mettre fin à des marchés noirs, à la stabilisation de la monnaie du pays, à une baisse de la corruption et au plein essor économique. Mais si ces attentes élevées ne sont pas gérées par le gouvernement, elles pourraient devenir problématiques.
Rasoul Sadeghi, doctorant en science politique à l'université islamique Azad de Téhéran, a déclaré à MEE : « L'accord sur le nucléaire va changer l’orientation de l'Iran dans le monde et permettra d'accroître le crédit et le prestige du pays sur la scène mondiale ».
« Il peut être prévu que, par cet accord, nos relations avec le monde et avec nos voisins, même avec l'Arabie saoudite, pourront s'améliorer », a-t-il ajouté. « Les Saoudiens qui ont essayé de tuer l’accord vont maintenant tenter de se rapprocher de Téhéran. »
L'accord sur le nucléaire jouera un rôle important dans les élections pour l'Assemblée des experts (l'organe chargé de l'élection d'un nouveau chef suprême) et pour le parlement en février prochain.
Les radicaux, qui attendaient d'entendre les nouvelles de l'échec des négociations nucléaires, cherchent maintenant à trouver une erreur dans le texte de l'accord.
Toutefois, de nombreux analystes disent que le résultat de Zarif va au-delà des « lignes rouges » qui auraient été les conditions minimales nécessaires à l'Iran pour accepter un accord.
Rohani avait mis toute son énergie et son capital politique dans les négociations et l'échec aurait signifié la fin de sa carrière. Maintenant, lui - et Zarif - peuvent se détendre un peu avant d'envisager l'avenir.
Traduction de l’anglais (original) par Emmanuelle Boulangé
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