Yémen : la guerre transforme les civils en trafiquants d’armes
TA’IZZ, Yémen – Adnan al-Qaatabi (33 ans) est devenu trafiquant d’armes, après avoir été renvoyé de son travail dans un magasin de vêtements à al-Turbah dans le district Ash-Shamayatayn du gouvernorat de Ta’izz. Aujourd’hui, il fait des affaires en or en vendant des kalachnikovs à la milice de la Résistance populaire qui combat les Houthis.
Bien que le commerce des armes soit illégal au Yémen, depuis l’escalade des combats en mars 2015, la demande d’armes a explosé et, face à la montée du chômage et de la faim provoquée par le conflit, les Yéménites ont commencé à vendre leurs armes personnelles à des groupes armés.
« En juin 2015, j’avais besoin d’argent et j’ai décidé de vendre une de mes deux kalachnikovs », a déclaré Qaatabi à MEE. « J’ai découvert qu’elle valait environ le double et je savais que la Résistance achetait différents types de kalachnikovs. Cela m’a amené à travailler en tant que marchand d’armes », a-t-il expliqué.
Avant la guerre, une kalachnikov se vendait pour 170 000 rials yéménites (environ 735 euros), mais maintenant le prix de ces armes a grimpé à 300 000 rials yéménites (environ 1 300 euros). Ce fut le signe pour Qaatabi que beaucoup de gens accepteraient de vendre leurs armes.
« Je sais faire la distinction entre les bonnes et les mauvaises kalachnikovs, j’ai commencé à acheter des armes aux gens de mon village et à les vendre à des combattants de la résistance, qui viennent chaque vendredi sur le marché d’al-Turbah pour acheter des armes », a ajouté Qaatabi.
Lorsque les Houthis ont occupé Sanaa, la capitale du Yémen, fin 2014, puis ont commencé à attaquer les autres provinces, ils avaient déjà saisi d’énormes quantités d’armes dans les camps militaires des provinces d’Imran et de Sanaa.
En réponse, les Yéménites et les milices sunnites de plusieurs provinces ont formé la Résistance populaire pour lutter contre les Houthis avec leurs armes personnelles. Plus tard, la coalition dirigée par l’Arabie saoudite a commencé à fournir des armes et des munitions plus sophistiquées à la Résistance.
Des recrues sans armes
Toutefois, le soutien militaire de la coalition n’a pas fourni assez d’armes à la résistance à Ta’izz. La direction de la résistance a donc décidé d’acheter des kalachnikovs aux habitants du coin, selon Moaath al-Yaseri, un chef de la Résistance populaire dans la province de Ta’izz.
« La coalition a fourni 20 % de nos armes et la plupart des combattants se battent avec leurs kalachnikovs personnelles. Il y a plus de 5 000 recrues sans armes, donc nous avons eu recours à la vente de balles et à l’achat de kalachnikovs auprès des habitants », a indiqué al-Yaseri à Middle East Eye.
Il a précisé que la coalition leur avait fourni suffisamment de munitions, mais que la résistance a grandement besoin d’armes pour combattre les Houthis qui sont bien armés. La résistance ne peut pas transporter d’armes depuis d’autres provinces puisque les Houthis ont bloqué toutes les principales voies de communication vers la ville.
« Généralement, les habitants des zones rurales ont des kalachnikovs et des pistolets, donc de nombreux marchands d’armes achètent des armes à ces habitants et nous les vendent, tandis que nous vendons des balles à ces commerçants », a ajouté al-Yaseri.
Malgré la tactique de la résistance populaire consistant à acheter des armes à feu aux locaux, des milliers de combattants n’ont pas encore reçu d’arme, selon une recrue de la Résistance populaire, Amar Moubarak. Lui-même n’a pas reçu d’arme à feu.
« J’aide d’autres combattants à inspecter les voitures qui viennent à al-Misrakh depuis les régions environnantes et, quand j’aurai une arme, je rejoindrai la bataille d’al-Dhabab en tant que combattant », a ajouté Moubarak.
Qaatabi possède un magasin au marché d’al-Turbah, où il achète des armes auprès des habitants et leur vend des balles, que ces derniers achètent pour tirer les jours de mariage.
« C’est une profession rentable et je peux gagner 100 000 rials [432 euros] par semaine – alors que je ne gagnais que 60 000 rials [260 euros] par mois au magasin de vêtements. »
Ahmed al-Ghaili, un autre marchand d’armes d’al-Turbah, a indiqué à MEE qu’il avait l’habitude d’acheter et de vendre en secret des armes aux habitants avant la guerre. Aujourd’hui, il ne vend plus d’armes à la population locale – il les achète simplement aux gens du pays et les vend à la Résistance populaire.
« Les prix des kalachnikovs et des pistolets ont doublé et les habitants ne payeront pas le prix élevé de ces armes. C’est pour cela que je ne vends pas d’armes à la population locale, mais on leur vend des balles, qui coûtent 200 rials [86 centimes] l’unité », a-t-il ajouté.
Ghaili a rapporté que beaucoup de gens viennent à lui de différentes zones autour d’al-Turbah et lui vendent leurs armes, car ils pensent que c’est le meilleur moment pour vendre des kalachnikovs et des pistolets.
Vendre des armes comme moyen de subsistance
La plupart des Yéménites, en particulier les habitants des zones rurales, ont des armes et les utilisent traditionnellement lors des mariages, mais avec le chômage combiné à une forte demande en armes, beaucoup se sont résolus à les vendre.
Esam Ali, un habitant du village d’al-Mashbak dans le district d’Ash-Shamayatayn, gouvernorat de Ta’izz, a vendu sa kalachnikov après avoir dépensé tout l’argent qu’il avait.
« Je travaille comme ouvrier du bâtiment, et il n’y a plus de travail de nos jours, donc j’ai vendu ma kalachnikov en octobre pour 260 000 rials [1 123 euros] afin de subvenir aux besoins de ma famille », a-t-il raconté à MEE.
Il a rapporté avoir acheté la kalachnikov pour son mariage il y a onze ans pour 100 000 rials (432 euros). Il est de coutume que le marié ait une kalachnikov à son mariage.
« Si je n’avais pas de kalachnikov, je serais mort de faim tout comme ma femme et mes trois filles. Les kalachnikovs ont aidé de nombreuses familles dans notre région à subvenir à leurs besoins – c’est le meilleur moment pour les vendre », a ajouté Ali.
Il a dit que la somme pour laquelle il a vendu sa kalachnikov était suffisante pour nourrir sa famille pendant six mois.
Ali n’est qu’un parmi tant d’autres à avoir vendu ses armes pour gagner de quoi faire vivre sa famille. Pendant ce temps, certaines personnes ont acheté d’énormes quantités de balles pour les utiliser plus tard lors des mariages.
Hamdi Abou Bakr, un habitant du village d’al-Gihar dans le district d’Ash-Shamayatayn, a expliqué à MEE qu’il a acheté 2 000 balles pour les utiliser lors des mariages.
« Les mariages dans nos villages ne peuvent pas avoir lieu sans tirs et, de nos jours, les balles ne sont pas chères. Elles ne coûtent que 200 rials [86 centimes] l’unité, alors qu’elles coûtaient 300 rials [1,30 euros] auparavant, alors j’en ai acheté d’énormes quantités pour les utiliser plus tard lors des mariages et je peux aussi en revendre certaines plus tard », a-t-il ajouté.
Selon les rapports, il y a plus de 60 millions d’armes au Yémen, y compris des mortiers et des mitrailleuses.
Ahmed Obaid, un officier à la retraite, a affirmé que le gouvernement yéménite devrait profiter de la crise économique et acheter des armes auprès des habitants, puis donner ces armes aux ministères de la Défense et de l’Intérieur.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].