Yémen : vers un cessez-le feu de cinq semaines ?
Les pourparlers indirects entre les représentants houthis et les diplomates américains et britanniques, visant à mettre fin aux hostilités au Yémen, sont entrés dans leur cinquième jour ce mardi à Mascate, capitale d’Oman.
Des sources ont indiqué à MEE que la libération d’un journaliste américain détenu plusieurs semaines par les Houthis à Sanaa (Yémen) constitue le premier signe tangible d’un recul des Houthis, après deux mois de frappes aériennes dirigées par l’Arabie saoudite, ainsi qu’un résultat direct des pourparlers en cours à Oman.
S’exprimant depuis la capitale Sanaa, Hisham al-Omeisy, analyste politique et activiste, a affirmé que les Houthis avaient proposé de se conformer à une résolution des Nations unies qui aurait pour effet de les forcer à se retirer du territoire qu’ils ont pris en l’échange de leur retrait de la liste de sanctions des Nations unies.
Retirer les Houthis de la liste de sanctions obligerait le Conseil de sécurité des Nations Unies à se réunir ; ainsi, les négociateurs demandent aux Houthis d’accepter les termes en tant que point de départ, explique Omeisy.
En parallèle, l’envoyé spécial des Nations unies Ismail Ould Cheikh Ahmed, en poste depuis sept semaines suite à la démission de son prédécesseur, s’est rendu à Riyad pour tenter d’amadouer les autorités saoudiennes et le gouvernement yéménite en exil, dirigé par le président Abd Rabbo Mansour Hadi, pour que ces derniers revoient leurs exigences à la baisse.
Les négociations en cours à Oman surviennent après l’annulation des pourparlers prévus le 28 mai à Genève. En cas de succès, une nouvelle date sera fixée pour une rencontre entre les factions en Suisse.
Des sources indiquent que les Houthis veulent une reconnaissance politique qu’ils se sont vus refuser à l’issue du dialogue national qui a suivi le soulèvement arabe au Yémen et la chute d’Ali Abdallah Saleh en 2011.
« Ils veulent être reconnus comme une puissance légitime et obtenir le siège qui leur revient à la table de négociations », a déclaré Adam Baron, chercheur invité au Conseil européen des relations internationales. « Ils sentent également que ce siège est beaucoup plus important que ce que les parties s’apprêtent à leur accorder. »
Les Saoudiens, qui affirment que les Houthis sont soutenus par l’Iran et qui considèrent le groupe, qui a attaqué des villes frontalières saoudiennes au cours des dernières semaines, comme une menace stratégique, exigent que les Houthis se conforment à la résolution 2216 des Nations unies. La décision, adoptée en avril par le Conseil de sécurité, exige notamment que les Houthis se retirent de tous les territoires qu’ils ont pris, y compris Sanaa.
« Les Houthis et Saleh doivent cesser leurs opérations et mettre fin à leur coup d’État », a affirmé Jamal Khashoggi, journaliste et commentateur saoudien.
Un retrait conformément aux termes de cette résolution constituerait « dans les faits une condamnation à mort » pour les Houthis, a indiqué Adam Baron.
Les obstacles
Selon Omeisy, un point de friction concerne le fait que les Saoudiens refusent qu’Oman (qui entretient des liens étroits avec l’Iran et qui est le seul pays du CCG à ne pas participer aux frappes aériennes contre le Yémen dirigées par l’Arabie saoudite) s’attribue le mérite de cette médiation.
« [...] les Saoudiens sont contrariés de voir que ce sont les Omanais qui prennent les devants, et non les Saoudiens, a-t-il expliqué. C’est puéril. »
Les pourparlers se tiennent maintenant car les médiateurs tentent de lancer un cessez-le-feu de cinq semaines de sorte que celui-ci coïncide avec le ramadan, qui commence dans deux semaines, a précisé Omeisy.
Cette fête donnera au roi Salmane une excuse pour mettre en pause une guerre censée être populaire au sein de l’opinion publique saoudienne, a-t-il ajouté.
« Le roi dira : "Je vais accorder une pause uniquement parce que c’est le mois du ramadan et que je suis un homme de religion" », a expliqué Omeisy.
Jamal Khashoggi a cependant indiqué que les Saoudiens « souhaitent une solution pacifique à la crise » et se montrent favorables au rôle joué par Oman en autorisant les Houthis à utiliser leur espace aérien pour se rendre à Oman. L’obstacle est que la proposition des Houthis est trop faible, a-t-il précisé.
« Ils proposent de se retirer de certaines localités et de certaines positions, mais pas de toutes les positions, a-t-il expliqué. C’est la version iranienne du donnant-donnant. C’est comme la mentalité des bazars : "D’accord, nous nous retirons de la partie est de Sanaa." Non, cela ne fonctionnera pas de cette façon. »
À ce stade, un retrait saoudien du Yémen serait difficile à envisager pour le nouveau roi du pays et son leadership récemment remanié, face à une opinion publique largement favorable à cette campagne qui est vue comme une lutte contre l’expansionnisme iranien dans les capitales arabes, a-t-il indiqué.
« Si les Saoudiens quittaient le Yémen aujourd’hui, cela serait considéré comme une défaite pour l’Arabie saoudite et le nouveau leadership », a ajouté Khashoggi.
Retour « à l’âge de pierre »
Alors que les médiateurs à Riyad et à Mascate tentent de combler le fossé entre les Houthis et les Saoudiens et d’ouvrir la voie à des pourparlers de paix à Genève, la crise humanitaire dans le pays déchiré par la guerre « menace de renvoyer le Yémen à l’âge de pierre », a signalé Adam Baron. « Et cela n’est en rien exagéré. »
La semaine dernière, Oxfam a rapporté que les deux tiers de la population du Yémen n’ont pas accès à l’eau potable, une situation qui assoiffe la population, mais qui soulève également des préoccupations quant à la propagation de la malaria, du choléra et de la diarrhée.
Les denrées alimentaires et le carburant, ressources essentielles car nécessaires pour acheminer l’aide mais aussi pour pomper l’eau du sol, manquent également dans un pays où plus de 60 % des habitants avaient besoin d’une aide humanitaire avant le début des combats, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.
« La perspective de mourir de faim est d’autant plus réaliste, ajoute Baron. À ce stade, il est possible que des Yéménites meurent de soif. »
Se référant au blocus saoudien sur le carburant et les denrées alimentaires qui, a-t-il indiqué, contraint les organisations d’aide humanitaire à demander tous les deux jours la permission d’expédier des approvisionnements, Hisham al-Omeisy a affirmé que les Saoudiens tentent de susciter l’agitation populaire contre les Houthis.
« "Étouffons la population, en espérant qu’un soulèvement se forme de l’intérieur contre les Houthis" », a argumenté Omeisy. « Cela n’arrive pas. »
« Tôt ou tard, nous n’aurons plus de stocks. Nous marcherons vers l’Arabie saoudite. Vous ne pouvez pas nous laisser simplement mourir de faim. Nous apporterons l’enfer », a-t-il lancé.
Depuis une maison à Sanaa où, a-t-il indiqué, il endure jusqu’à dix heures par jour de survols d’avions de la coalition saoudienne et de tirs d’armes antiaériennes houthies, Omeisy a affirmé que son espoir était que les négociations à Oman permettent de mettre fin aux combats.
Jamal Khashoggi, qui a affirmé ne pas croire que les pourparlers à Oman auraient une incidence sur la bataille, a concédé qu’il comprenait la frustration d’Omeisy.
« Personne n’aime la guerre. Personne n’aime être bombardé, a indiqué Khashoggi. Nous, Saoudiens, devons essayer de gagner les cœurs et les esprits [des Yéménites au] nord. Je pense que nous sommes défaillants sur ce point. Nous devons leur expliquer l’objectif de l’opération. »
« S’il n’y avait pas eu les frappes aériennes, les Houthis seraient aujourd’hui les seuls propriétaires du Yémen », a-t-il ajouté.
Traduction de l'anglais (original) par VECTranslation.
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