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Wikileaks divulgue un plan européen d’action militaire contre les trafiquants

Wikileaks révèle que l’UE va mettre en œuvre un plan d’un an pour cibler « le modèle économique » des trafiquants d’êtres humains qui opèrent au large de la Libye
Des migrants d’Afrique sub-saharienne en attente dans un centre de détention le 17 mai 2015 dans la capitale libyenne Tripoli (AFP)

Le plan d’intervention militaire de l’Union européenne (UE) visant à arrêter le flux de migrants de la Libye à l’Europe a été révélé lundi dans des documents publiés par WikiLeaks.

WikiLeaks a partagé deux documents datant du 12 mai qui exposent un plan approuvé par les ministres de la Défense de l’UE visant à contribuer « à des efforts systématiques pour identifier, capturer et détruire les navires avant qu’ils ne soient utilisés par les trafiquants ».

Un document de onze pages présente l’opération militaire prévue pour détruire les bateaux et un mémo de six pages fournit des recommandations pour faire face aux réseaux des trafiquants et développer une stratégie de communication permettant de gérer les attentes du public quant à l’opération militaire.

Le plan de l’UE est une réponse à l’indignation provoquée par la mort cette année de centaines de migrants qui ont fait la traversée dangereuse entre la Libye et l’Europe dans des embarcations rudimentaires gérées par des trafiquants d’êtres humains. Dans les documents, l’action militaire de l’UE est présentée comme une stratégie d’un an en plusieurs phases, dont la première consisterait à tâcher de comprendre le modèle économique adopté par les trafiquants.

« Il n’y a pas pour l’instant de compréhension claire et suffisante du modèle économique utilisé par les réseaux de trafic de migrants dans la région du centre sud de la Méditerranée », peut-on lire dans le document.

« La première phase [de l’opération] devrait consister à [développer] une compréhension suffisante des modèles économiques de contrebande et de trafic de migrants, de leur financement, des itinéraires empruntés, des lieux d’embarquement, des capacités et des identités. »

Alors qu’une partie importante des documents est dédiée aux considérations juridiques relatives à une action militaire, l’accent est mis également sur le développement d’une stratégie de communication visant à influencer la compréhension du plan par le public.

« La stratégie d’information devrait éviter de suggérer que l’accent est mis sur le sauvetage des migrants en mer et mettre plutôt en valeur le fait que le but de l’opération est de perturber le modèle économique du trafic des migrants », indique le point 39 du plan d’action.

L’UE reconnaît dans le document que les opérations de recherche et sauvetage de migrants sont une obligation internationale mais « insiste sur le besoin de communiquer de façon à ce que le public n’ait pas une perception erronée du mandat de l’opération et à ce que ses attentes soient gérées ».

Ainsi, le document stipule que lorsque des migrants sont secourus dans le cadre de l’opération militaire, cela ne devrait pas être communiqué au public.

« Les opérations de sauvetage conduites lors de cette opération ne devraient pas être médiatisées afin d’éviter de fournir un encouragement aux migrants. »

Dans son communiqué de presse, WikiLeaks indique que les documents évoquent la possibilité que l’UE mène une action militaire contre le groupe Etat islamique (EI) « à l’intérieur de la zone souveraine de la Libye ».

Dans le document, l’UE admet la menace représentée par la présence de l’EI à proximité ou à l’intérieur du territoire libyen, sans toutefois suggérer de façon explicite qu’une action militaire puisse être entreprise contre le groupe.

« Il faut être conscient du fait qu’une menace existe, surtout pendant des atrocités comme l’embarquement et lors des opérations à terre ou à proximité d’un littoral non sécurisé, ou au moment de l’interaction avec des embarcations impropres à la navigation en mer. La présence potentielle de forces hostiles, extrémistes ou terroristes comme Daech [EI] devrait également être prise en considération », rappelle la section intitulée « Risques opérationnels » du document.

L’EI s’est fait connaître en Libye après avoir revendiqué le massacre de vingt-et-un chrétiens coptes en février dernier, massacre présenté par le groupe comme ayant eu lieu sur les rives de la Méditerranée. Les miliciens se sont également implantés dans la ville de Derna, à l’est de la Libye déchirée par la guerre.

La Libye est en effet ravagée par un conflit civil violent qui a vu des tribus, villes, milices et gouvernements rivaux s’affronter pour le contrôle des plus vastes réserves en pétrole de l’Afrique. En outre, ce pays d’Afrique du Nord est depuis longtemps un point de passage obligé pour les migrants du monde entier qui tentent de rejoindre l’Europe. Depuis la chute de Mouammar Kadhafi et en raison de la multiplication des guerres et de la hausse de la pauvreté dans la région et au-delà, le nombre de migrants quittant la Libye a augmenté de façon exponentielle en 2015.

L’approche de l’UE telle qu’elle est décrite dans les documents divulgués –bien que ceux-ci ne donnent pas une image complète de la stratégie européenne sur la question – indique que des forces militaires seront déployées pour arrêter le flux de migrants et que des mesures seront adoptées pour combattre le modèle économique des trafiquants.

Issandr el-Amrani, chef de projet Afrique du Nord à l’International Crisis Group, a précédemment indiqué à Middle East Eye que se contenter de stopper le flux des migrants ne contribuera guère à résoudre les problèmes sous-jacents qui conduisent les migrants à tout risquer pour une vie meilleure.

« C’est une question globale qui a davantage à voir avec la façon dont nous prévenons les conflits, faisons face aux conflits existants et fournissons des ressources humanitaires adéquates », avait-il déclaré.

« Il faut considérer le problème dans son ensemble. La question n’est pas de savoir comment vous les empêchez [les migrants] d’entrer en Europe – mais comment gérer les causes des conflits. Si nous ne les prenons pas en compte – et que nous empêchons les réseaux de trafiquants en Libye d’agir – ces personnes [les migrants] iront ailleurs. »
 

Traduction de l’anglais (original).

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