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« Vermine, profiteurs » … des Turcs s’en prennent aux Syriens qui se sont vu proposer la citoyenneté

La suggestion du président Erdoğan sous-entendant que 2,7 millions de réfugiés pourraient être naturalisés a suscité une grande opposition et de nombreuses critiques au sein de la société turque
Des Syriens et des Turcs marchent dans une rue bordée de commerces dotés d’enseignes en arabe dans le quartier de Fatih, à Istanbul (AFP)

ISTANBUL, Turquie – Après des années à faire face à un avenir de plus en plus incertain, les réfugiés syriens se sont vus offrir une bouée de sauvetage plus tôt ce mois-ci avec l’annonce du président turc, Recep Tayyip Erdoğan, leur apprenant qu’ils pourraient se voir accorder la citoyenneté turque.

Cette information a été accueillie avec joie par plus de 2,7 millions de Syriens vivant dans le pays, mais ce bref moment d’espoir a été rapidement suivi par le désespoir – et même la peur.

Le pays, si souvent polarisé sur le plan politique, s’est uni contre cette idée : 83 % des Turcs sont contre.

Deux partis d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP) et le Parti d’action nationaliste (MHP), se sont rapidement posés contre. Certains ont accusé Erdoğan et son parti AKP de recourir à une manœuvre éhontée pour obtenir les votes des Syriens qui auront acquis la citoyenneté.

Le journal de droite Sözcü a qualifié les Syriens de « vermine » dans un gros titre d’une série de unes hostiles aux Syriens.

Cette réaction était néanmoins insignifiante par rapport aux points de vue exprimés sur les réseaux sociaux. Un hashtag turc, qu’on peut traduire par « Je ne veux pas de Syriens dans mon pays », s’est profilé dans les tendances sur Twitter. Beaucoup de messages véhiculaient des harangues haineuses et obscènes contre les Syriens.

Et l’opposition était manifeste chez de nombreux Turcs avec lesquels Middle East Eye s’est entretenu. Hatice Özbir (64 ans), partisane de l’AKP, a confié à MEE être consternée par cette idée.

« Ils ne peuvent pas tous rester ici pour toujours. Ils sont si sales. Regardez-les, crachant des coquilles de graines de tournesol grillées partout », a-t-elle déclaré.

« Ils louent des appartements et les laissent dans un état inhabitable. J’espère que personne dans mon immeuble ne leur louera à nouveau. »

Özbir avait également l’impression qu’ont été mises en place des lois rendant illégal de critiquer la présence des réfugiés syriens en Turquie.

« J’ai entendu dire qu’on peut se prendre une amende si on parle d’eux [les réfugiés syriens]. Nous sommes juste supposés nous taire et regarder alors que nos propres enfants n’arrivent pas à trouver un emploi et souffrent », a déclaré Özbir.

« Tout ce qu’ils font, c’est être assis toute la journée et faire beaucoup de bruit. Ils reçoivent sûrement de l’argent du gouvernement. »

Abdullah Topcu (51 ans), pompiste à Istanbul, a déclaré : « Maintenant, ils ne repartiront jamais. C’était déjà le paradis pour eux. Tout est gratuit pour eux et maintenant ils se voient offrir la citoyenneté. Génial, tout simplement génial. »

Anas Maghrebi (27 ans), qui a fui la Syrie pour la Turquie en 2011, résume la réaction de nombreux réfugiés syriens : « Toutes ces remarques écœurantes sont apparues sur les réseaux sociaux. Ils pensent que tous les Syriens sont des sauvages et nous désignent simplement comme ‘’les Syriens’’ ».

« J’étais tellement heureux quand j’ai entendu parler de la possible citoyenneté. Nous sommes des êtres humains nous aussi. Mais les remarques qui nous ciblaient sur Facebook après cela étaient tout simplement dégoûtantes et très blessantes. »

Ce sont de telles généralisations qui font mal à Maghrebi et aux autres Syriens comme lui. Bien éduqués et enthousiastes, ils ont essayé de devenir des membres productifs de leur nouvelle communauté après avoir été contraints de fuir, mais font finalement face à l’hostilité et à la méchanceté.

Liens turco-syriens

La relation turque avec les réfugiés syriens est complexe. La Turquie a ouvert largement ses frontières au début de la révolution syrienne en 2011. Elle a accueilli l’opposition politique syrienne et appuyé des groupes rebelles luttant contre le président syrien Bachar al-Assad, tout en réclamant haut et fort l’intervention de la communauté internationale.

Ankara a également fourni une protection de base aux Syriens enregistrés, ce qui leur permet d’accéder à certains services médicaux et aux écoles locales.

Cependant, tandis que la guerre fait rage et que les réfugiés continuent à arriver, l’opinion publique a commencé à changer.

La Turquie a depuis fermé efficacement la frontière, tout en renforçant la sécurité à la suite de plusieurs attaques de grande envergure dans le pays liées au groupe État islamique.

L’initiative visant à légaliser les permis de travail l’année dernière, qui a été largement saluée en Occident, a échoué : seuls 5 500 permis ont été accordés entre janvier et mai.

Murat Erdoğan, directeur du centre de recherche sur les migrations et la politique à l’Université Hacettepe d’Ankara, a déclaré au service turc de Voice of America que tous les sondages menés par son centre ont montré que les Turcs, indépendamment de leurs tendances politiques, s’inquiétaient de plus en plus du fait que les Syriens se voient accorder la citoyenneté turque.

Répercussions pour les Syriens

Erdoğan a déclaré que 1,8 million de Syriens pourraient voter si tous les réfugiés obtenaient la citoyenneté – ce qui pourrait aider à renforcer la mainmise de l’AKP sur le pouvoir et permettre au parti d’intensifier la répression contre les opposants politiques et les médias.

Selon de nombreux historiens, depuis sa création en 1923, la République turque a consciemment encouragé et promu un état d’esprit nationaliste et isolationniste.

En plus de cela, les Arabes sont particulièrement considérés avec dédain, certains sociologues attribuant cela à des incidents survenus au cours de la Première Guerre mondiale lorsque les Turcs croyaient avoir été trahis par les Arabes, qui se sont alignés avec les Britanniques provoquant l’effondrement de l’Empire ottoman.

Les réactions ont été si fortes suite aux remarques d’Erdoğan qu’une succession de ministres ont fait des commentaires laissant entendre que les critères seront stricts et que le processus sera loin d’être automatique.

Erdoğan, dans ses dernières déclarations samedi, a précisé que ce qui était offert doit être considéré comme la double nationalité et que cela ne voulait pas dire que tous ceux qui en bénéficieront resteraient en Turquie.

Il a toutefois ajouté que la Turquie était capable d’absorber facilement autant de gens car la densité de population n’était pas très élevée.

Avec de telles clarifications et reculades, y-a-t-il un espoir de voir ce plan se concrétiser ?

Une minorité de Turcs soutient ce projet de citoyenneté. Mais on les entend difficilement.

Meliha Ozbek, une femme au foyer de 45 ans, a dit à MEE qu’elle avait honte de la façon dont les Syriens avaient été pris pour cible. Chaque Syrien devrait avoir la citoyenneté turque s’il la veut, estime-t-elle.

« La Turquie a joué un grand rôle dans la guerre qui a détruit leur vie. Bien sûr que nous devrions leur accorder la citoyenneté. C’est le moins que l’on puisse faire. C’est le moins que tous les pays qui ont alimenté la guerre en Syrie puissent faire », a-t-elle affirmé.

Tant que les personnes comme Meliha Ozbek continuent à s’exprimer et que le président Erdoğan continue de soutenir l’initiative, Maghrebi dit qu’il continuera à se sentir en sécurité en Turquie et croit qu’il sera un jour en mesure de demander la citoyenneté.

« En Turquie, le gouvernement est la clé. Ce que les gens pensent n’a pas d’importance si le gouvernement décide de faire quelque chose », a-t-il déclaré. « Je n’ai plus de passeport syrien. Je veux juste voyager et être normal. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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