Un ex-ambassadeur témoigne : « Israël s’est servi de mon père pour couvrir le nettoyage ethnique »
QALQILYA, Cisjordanie – Un ancien ambassadeur néerlandais devait planter 1 100 oliviers en Cisjordanie ce dimanche pour se faire pardonner du fait qu’Israël a exploité son nom de famille pour « couvrir un acte de nettoyage ethnique ».
Erik Ader, ancien ambassadeur en Norvège, a déclaré que les arbres étaient sa façon de s’excuser pour un nombre similaire de pins plantés en Israël dans les années 1960 pour honorer son père.
Le révérend Bastiaan Jan Ader, qui a été exécuté par les nazis en 1944, a été nommé « Juste parmi les nations » en 1967 par le musée israélien de l’Holocauste de Yad Vashem. Il avait aidé des centaines de juifs néerlandais à échapper aux camps d’extermination.
Ader s’est dit choqué d’avoir découvert, il y a une décennie, que sous la petite forêt de conifères dédiée à son père se cachaient les ruines d’un village palestinien.
Les 2 400 habitants palestiniens de Beit Nattif, au sud-ouest de Jérusalem, ont été expulsés en 1948, l’année de la création d’Israël. L’armée israélienne a détruit les 350 maisons qui s’y trouvaient et aucun des villageois n’a été autorisé à revenir.
Ader a nourri une colère particulière à l’égard du Fonds national juif, un organisme de bienfaisance sioniste international bénéficiant d’une autorité semi-gouvernementale en Israël, qui a recueilli des fonds auprès des juifs néerlandais pour planter les arbres.
Selon lui, ceux qui ont versé les dons ont été trompés et ne savaient pas pour quelle cause leur argent était utilisé.
« Ce que le FNJ a fait est scandaleux, a-t-il déclaré à Middle East Eye. Ces arbres ont servi à la fois à empêcher les réfugiés de rentrer chez eux et à cacher l’acte de nettoyage ethnique qui avait été commis à leur encontre en 1948. »
« Le fait qu’ils ont utilisé le nom de mon père, qui a payé de sa vie pour défendre les droits de l’homme, pour agir de la sorte, rend tout cela d’autant plus honteux, a-t-il ajouté. Ils l’ont rendu complice du nettoyage ethnique du village. »
Ader a également critiqué le gouvernement néerlandais pour avoir pris part à la cérémonie d’inauguration de la forêt plantée sur Beit Nattif. « Ils devaient savoir ce qui s’était passé ici, mais ils n’ont soulevé aucune objection », a-t-il avancé.
Vol de récoltes d’olives
L’ancien ambassadeur devait se joindre à un groupe d’agriculteurs et d’activistes ce dimanche pour planter des centaines d’arbres dans le petit village de Farata, près de Naplouse, en Cisjordanie.
Il a expliqué avoir choisi Farata parce qu’il avait eu connaissance lors d’une visite en 2010 d’attaques répétées menées par des colons juifs armés contre le village et ses bosquets. Au cours de la dernière décennie, des colons de Havat Gilad, une colonie voisine, ont coupé et brûlé des arbres, volé des récoltes et agressé des agriculteurs de Farata.
Rien que le mois dernier, il a été rapporté que des colons ont battu des familles de Farata qui tentaient de récolter des olives.
Un des agriculteurs de Farata, Zahi Suwad, âgé de 43 ans, a déclaré que les arbres rendraient aux villageois le revenu qu’ils avaient perdu suite aux attaques répétées.
« La stratégie coordonnée des colons et de l’armée israélienne consiste à nous chasser de nos terres à travers cette pression constante afin qu’ils puissent s’en emparer, a-t-il expliqué à MEE. Ces arbres nous aideront à continuer de travailler la terre et à rester dans notre village. »
Muhannad Qaisy, coordinateur de l’Olive Tree Campaign, qui a organisé la plantation, a déclaré que les arbres donnés par l’ancien ambassadeur avaient envoyé « un puissant message aux Palestiniens qui montre qu’il se tient à leurs côtés contre ces actes d’injustice ».
L’entrée refusée aux réfugiés
Deux jours plus tôt, Ader avait effectué un voyage émouvant à Beit Nattif, escorté par Khader Dibs, dont le défunt père, Hamed, faisait partie des habitants expulsés du village en 1948.
La famille Dibs, qui vit dans le camp de réfugiés de Chouafat, à Jérusalem-Est, possède des permis de séjour en Israël. Aujourd’hui, il s’agit de la seule famille de Beit Nattif en mesure de voyager librement en Israël et de visiter son ancien village.
Les organisateurs avaient espéré que davantage de réfugiés puissent assister à la déclaration d’excuses d’Ader. Les autres familles se trouvent cependant dans des camps en Jordanie et en Cisjordanie, dont beaucoup à Bethléem, et ne peuvent entrer en Israël qu’avec un permis difficile à obtenir délivré par Israël.
Dibs a expliqué qu’au milieu des années 1970, alors qu’il était un garçon, il a accompagné son grand-père lors de la première visite de la famille au village après la guerre de 1948. Il n’a été possible de retourner à Beit Nattif qu’une fois qu’Israël eut occupé Jérusalem et la Cisjordanie en 1967.
« Il a vu le village en ruines et il était dévasté, a-t-il raconté à MEE. Il était en sanglots et inconsolable. Il voulait revenir ici, sur sa terre, jusqu’à sa mort. »
Dibs a expliqué que sa famille essayait de préserver un lien avec village en y emmenant les enfants quelques fois par an et y organisait souvent un pique-nique au milieu des ruines.
Aujourd’hui, une partie des terres du village est utilisée par les Israéliens comme sentier de randonnée.
Dibs a affirmé que les excuses d’Ader étaient importantes pour les villageois et les rassuraient quant au fait que tout le monde dans la communauté internationale n’avait pas fermé les yeux sur le sort des réfugiés.
Une plaque vandalisée
En arrivant vendredi à la forêt, l’ancien ambassadeur a découvert que la plaque dédiée à son père avait été vandalisée quelques jours plus tôt, après que la nouvelle de l’événement a été publiée en ligne.
Il s’est adressé à un groupe de plusieurs dizaines d’activistes israéliens d’une organisation appelée Zochrot (« Souvenir » en hébreu), qui tente d’éduquer les juifs israéliens au sujet de la Nakba, terme qui désigne la dépossession massive infligée aux Palestiniens en 1948 pour créer un État juif.
Ader leur a dit qu’il avait « honte » que son pays ait donné à Israël « un chèque en blanc » pour perpétrer des actes tels que les expulsions de Beit Nattif.
Ce village fait partie des plus de 500 villages qui ont été rasés après l’expulsion de 750 000 Palestiniens de chez eux en 1948. Dans la plupart des cas, le FNJ a planté des forêts pour dissimuler les destructions.
Les communautés juives voisines ignorent souvent qu’elles vivent sur des terres qui appartenaient autrefois aux Palestiniens.
Selon Ader, le FNJ n’est pas seulement responsable d’avoir planté de forêts au-dessus des villages détruits en 1948. Celui-ci a également aidé Israël à prendre possession des terres palestiniennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et à déposséder les citoyens bédouins d’Israël dans le Néguev par le biais de programmes de plantations de forêts.
Il a appelé son gouvernement à mettre fin à la déductibilité fiscale des dons au FNJ.
Il a conclu qu’il était temps pour Israël de créer une commission de vérité et de réconciliation comme celle qui a suivi l’abolition de l’apartheid en Afrique du Sud.
« Au lieu de dissimuler ses péchés par le biais du FNJ, au lieu de nier son passé, il serait utile qu’Israël se lève et reconnaisse enfin les péchés commis lors de sa création », a-t-il déclaré.
Des panneaux érigés
Dibs, 51 ans, a conduit le groupe lors d’une visite du village détruit, lors de laquelle il a localisé les ruines de la mosquée, de l’école et de maisons, ainsi que des terrasses agricoles en ruines et le cimetière.
À chaque point, Zochrot a érigé un panneau en trois langues – hébreu, arabe et anglais – identifiant les décombres.
Certaines parties de Beit Nattif étaient sous la menace immédiate de destructions supplémentaires en raison de l’expansion rapide de la ville de Bet Shemesh, a expliqué Dibs. Des grues et des immeubles d’habitations se dressaient au-dessus du groupe tandis qu’un panneau était posé au niveau du cimetière.
Ader a raconté qu’il avait tout d’abord commencé à avoir des doutes sur ce qui se trouvait sous la forêt lorsqu’il l’a visitée il y a dix ans de cela, lorsqu’il était ambassadeur en Norvège. Près de la forêt de son père, il a trouvé des caroubiers, des amandiers et des grenadiers d’un certain âge ainsi que des terrasses agricoles.
« J’ai soulevé la question avec le FNJ pour savoir à qui ces autres arbres appartenaient, mais je n’ai pas obtenu de véritable réponse », a-t-il expliqué.
Après son retour à Oslo, il a maintenu une pression à distance sur le FNJ. « Ils m’ont promis de faire les recherches et revenir vers moi. Et bien, j’attends encore de leurs nouvelles plus d’une décennie plus tard. »
Dan Weinstein, porte-parole du FNJ, a rédigé un communiqué pour MEE pour rejeter les critiques, affirmant que l’organisation était consacrée au « développement environnemental ».
Il a indiqué que le FNJ « n’a jamais privé quelqu’un [de] sa propriété [...] et n’a pas planté un seul arbre sur une terre qui ne lui appartient pas ou qui n’appartient pas à l’État ».
Des terres « pas stériles »
Niva Grunzweig, de Zochrot, a expliqué qu’Ader avait contacté l’organisation pour obtenir de l’aide afin de trouver des informations sur le site et de localiser les réfugiés de Beit Nattif.
« C’est un moment très important pour nous, a-t-elle confié à MEE. Nous espérons que les excuses présentées par Erik aux réfugiés de Beit Nattif pour l’utilisation abusive de son nom de famille pourront encourager les juifs à faire de même. »
« Cela pourrait leur ouvrir un peu l’esprit afin qu’ils déterminent s’il est temps d’endosser la responsabilité pour ce qui a été fait en leur nom pendant la Nakba, de s’excuser et de commencer un processus de réconciliation. »
Depuis de nombreuses décennies, le FNJ recueille des dons de juifs en Europe et aux États-Unis dans ses petites boîtes bleues en affirmant aux donateurs que leur argent contribuerait à « faire fleurir le désert ».
« C’était une absurdité absolue, a soutenu Ader. Ces arbres n’ont pas été plantés sur des terres stériles. Ils ont été plantés sur des terres qui portaient déjà des fruits, comme on peut le voir à Beit Nattif. »
D’après Grunzweig, Zochrot a envoyé une invitation à l’ambassade néerlandaise pour assister à la cérémonie d’excuses, mais n’a reçu aucune réponse.
Le FNJ plante actuellement une « Forêt des ambassadeurs » – en l’honneur d’ambassadeurs ayant servi – au-dessus du village bédouin d’al-Araqib, dans le Néguev. Jusqu’à présent, un seul ambassadeur, le sud-africain Ismail Coovadia, a refusé publiquement des arbres nommés en son honneur.
Ader a choisi la journée de dimanche pour planter les arbres à Farata car ce jour marquait le 72e anniversaire de l’exécution de son père par les nazis.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation
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