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À une semaine de la présidentielle, l’incertitude et le doute gagnent du terrain à Bondy

Déception face à la gauche, colère face aux violences policières, et doutes face aux candidats : les habitants de Bondy dans la banlieue nord-est de Paris partagent leurs opinions
Au marché de Bondy (MEE/Widad Ketfi)

Dernière ligne droite avant le premier tour de la présidentielle, et si les débats entre les candidats sont loin de faire rêver les électeurs, pas un jour ne passe sans qu'un rebondissement ne vienne apporter du grain à moudre aux éditorialistes politiques.

Les trahisons, les détournements de fonds, les costumes de Fillon, les retournements de veste font couler beaucoup d'encre, et le niveau du débat politique avec. Et si les sondages donnent tantôt Marine le Pen, tantôt Emmanuel Macron en tête du premier tour, à Bondy, commune de 53 000 habitants située dans la banlieue nord-est de Paris, c'est surtout l'incertitude et le doute qui semblent gagner du terrain.

Huit Bondynois expriment leurs positions quant aux candidats et à leurs discours.

« C'est la première fois que je ne sais pas du tout pour qui je vais voter », confie Linda, Bondynoise de 32 ans qui fait quelques courses au marché. Entre les stands de fruits et de légumes, Linda esquive les militants qui distribuent des tracts près du parvis de la gare de Bondy. « Pour les précédentes élections je savais d'emblée pour qui j'allais voter au premier tour, et je votais pour le moins pire au second tour. Cette année je suis complètement perdue. »

Gare de Bondy (MEE/Widad Ketfi)

Linda, déçue et se sentant trahie par le PS, ne compte plus voter pour ce parti. « En 2012, les quartiers s'étaient très fortement mobilisés pour Hollande, ou plutôt contre Nicolas Sarkozy qui avait mené une politique chaotique pour les banlieues. Mais même si on n'était pas dupes en votant Hollande on ne s'attendait pas à une telle trahison. Franchement je ne pensais pas qu'il serait allé aussi loin », ajoute la jeune femme éducatrice spécialisée.

« On nous fait croire que le FN est aux portes du pouvoir et qu'il faut voter utile alors que ce gouvernement qui se prétend de gauche a mené une politique de droite qui ne peut que mener vers les extrêmes, vers le "tous pourris et surtout tous menteurs" », explique Linda.

Selon elle, la pire erreur d’Hollande a été de choisir Manuel Valls en tant que Premier ministre. « Il a trahi les électeurs des quartiers populaires. On nous a promis le droit de vote des étrangers, on a failli avoir la déchéance de nationalité. On nous a promis le récépissé contre le contrôle au faciès, on a eu une succession de victimes de violences et brutalités policières », poursuit Linda.

Élections et violences policières

La mort d'Adama Traoré entre les mains de la gendarmerie, le viol de Théo par des policiers de la BST, et il y a quelques semaines encore la mort de Shaoyo Liu dans des circonstances douteuses, ne sont en réalité qu'une partie émergée de la liste victimes de violences policières. Suite à l'affaire Théo, plusieurs habitants de la cité des 3000 à Aulnay-Sous-Bois étaient sortis du silence et avaient expliqué avoir été frappés, brutalisés et insultés par ce même policier mis en examen pour le viol de Théo.

Manifestation pour demander « justice pour Adama » Traoré, mort lors de son interpellation par des gendarmes dans le Val d’Oise, devant la Gare du Nord, à Paris, le 30 juillet 2016 (AFP)

« Rien n'a été fait contre les violences policières », explique Moussa résigné, marchant le long du « S » -comme on l’appelle communément ici – l’immanquable bâtiment en forme de S, situé à l’entrée de la ville.

« La police, c'est parfois le seul lien qu'on peut avoir avec l'état dans certains quartiers. Pour ceux qui sont exclus du système scolaire, ceux qui n'ont pas d'emploi et dont le seul rapport avec l'état c'est la police. La police qui les insulte, la police les contrôle parfois violemment, la police qui les palpe. T'imagines pour un simple contrôle d'identité on vient palper tes parties génitales, tu ne peux que devenir fou. Quand c'est ça ton seul rapport avec la "politique", tu veux voter pour qui et pourquoi ? », explique le jeune homme de 27 ans, cigarette à la main.

« On nous a promis le droit de vote des étrangers, on a failli avoir la déchéance de nationalité », Linda, 32 ans

« Quand je parle de la police, j’ai l’impression de répéter le même discours depuis des années, pire en vrai j’ai l’impression que ce discours se transmet de père en fils, je ne sais pas à partir de quel moment ils vont se rendre compte que ce qu’ils nous font subir a un impact sur toute la société ? »

Le jeune homme est lucide mais désabusé, il a entamé plusieurs cursus à l’université sans jamais réellement trouver sa voix. Aujourd’hui il est à la recherche d’un emploi « n’importe lequel » pour quitter le domicile parental. Pour lui l’élection présidentielle est loin d’être une priorité, et il n’a pas l’intention de donner sa voix à un candidat qui « n'en a rien à foutre de nos vies ».

Un vote plus à gauche

Tout comme deux tiers des électeurs, Sarah, âgée de 22 ans, ne sait toujours pas pour qui elle va voter. « J'avoue que pour l'instant je n'ai pas vraiment pris le temps de me renseigner sur les programmes, mais franchement, il n’y en a aucun qui me donne envie, je suis complètement perdue cette année et je pense de plus en plus à voter blanc », raconte l’étudiante, sur le quai du RER E pour se rendre à l’université de Saint-Denis.

« Je sais que ça peut coûter cher, mais je n'ai pas un seul candidat qui suscite mon intérêt aujourd’hui. À la limite sur les idées que j'ai entendues je dirais Benoît Hamon, mais le fait qu'il soit candidat PS ce n’est pas possible, ça me refroidit, après tout ce qu'on a subit avec eux pendant cinq ans ce parti c'est plus possible », poursuit-elle.

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Sibel B. étudiante de 24 ans, quant à elle donnera sa voix à Benoît Hamon car pour elle la rubrique « éducation » est la plus importante dans les programmes.

« Je pense que toutes les questions, les problèmes et surtout les solutions passent par l'éducation et les propositions de Hamon ne sont pas mal sur ce point », explique-t-elle. La jeune Franco-turque est née et a grandi à Bondy et étudie aujourd'hui à Marseille. Elle explique également accorder beaucoup d'importance aux relations entre ses deux pays, la France et la Turquie. « Je n'ai trouvé aucun commentaire déplacé de Benoît Hamon sur la Turquie, contrairement aux autres candidats. Je n'oublie pas que je suis Française mais aussi Turque. Après je trouve son projet de revenu universel intéressant et, contrairement à ce que disent ses détracteurs, réalisable », conclue Sibel.

En revanche, pour Mehdi K, 23 ans, étudiant en marketing, le projet de revenu universel paraît « irréalisable ».

« Je n’ai pas l'impression que c'est une mesure qu'il pourra mettre en œuvre, par contre la VIème république, ça j'y crois ! Franchement Mélenchon c'est le seul pour lequel je serais content de voter, il a vraiment l'air sincère et il a l'air d'avoir des convictions. »

Les candidats : Nathalie Artaud, François Asselineau, Jacques Cheminade, Nicolas Dupont Aignan, François Fillon, Benoît Hamon, Jean Lassalle, Marine Le Pen, Emmanuel Macron, Jean Luc Mélenchon, Philippe Poutou (AFP)

Même constat pour Karim B., 43 ans, directeur d’un centre social dans un autre département, dont le vote a penché pour Mélenchon après la première soirée de débat sur TF1. « Franchement il me fait rire, j'aime ses punchlines et sa franchise, on a besoin de gens comme ça qui disent les choses clairement, je ne sais pas pourquoi mais il me paraît sincère. Honnêtement je ne connais pas trop son parcours et je ne sais pas ce qu'il a fait dans le passé mais pour l'instant c'est le seul qui me donne envie de mettre un bulletin dans l'urne. »

Pour Mehdi, Jean-Luc Mélenchon est le candidat « le mieux préparé pour être président, j'ai l'impression qu'il a des vraies idées de ce qu'il va faire une fois en poste. Je comprends Macron qui préfère ne rien dire pour ne pas décevoir mais un moment donné on doit quand même élire quelqu'un pour un programme et le programme de Mélenchon est clairement au niveau au-dessus. Et franchement moi je n'y crois pas du tout aux sondages, comment Fillon peut être encore aussi haut, avec toutes ses affaires ? Et Mélenchon aussi bas alors que tous les commentaires qu'on peut lire lui sont favorables. Tous les gens avec qui je parle me disent qu'ils vont voter Mélenchon, je suis sûr qu’il va être la surprise de cette élection. »

Macron et les médias

Les médias semblent mettre Emmanuel Macron plus en avant que les autres, selon Mehdi. « Pendant le débat de TF1 tous les sondages en live donnaient Mélenchon grand gagnant du débat et le lendemain BFM nous sort un sondage avec Macron gagnant, c'est n'importe quoi », conclue Mehdi qui envisageait de voter Macron au début de sa campagne.

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Même idée chez Sofiane A. 37 ans, cadre dans une banque, qui était séduit par la nouveauté et le discours moins anxiogène du candidat favori des médias : « Jusqu'ici je voulais voter Macron parce qu'il était le candidat qui surfait le moins sur l'identité, l'islam, la laïcité, et autres sujets que les candidats adorent brandir en période électorale. J'avais l'impression qu'il était le candidat de l'émergence économique, de l'entreprenariat, qu'il parlait des sujets vraiment importants : le chômage et l'emploi quand d'autres parlaient voile et islam. »

« La réalité du terrain c'est qu'il y a bien plus de personnes qui ne votent pas, que de personnes qui votent Front National » - Sofiane, cadre dans une banque

Sofiane exprime toutefois des doutes quant à l’évolution de la campagne de Macron. « Quand je vois toutes les personnes qui le rallient, ça devient n'importe quoi son équipe et alors avec Manuel Valls qui appelle à voter Macron là je ne sais plus si je vais voter pour lui. Je ne sais plus pour qui je vais voter, ou si je vais voter tout court », conclut-il.

Nombreux sont ceux qui ne comprennent pas le refus d'une candidature unique Hamon-Mélenchon « qui garantirai à la gauche une place au second tour », s'étonnent tour à tour Mehdi et Linda. « Ces histoires d'ego coûteront la victoire de la gauche, d'ailleurs si Manuel Valls était réellement de gauche, il aurait invité au rassemblement de Hamon et Mélenchon au lieu d'appeler à voter pour Emmanuel Macron »,  s'indigne Mehdi.

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« Pour ceux qui en doutaient encore, il prouve à quel point il n'a jamais été de gauche, en plus de n'avoir jamais été un homme de valeur ni d'honneur, quant à sa parole... On nous menace avec le barrage au FN et le vote utile, mais la réalité du terrain c'est qu'il y a bien plus de personnes qui ne votent pas, que de personnes qui votent Front National... »

Les candidats et l'islamophobie

Pour Samira N. 33 ans, chef de projet dans une start-up « musulmane », il est hors de question de céder au chantage du « vote utile ».

« Cette année plus que jamais on va nous demander de voter utile, d’ailleurs, on nous le demande déjà, mais il en est hors de question, on l’a fait plusieurs fois et on s’est fait avoir », s’agace Samira, « ce que je trouve très préoccupant et très dommageable c’est que je me retrouve aujourd’hui à voter en fonction de ma religion. Pourquoi ? Parce que je me rends compte que les positions de certains candidats sont un danger pour notre pays, et pour ma famille. Certains candidats ont des propos qui nourrissent, légitiment et cautionnent l’islamophobie. »

« Si aujourd’hui dans mon pays, une femme qui porte un voile ou un enfant qui est musulman ou un homme qui a une "apparence musulmane" est discriminé, n’a pas les mêmes chances de trouver un travail que les autres, ne peut pas entrer dans un restaurant librement, ne peut pas faire ce type de choses banales, ça devient très très grave », poursuit-elle, « et d’autant plus quand ce sont les hommes politiques qui les mettent au ban de la société en les affublant de tous les noms et en les rendant responsables de tous les maux de la société. »

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« Voilà pourquoi je ne voterai pas pour François Fillon, voilà pourquoi je ne voterai pas pour Jean-Luc Mélenchon, que ce soit sur ses positions sur la Syrie ou le fait qu’il ait comparé le voile à un torchon sur la tête. Quant à Macron, je pensais voter pour lui au début, parce qu’il avait l’air correct avec tout son discours moins identitaire qui se différenciait des autres, mais je me rends compte au fur et à mesure de la campagne que je m’étais trompée à son sujet », continue Samira en évoquant l’affaire Mohamed Saou.

Et de conclure : « Je me retrouve à voter en fonction de ma foi et ça c’est très difficile à vivre pour moi mais je n’ai pas le choix, voilà à quoi on en est réduit aujourd’hui. »

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