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Une députée pro-Sissi « battue par la police » alors que dégénère la lutte pour le pouvoir en Égypte

En Égypte, les députés favorables au gouvernement commencent à ressentir le poids de l’État policier qu’ils ont permis
Des forces spéciales de la police patrouillent dans le quartier al-Haram à Gizeh, dans la métropole du Caire, le 25 janvier 2016 (AFP)
Par MEE staff

Une députée pro-gouvernement affirme avoir été agressée par des policiers dans un commissariat en Égypte, une histoire qui a déclenché une tempête sur les réseaux sociaux égyptiens et a exposé les failles dans les complexes luttes de pouvoir du pays.

Zainab Salam, fervente partisane du président Abdel Fattah al-Sissi, est membre de la Chambre des députés de la province septentrionale de Sharqia et secrétaire de la commission parlementaire pour le tourisme et l’aviation civile.

Elle s’est rendue dans un commissariat de Nasr City, un quartier de l’est du Caire, jeudi soir pour tenter de faire sortir son neveu de garde à vue lorsque ce qui a commencé comme une dispute verbale a dégénéré en une confrontation physique.

Des sources ont déclaré aux médias égyptiens qu’elle avait été choquée de voir des policiers agresser son neveu. Elle s’est alors opposée à ces mauvais traitements et a menacé de porter l’affaire devant leurs supérieurs car ils enfreignaient la loi. C’est à ce moment, selon les sources, qu’un agent de police l’a physiquement agressée.

https://www.youtube.com/watch?v=0b0Lqyf8gX8

Dans une vidéo postée sur YouTube, on la voit discuter avec les policiers et menacer de mettre fin à leur carrière.

À un moment donné, elle crie : « Je le jure, c’est mon droit de l’emmener ! Je jure devant Dieu que je vais le faire rentrer à la maison ! Il va rentrer à la maison ! »

À la fin de la vidéo, elle s’évanouit et tombe à terre – cependant, la vidéo ne montre aucun des policiers la toucher.

« Je jure par mes cheveux, je vais vous renvoyer vos agents et vous ! »

Les sources de sécurité ont indiqué aux médias égyptiens que le neveu de Zainab Salam, âgé de 15 ans, était en garde à vue pour avoir poignardé un autre jeune homme avec un couteau, une attaque qui a abouti au transfert de la victime à l’hôpital dans une unité de soins intensifs dans un état critique. Les deux jeunes hommes se sont battus après que le neveu de Salam a harcelé verbalement la sœur et la femme de la victime, faisant des commentaires à caractère sexuel. D’autres médias arabes ont également mentionné l’abus de drogues comme étant un facteur de l’arrestation.

Pour sa part, l’officier accusé – Ahmed Alaa el-Deen Abdel Aziz – a déclaré à un tribunal local que Zainab Salam avait débarqué en disant qu’elle était députée et pouvait aller là où elle le souhaitait et voir ses demandes satisfaites.

Quand il est arrivé sur les lieux, il a été surpris de trouver une femme crier et a tenté de la calmer sans lui faire mal, a-t-il déclaré à la cour. Zainab Salam a alors menacé de le faire renvoyer et a attrapé ses vêtements, déchirant l’un des boutons de sa chemise, précisant qu’elle appellerait un de ses contacts au ministère de l’Intérieur.

Il a ajouté que Zainab Salam avait essayé de faire sortir de force son neveu du commissariat et que, quand elle en a été empêchée, elle a agressé les policiers autour d’elle, arraché son hijab et crié : « Je jure par mes cheveux, je vais vous renvoyer vos agents et vous ! » Le policier a affirmé avoir enregistré les événements et a dit qu’il allait présenter sa vidéo au tribunal.

Dans une interview vendredi avec Tahrir, un journal égyptien, Zainab Salam semblait revenir sur ses déclarations initiales : « Je n’ai pas été blessée… et après [cette épreuve], j’ai décidé de rentrer à la maison pour me reposer, je suis actuellement chez moi avec ma famille et parmi les gens de ma circonscription ».

Paratonnerre

Bakr Abu Ghareeb, un parlementaire du gouvernorat de Gizeh, a déclaré aux médias égyptiens : « Le policier est du commissariat de Nasr City. Il a violemment battu la parlementaire Zainab Salam lors de son passage au commissariat où elle a demandé la libération de son neveu. »

Zainab Salam avait envoyé un message tôt vendredi matin en disant qu’elle avait été agressée par des policiers. Le message a été envoyé à un groupe WhatsApp privé utilisé par les parlementaires égyptiens.

https://youtu.be/0b0Lqyf8gX8

Après avoir lu le message, Abu Ghareeb s’est immédiatement rendu au commissariat et a été accueilli à son arrivée par le responsable de la sécurité du Caire et les chefs de la police du directorat de Nasr City. Ils ont présenté leurs excuses aux députés présents qui étaient également arrivés après avoir lu le message posté sur WhatsApp.

Abu Ghareeb a déclaré aux médias égyptiens : « Ces excuses ne suffisent pas et si justice n’est pas rendue à la députée, je démissionnerai de la Chambre des députés parce que cela constitue une insulte envers l’ensemble du Parlement et une démonstration du mépris de la part du ministère de l’Intérieur à l’égard des membres du Parlement. »

Mostafa Bakry – un député pro-Sissi aux nombreuses relations qui se retrouve lui-même souvent au centre de scandales politiques en Égypte – a indiqué que le ministre de l’Intérieur Magdy Abdel Ghaffar avait suspendu l’agent de police impliqué dans l’affaire et l’avait placé sous investigation immédiate.

Bakry a déclaré que le président de la Chambre des députés Ali Abdel Aal, qui est actuellement en Russie pour visiter la Douma, a personnellement appelé le ministre de l’Intérieur et lui a dit en termes non équivoques qu’il n’accepterait aucun affront vis-à-vis d’un membre du Parlement.

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi (sur l’estrade, assis) écoute le président du Parlement égyptien Ali Abdel Aal (sur l’estrade, debout) prononcer un discours au siège du Parlement au Caire, le 23 février 2016 (AFP PHOTO/HO/PRÉSIDENCE ÉGYPTIENNE

Cette affaire est vite devenue un paratonnerre pour la classe politique égyptienne, qui s’est mobilisée autour de leur collègue députée.

La députée Margaret Azer, vice-présidente de la commission parlementaire des droits de l’homme, a déclaré aux médias égyptiens que toute agression à l’encontre de leur collègue parlementaire doit être considérée comme un affront à toute la Chambre des députés.

« Cette députée dispose d’une protection parlementaire et elle a été agressée physiquement », a déclaré Azer. « Alors, comment ce genre de policier traite-t-il les citoyens ordinaires dans le cadre des instructions du président Abdel Fattah al-Sissi qui a demandé un meilleur traitement des citoyens, la protection de leurs droits, le maintien de leur dignité et de les traiter avec humanité ? »

Zainab Salam a été élue au Parlement en 2015 sur la liste parlementaire « Pour l’amour de l’Égypte » – qui a également vu l’élection de 24 membres du Parti national démocratique de l’ère Moubarak, aujourd’hui dissous. Le Parti des Égyptiens libres, résolument laïc et libéral, est une composante de la liste et actuellement le plus grand parti au Parlement.

Alaa Abad, chef du bloc parlementaire du Parti des Égyptiens libres, a déclaré : « Ce seul incident ne représente pas le ministère de l’Intérieur, mais est imputable à certains individus et dépositaires de l’autorité qui doivent être poursuivis immédiatement. »

Carte blanche

Ce n’est pas la première fois que Zainab Salam se trouve dans une situation délicate. En avril, un collègue député de la même province de Sharqia avait déposé plainte contre elle auprès du vice-président de la Chambre, l’accusant de violence verbale.

Elle n’est pas non plus étrangère à la controverse. Dans un entretien téléphonique ce mois-ci relatif à la législation controversée du pays sur le droit de manifester, Salam a déclaré que « tout manifestant doit être abattu à balles réelles ».

Zainab Salam est une partisane indéfectible de Sissi, qui est arrivé au pouvoir après un coup d’État militaire contre le premier président égyptien démocratiquement élu, Mohamed Morsi.

L’an dernier, par exemple, elle a dit au tabloïd égyptien Youm7 : « Je donne carte blanche au président Abdel Fattah al-Sissi avec ma vie », et a fait valoir que certaines lois – telles que celles sur le terrorisme – doivent être adoptées par le Parlement sans débat.

Le ministère de l’Intérieur égyptien était l’épine dorsale de l’état policier de Moubarak, qui a renforcé son influence pour contrebalancer la puissante armée du pays. Après le coup d’État de juillet 2013, les militaires ont retrouvé leur stature d’acteur dominant dans la complexe pyramide du pouvoir en Égypte – au détriment d’une force de police de plus en plus amère qui s’en est récemment prise aux autres institutions de l’État.

Comme pour souligner ce point, alors que ces événements dramatiques se déroulaient vendredi, le député Hassan Omar a affirmé que son frère et ses amis avaient été maintenus en détention pendant plus de cinq heures, sans motif, par la police.

Il a fait part de ses allégations dans le même groupe WhatsApp mis en place par les parlementaires égyptiens, où il a écrit : « Ils ont été libérés et j’ai trouvé des traces de chocs électriques, de torture et de passages à tabac, et ils [la police] lui ont dit : ‘’Que le député que vous avez amené vous serve’’.

« Tout cela parce qu’il s’agit d’un policier qui marche sur tout le monde et sait qu’il ne sera pas tenu de rendre compte ? »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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