Les dossiers qui attendent Emmanuel Macron à Alger
« En réponse à votre invitation, je serai heureux de venir en Algérie prochainement pour lancer ensemble ce nouvel agenda bilatéral, construit en confiance et dans le respect mutuel de nos souverainetés », avait promis le président français Emmanuel Macron, le 6 juillet, dans une lettre adressée à son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, à l’occasion de la célébration du 60e anniversaire de l’indépendance algérienne.
Cette promesse se concrétise donc moins de deux mois plus tard, le chef de l’État français étant attendu du 25 au 27 août, a confirmé l’Élysée lors d’un échange téléphonique entre les deux présidents le 20 août.
Cette première visite du président français depuis l’élection d’Abdelmadjid Tebboune à la présidence en décembre 2019 vient couronner près de trois années d’échanges épistolaires et téléphoniques entre les deux chefs d’État.
Elle « contribuera à approfondir la relation bilatérale tournée vers l’avenir au bénéfice des populations des deux pays, à renforcer la coopération franco-algérienne face aux enjeux régionaux et à poursuivre le travail d’apaisement des mémoires », a annoncé l’Élysée dans un communiqué.
Elle vise également à acter « un retour à la normale » des relations entre Paris et Alger « après la période de froid pour ne pas dire de tension » et « rétablir la confiance » entre les deux nations, explique à Middle East Eye Hacen Ouali, journaliste et connaisseur des liens algéro-français.
Par « tension », notre interlocuteur fait référence à une série d’incidents qui ont émaillé le ciel des relations diplomatiques et économiques depuis un an.
L’expulsion des ressortissants algériens en situation irrégulière
À l’automne 2021, l’Algérie a convoqué l’ambassadeur de France à Alger après la décision de Paris de réduire le nombre de visas attribués aux ressortissants des pays du Maghreb.
À l’origine de cette mesure : le refus de ces derniers d’attribuer des laissez-passer consulaires à leurs ressortissants en situation irrégulière en France, condamnés par la justice française à une obligation de quitter le territoire.
« C’est une décision drastique, c’est une décision inédite, mais c’est une décision rendue nécessaire par le fait que ces pays n’acceptent pas de reprendre des ressortissants que nous ne souhaitons pas et ne pouvons pas garder en France », avait justifié Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement français, sur Europe 1 en septembre 2021.
Aux chiffres avancés par Paris en 2021 (à peine une vingtaine d’expulsions sur plus de 7 700 obligations de quitter le territoire français), Abdelmadjid Tebboune avait répondu qu’il s’agissait d’« un gros mensonge » et qu’il n’y avait « jamais eu 7 000 Algériens à expulser ». « La France a évoqué avec nous plus de 94 Algériens. Jamais il n’y en a eu 7 000 », avait-il avancé.
Depuis, la situation a évolué. Au premier semestre de l’année en cours, 9 685 algériens ont été expulsés de France, selon le ministre français de l’Intérieur, qui a admis que le chantage au visa ne fonctionnait pas. « Ça ne marche pas toujours aussi bien que cela. Il faut un rapport d’amitié avec les pays [d’Afrique du Nord] », a-t-il concédé le 29 juillet.
La mémoire
Aux tensions liées à ce sujet, s’est greffée une crise, plus grave, causée par les propos d’Emmanuel Macron le mois suivant.
Le président français s’était interrogé sur la réalité de l’existence de « la nation algérienne » avant la colonisation et avait évoqué « un système politico-militaire fatigué » et « construit » sur la « rente mémorielle ».
L’ambassadeur d’Algérie en France avait été rappelé et n’était retourné à son poste que plusieurs mois plus tard, après les regrets exprimés par le président français.
Depuis, les deux chefs d’État, qui ont, selon les termes rapportés par leurs entourages, « de très bonnes relations », ont échangé par téléphone et la relation bilatérale s’est progressivement dégelée, les visites à Alger de l’ex-ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ayant notamment contribué au réchauffement.
Ainsi, dès sa réélection à un deuxième mandat en avril, Emmanuel Macron a reçu un message d’Abdelmadjid Tebboune dans lequel il a exprimé ses « chaleureuses félicitations ». Il l’a également invité à venir en Algérie « pour une nouvelle page des relations algéro-françaises ».
Lors de cette visite, le sujet de la mémoire de la colonisation occupera une place centrale dans les discussions, selon des sources contactées par MEE. En amont, le président français a balisé le terrain.
À l’occasion de la fête de l’indépendance algérienne, il a notamment rappelé « son engagement à poursuivre sa démarche de reconnaissance de la vérité et de réconciliation des mémoires des peuples algérien et français », selon un communiqué de l’Élysée.
Une promesse rappelée par Abdelmadjid Tebboune : selon l’historien Benjamin Stora qui l’a rencontré, le président algérien aurait souligné « l’importance majeure d’un travail de mémoire sur toute la période de la colonisation ».
Ces bonnes intentions concordent avec le discours prononcé par Emmanuel Macron lors d’une récente visite à Douala (Cameroun), durant laquelle il a plaidé pour un langage de vérité sur le passé colonial de la France en Afrique. Mais Alger attend toujours un geste fort – même symbolique, comme a pu l’être la restitution des crânes des résistants algériens à la colonisation – de la part du chef de l’État français, qui a déjà fait beaucoup en faveur « de la réconciliation des mémoires », selon l’historien Benjamin Stora.
Le Sahel
En plus de ces questions mémorielles, le chef de l’Etat français va certainement aborder, avec les responsables algériens, le lancinant dossier de la sécurité régionale.
Dans cette zone, la France « s’inquiète beaucoup de sa perte d’influence en Algérie », estime Hacen Ouali, alors que dans ses anciennes colonies en Afrique – en particulier au Mali –, elle voit l’influence de la Russie grandir de jour en jour, particulièrement au Sahel, où le dernier soldat de l’opération Barkhane est parti le 15 août.
Dans ce jeu de positionnement diplomatique, la Russie n’est pas la seule nation à bousculer la France dans l’arène algérienne. La Turquie, la Chine et même des pays du Golfe, comme les Émirats arabes unis, tentent tous d’avoir une présence dans cette région stratégique.
Ces pays sont présents particulièrement en Libye avec un soutien actif à des factions rivales, ou encore au Mali à travers l’implantation de groupes armés ou le financement de groupes locaux.
La coopération économique
Depuis quelques années, la France voit son statut de « partenaire commercial privilégié » menacé par d’autres pays (Chine, Turquie, pays du Golfe), l’Algérie cherchant à diversifier ses partenaires.
Au premier semestre 2022, la Chine est toujours classée premier fournisseur de l’Algérie avec 16,5 % des importations. La France, qui occupait cette place jusqu’à 2013, se range désormais loin derrière avec 7,17 % des achats, suivie de près par le Brésil (6,51 %), l’Argentine (6,44 %), et l’Italie (5,83 %).
La France est le troisième client de l’Algérie derrière l’Italie et l’Espagne, qui achètent notamment du gaz algérien.
« Expurgée de toute arrière-pensée », selon les termes d’Abdelmadjid Tebboune, la relation entre l’Italie et l’Algérie devient, par exemple, au fil des années, de plus en plus stratégique. Pour se détacher de sa forte dépendance aux fournitures gazières russes, l’Italie s’est récemment tournée vers l’Algérie pour garantir un approvisionnement sécurisé en énergie.
En contrepartie, les Algériens ont obtenu des Italiens une promesse d’aide au développement pour l’industrie algérienne.
Signe que les temps sont durs pour les investissements français en Algérie : les autorités algériennes ont récemment refusé de renouveler les contrats de deux grandes sociétés, à savoir la RATP (Régie des transports parisiens), qui gérait le métro d’Alger et Suez, qui s’occupait de la gestion de l’eau dans la capitale. Un contrat avec le géant pétrolier Total a failli être rompu.
Une délégation menée par Geoffroy Roux de Bézieux, le président du principal syndicat patronal français, le MEDEF, en mai, n’a eu droit à aucune couverture des médias officiels et n’a pas été reçue par les autorités en dehors du ministre de l’Industrie, selon des sources gouvernementales contactées par MEE.
Le patronat français a souvent été accusé de considérer l’Algérie comme « un marché » sans réelle volonté d’investissement. C’est surtout sur ce point que les deux parties, algérienne et française, attendent le président Macron.
« Il faudrait qu’il [Emmanuel Macron] arrive à convaincre les petites et moyennes entreprises françaises qui ont des savoir-faire de s’intéresser au marché algérien et de créer des partenariats gagnant-gagnant »
- Charles Elias, chef d’entreprise français
« Il faudrait qu’il [Emmanuel Macron] arrive à convaincre les petites et moyennes entreprises françaises qui ont des savoir-faire de s’intéresser au marché algérien et de créer des partenariats gagnant-gagnant », préconise Charles Elias, chef d’entreprise français ayant fait partie de la délégation du MEDEF, contacté par MEE.
Le patron strasbourgeois, qui compte des entreprises dans les deux pays, note que « la jeunesse [algérienne] dynamique ne demande qu’à s’investir dans la vie professionnelle, construire et moderniser ce beau pays qu’est l’Algérie ».
Sur le plan énergétique, Emmanuel Macron devrait aussi évoquer avec Alger la possibilité d’augmenter le volume des exportations de gaz algérien vers la France. Une option difficile pour Alger, qui a toujours indiqué que ses capacités de production étaient limitées, à moins que les quantités livrées à l’Espagne, déjà affectées par une crise diplomatique, baissent encore.
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