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Un nouveau vent de fronde souffle dans le sud algérien

Dans le Sahara algérien, où ont démarré les plus importants mouvements de contestation depuis les années 2000, les militants s’organisent pour, une nouvelle fois, tenter de donner corps à une protestation nationale organisée
Des Algériens passent devant un mur sur lequel est écrit « Non au gaz de schiste », à In Salah, dans le sud du pays, en mars 2015 (AFP)

OUARGLA – Le Forum social algérien (FSA), ONG qui a vu le jour à Oran en janvier, s’apprête à lancer une nouvelle entité regroupant l’essentiel des collectifs et associations militant pour les droits sociaux, économiques et humains en Algérie. 

L’idée d’un forum élargi est né après le succès de l’iftar collectif en juillet à Ouargla, ville de 260 000 habitants à 800 kilomètres au sud d’Alger et creuset du mouvement militant pour les droits des chômeurs. Ce repas pris chaque soir par les musulmans au coucher du soleil pour rompre le jeûne d’une journée de Ramadan était le quatrième du genre organisé par la Coordination nationale de défense des droits des chômeurs (CNDDC).

Iftar organisé en juillet 2018 à Ouargla par le mouvement des chômeurs (Facebook)

Sa mission : prendre position sur les questions locales, nationales et internationales. Commenter, soutenir des causes comme celle des droits des migrants sur le sol algérien et des populations du Sud en matière de protection de l’environnement, mais aussi souligner la portée internationale du mouvement social algérien, devenue une question majeure pour les militants qui préparent une riposte aux derniers événements ayant ébranlé la scène nationale et internationale.

Parmi eux : la condamnation à vingt ans de prison ferme des militants du Rif marocain, en l’honneur desquels un iftar similaire avait été organisé l’année précédente à Ouargla.

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Ou encore, les tentatives effectuées par le groupe pétrolier Sonatrach pour enrôler des jeunes issus des wilayas (préfectures) sahariennes dans des voyages de découverte des champs de gaz de schiste aux États-Unis. Ou bien le tollé international provoqué par les expulsions successives de migrants subsahariens par l’Algérie vers ses frontières-Sud.  

« Il s’agit pour nous d’appuyer toutes les causes équitables, qu'elles soient liées à l'environnement ou aux libertés individuelles en harmonie avec les mouvements appelant à la démocratie »

- Aïbek Abdelmalek, ex-leader et toujours activiste de la Coordination nationale de défense des droits des chômeurs (CNDDC)

« Il s’agit pour nous d’appuyer toutes les causes équitables, qu'elles soient liées à l'environnement ou aux libertés individuelles en harmonie avec les mouvements appelant à la démocratie », explique à Middle East Eye Aïbek Abdelmalek, ex-leader et toujours activiste de la Coordination nationale de défense des droits des chômeurs (CNDDC).

Pour les 70 militants ayant fait le déplacement en juillet à Ouargla, ville emblématique de la lutte sociale pacifique, en particulier celle des chômeurs, il est devenu impératif de réorganiser le mouvement social et d’inclure en priorité la cause écologiste et celle des migrants. 

Boycott des soirées musicales

Sur la question du gaz de schiste – qui avait fédéré un important front d’opposition régional en 2014 (Houmat al-Watan à Ouargla, puis Somoud à In Salah) – les militants présents à Ouargla ont salué les initiatives sporadiques en réaction aux effets d’annonce du gouvernement et aux informations rendues publiques par Abdelmoumen Ould Kaddour, PDG de Sonatrach, sur les transactions et autres activités d’exploration entreprises ces derniers mois par les entreprises, dans la région du Touat en particulier. 

« L’exposition des populations du sud aux fléaux induits par l’industrie pétrolière reste un tabou et la remise en question de leur confiance en Sonatrach fait écho à des constats, sur le terrain, d’atteintes flagrantes à la faune et à la flore dans le désert algérien. Le sous-développement flagrant de ces régions continuera à susciter la révolte », promet Mohad Gasmi, activiste de la wilaya d’Adrar.

« L’exposition des populations du sud aux fléaux induits par l’industrie pétrolière reste un tabou »

- Mohad Gasmi, activiste

Une campagne de mails pour soutenir la candidature du Pr Abdelkader Saadallah, géologue de l’université d’Oran, à l’élection présidentielle de 2019, a été lancée cet été dans les réseaux d’activistes du sud du pays. 

Cet expert a soutenu la révolte citoyenne d’In Salah contre le forage des premiers puits de gaz de schiste dans la région d’Ahnet fin 2014. Il espère donc un soutien indéfectible de cette région au front du mouvement écologiste citoyen en Algérie. 

Le candidat estime que le pays traverse un « moment difficile » : « Les luttes des clans du système sont tellement exacerbées qu’elles ne peuvent qu'apparaître au grand jour et ramener avec elles tout ce qu'il y a de plus sale, des profondeurs vers la surface. » 

Des Algériens manifestent contre l'exploration du gaz de schiste à In Salah le 5 mars 2015 (AFP)

Abdelkader Saadallahappelle à la création de comités de soutien dans tout le pays et les incite à communiquer dans la presse et via les réseaux sociaux.

« Les régions du sud, comme In Salah, devraient être sur le premier front pour des raisons évidentes de survie ! », explique-t-il à MEE

Autre mouvement de contestation à avoir marqué l’été 2018 : le boycott des soirées musicales organisées par l’Office national des droits d’auteur et droits voisins (ONDA) dans une trentaine de villes du pays. 

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Quelque 300 manifestants ayant organisé un sit-in le 26 juillet, à Ouargla, ont obligé la caravane de chanteurs venue d’Alger à repartir le lendemain sans avoir pu tenir de spectacle. 

Les manifestants ont investi le théâtre de plein air où devait avoir lieu la soirée et effectué les deux prières du Maghreb et de l’Ichaa. Des banderoles proclamant « Non aux soirées de la honte », « Ouargla une ville égout qui ne chante pas », « Nous voulons le développement de notre ville et non la dilapidation des deniers publics pour des soirées musicales » ont été brandies devant des autorités médusées. 

Canicule record, débordements d’égouts et pannes d’électricité

Des notables et même certains activistes de la scène locale ont tenté de raisonner les instigateurs de la contestation, mais devant la mobilisation, ont demandé à ce que le choix soit laissé aux habitants. 

Les organisateurs ont même sommé les militants islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP) qui voulaient parrainer l’élan populaire et en profiter pour lancer des messages politiques de se « comporter en simples citoyens de Ouargla et de se fondre dans la foule ». 

https://www.youtube.com/watch?v=vskraTu4_lA

Les critiques de la presse nationale sur « le réveil du démon islamiste depuis le sud » ont été balayées par les manifestants. « La prière collective est un acte naturel et citoyen qui se fait depuis toujours et en toutes circonstances et qui ne porte aucune connotation religieuse. Bien au contraire, elle manifeste une volonté de ressouder les différentes mouvances et obédiences de la société civile autour de valeurs communes afin d’œuvrer pour le bien de Ouargla », témoigne un manifestant à MEE.

Tahar Belabes, ex-leader de la CNDDC, affirme : « Le hirak de Ouargla peut tomber malade, mais il ne meurt pas ». 

« Le hirak de Ouargla peut tomber malade, mais il ne meurt pas »

- Tahar Belabes, ex-leader de la CNDDC

Aux accusations prêtant aux protestataires la volonté de « constituer un mouvement intégriste pour imposer leur point de vue concernant la vie culturelle locale », les organisateurs ont répondu que ce n’était pas tant « les artistes et la chanson qui étaient visés » mais « le timing de ces soirées » au regard de la situation de la ville, écrasée par une canicule record et plombée par la persistance des débordements d’égouts, de pannes d’électricité et le manque d’eau potable dans plusieurs quartiers. 

Ce train de vie quotidien des plus difficiles pour une large portion de la population rend à leurs yeux « inapproprié voire indécent de faire la fête quand d’autres habitants souffrent ». 

Les autorités ont été invitées à « revoir leurs priorités » et faire en sorte que la ville soit plus vivable en été pour les enfants et les familles en général, notamment celles qui n’ont pas les moyens de partir vers des destinations plus fraîches.    

« Le citoyen de Ouargla voudrait que le gouvernement montre plutôt son intention de faire preuve de justice dans le développement et la distribution des richesses », souligne pour MEE le Dr Djidour Hadj Bachir, chercheur à l’université de Ghardaïa (à près de 500 km au sud d’Alger).  

« L’esprit rebelle de Ouargla »

Même ceux qui, au départ du mouvement, préféraient rester neutres ont fini par reconnaître que cette nouvelle action illustrait « l’esprit rebelle de Ouargla » qui n’accepte plus les politiques de l’État central vis-à-vis des zones sahariennes qui ont besoin d’un vrai plan Marshall. 

Hamza Talbi, militant politique du Front de libération nationale (FLN, parti au pouvoir) puis du Parti des Travailleurs (PT) nouvellement nommé à la tête de l’Union nationale de la jeunesse algérienne (UNJA) à Ouargla, fait remarquer que « le rêve de tout Ouargli est de voir se réaliser une meilleure cohésion entre les habitants, bannissant l’arouchia, ce tribalisme primaire qui fait qu’aucun mouvement social ne réussit à aboutir ni à imposer ses revendications depuis une vingtaine d’années, ni à se placer comme interlocuteur crédible auprès des pouvoirs publics à partir du moment où les jeunes générations rebelles se sont affranchies du pouvoir des notables ». 

La wilaya (préfecture) de Ouargla est la plus riche d’Algérie. Mais les richesses du sous-sol n’ont pas rejailli sur la ville (MEE/Adlène Meddi)

Les députés et sénateurs de la wilaya (préfecture), qui auraient exprimé leur soutien verbal le matin, ne se seraient finalement pas présentés sur les lieux le soir. « Un nouveau rendez-vous raté avec le peuple » commente à MEE Hemim Mohamed, militant du mouvement des chômeurs.   

« Nous viendrons à bout de cette contestation, c’est une affaire de temps et de patience », a déclaré pour sa part Abdelkader Djellaoui, wali (préfet) de Ouargla, lors de sa dernière sortie publique avant son départ en congés. 

Les leaders et militants ont été contraints de geler leurs activités, laissant place « à une nouvelle génération plus facile à amadouer », selon les activistes

Nommé en 2015 avec pour feuille de route la relance de la machine du développement local à l’arrêt, le wali a rapidement rallié à sa politique une large frange de notables du sérail, chefs de confréries religieuses, personnalités en vue et à la recherche de reconnaissance, et associations de la société civile auxquelles ont été accordées des subventions annuelles plus conséquentes que jamais. 

Muté de Ghardaïa où il était parvenu à calmer les violences intercommunautaires entre 2013 et 2014 – wilaya qu’il a par ailleurs laissée entre les mains de l’armée, chargée par la présidence d’y maintenir la paix et la sécurité après deux ans d’affrontements – il a su, de concert avec Yahia Bouselah, le chef de sûreté de la wilaya de Ouargla, faire rentrer dans le rang le mouvement des chômeurs grâce à ce que certains militants qualifient de « répression acharnée menée avec des gants de velours »

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Les leaders et militants ont été contraints de geler leurs activités, laissant place « à une nouvelle génération plus facile à amadouer », selon les activistes. Certaines figures, telles que Nadir Boukhetta, Abdelkader Cheddad, Abdelbaki Melouah, Yassine Rahmani, Smahi Hamza et Mejouel Mouloud, se sont retranchées derrière les écrans pour continuer leurs actions à partir du monde virtuel. 

Ces meneurs qui ont participé à tous les mouvements sociaux qu’a connus Ouargla (chômeurs, gaz de schiste, dégel des projets, réorientation des programmes de développement, insertion professionnelle des jeunes), ont réussi à fédérer l’élan populaire autour de « l’inopportunité des soirées musicales estivales » et entendent le maintenir pour en constituer une force de proposition. 

L’objectif que s’assigne le Forum social algérien après le pacte de Ouargla serait donc de muer en une organisation nationale fédérant les collectifs d’activistes de tous bords à travers le pays.

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