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Monique Hervo : une vie de lutte aux côtés des Algériens

Monique Hervo a été un témoin privilégié de la violence coloniale à l’encontre des populations immigrées algériennes dans les bidonvilles de France. La militante était aussi une fervente partisane de l’indépendance de l’Algérie
Attachée viscéralement à l’Algérie, Monique Hervo confie à la fin de sa vie à ses amis son souhait de devenir algérienne. Sa naturalisation a lieu en 2018 (Twitter)
Attachée viscéralement à l’Algérie, Monique Hervo confie à la fin de sa vie à ses amis son souhait de devenir algérienne. Sa naturalisation a lieu en 2018 (Twitter)

Monique Hervo repose depuis le 24 mars au cimetière d’El Alia à Alger, auprès des moudjahidine (ancien combattants) dont elle avait embrassé la lutte pour l’indépendance, et dans un pays cher à son cœur, l’Algérie, au point de vouloir en devenir citoyenne et y être enterrée.

« Monique Hervo était Algérienne par solidarité car elle ne supportait pas les injustices », confie à Middle East Eye, très ému, son ami M’hamed Kaki, président de l’association de la mémoire de l’immigration Les Oranges et homme de théâtre.  

Il n’y a pas très longtemps, il lui rendait encore visite à Saint-Hilaire-sous-Romilly, un village de l’est de la France. Elle y vivait modestement, dans une caravane, comme elle l’avait fait dans sa prime jeunesse, auprès des travailleurs algériens et de leurs familles, à la Folie, un bidonville de Nanterre, au nord de Paris, qui n’existe plus aujourd’hui.

En ces lieux sinistres aux allures de ghetto, Monique Hervo avait donné un sens à sa vie en la mettant au service des autres, les sans-voix, les sans-parole. « Il faut garder tout ce qui peut faire preuve [des injustices] », disait-elle à M’hamed Kaki au cours de leurs rencontres.

Des origines prolétaires

Dans un hommage qu’il lui a rendu sur Mediapart, un autre de ses amis, l’écrivain et réalisateur Mehdi Lallaoui, évoque aussi avec tendresse et reconnaissance son engagement en faveur des habitants de la Folie.

« Être aux côtés des Algériens par une vie partagée. Au service de la lutte d’un peuple colonisé sans apporter mes ‘’bagages’’ d’Occidentale. Leur prouver ma solidarité. Tel est mon choix », lui avait confessé Monique Hervo, qui s’est éteinte le 20 mars à l’âge de 94 ans.

À la fois travailleuse sociale, militante anticolonialiste et associative, anthropologue et écrivaine, elle avait utilisé ses origines prolétaires (un grand-père cheminot, l’autre mineur, et une grand-mère qui travaillait dans une ferme) comme un ferment pour développer ses prises de conscience et nourrir sa foi de militante dévouée.

Son engagement est né très tôt, à 16 ans, lorsqu’elle s’est portée volontaire à la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, pour participer au brancardage des rescapés du camp d’extermination de Buchenwald (Allemagne) à leur descente du train à Paris.

Malgré une formation aux beaux-arts, Monique Hervo choisira plus tard, en 1956, d’intégrer le Service civil international (SCI), une ONG d’aide aux victimes de violence et d’injustice sociale. Elle apprend par un article en 1959 l’existence de la Folie et décide aussitôt de s’y rendre, accompagnée d’autres volontaires du SCI.

Sur place, la jeune militante, alors âgée de 30 ans, découvre la grande misère des immigrés algériens, un quart-monde où il n’y a pas d’eau courante, pas d’électricité et pas d’assainissement.

« On y souffrait de bien des maux qui sont attachés à l’univers concentrationnaire […]. Le froid, la malnutrition, la tuberculose, l’absence de moyens pour assurer l’hygiène élémentaire, les morsures de rats. On pouvait également y mourir de coups [donnés par la police] ayant, suivant l’expression consacrée, ‘’entraîné la mort avec l’intention de la donner’’ […] ou de noyade [en référence aux massacres du 17 octobre 1961] dans la Seine », note-t-elle dans un journal de bord où elle décrit la vie des habitants du bidonville.

À travers ses récits, Monique Hervo se révélera un vecteur de mémoire authentique. Pendant des années, elle intervient dans les médias, les écoles, les centres sociaux et colloques pour témoigner des injustices sociales et coloniales contre lesquelles elle s’est battue toute sa vie

Auprès d’eux, Monique Hervo passe douze années. Après avoir participé à la reconstruction de baraquements, elle deviendra écrivaine publique, aide aux devoirs pour les enfants et assistante sociale bénévole. Les habitants s’adressent aussi à elle pour les accompagner dans leurs démarches administratives.

En plus de son carnet, la jeune femme, animée par le désir de témoigner, prend des photos. « Elle voulait sortir de l’anonymat un endroit que la France ne voulait pas voir », commente M’hamed Kaki, qui évoque aussi des enregistrements d’entretiens avec des habitants ainsi que des questionnaires que Monique Hervo leur avait adressés pour décrire leurs conditions de vie pénibles et insalubres.

En 1971, ce fonds documentaire (reversé à l’Institut d’histoire du temps présent et aux Musées des mondes contemporains) a servi pour un ouvrage ethnographique, Bidonvilles : l’enlisement, écrit avec Marie-Ange Charras.

À la fois narratrice et actrice

Trente ans plus tard, Monique Hervo écrira un autre livre, Nanterre en guerre d’Algérie. Chroniques du bidonville 1952-1962, qui retrace les brutalités et les humiliations policières dans le contexte de la guerre d’indépendance de l’Algérie.

À la Folie, où étaient actifs des partisans du Front de libération nationale (FLN), elle était à la fois narratrice et actrice des événements.

Le 17 octobre 1961, elle prend part avec enthousiasme aux manifestations pacifiques des Algériens à Paris pour l’indépendance de leur pays.

« Noyée au milieu de ce peuple en marche vers son indépendance, ma participation reste pour moi un immense honneur que je dois aux militants de la Folie », racontera la militante à son ami Mehdi Lallaoui.

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Monique Hervo endosse également le rôle de témoin direct de la violente répression policière qui s’abat sur les marcheurs et leur traque les jours suivants.

Elle révèle ainsi dans son journal qu’« aux lendemains de la manifestation », les blessés par balle, à la sortie de l’hôpital, voient leur bulletin de sortie « directement remis à la police qui ‘’cueille’’ le blessé et l’emmène, croit-on savoir, pour trois ou quatre jours à Vincennes [au centre de rétention créé par Papon en 1959 pour les Algériens] ».

« D’ailleurs dans tous les hôpitaux, la police consulte la liste des arrivées et sorties des Algériens. C’est classique. C’est d’ailleurs pour cette raison que la majorité n’ira pas se faire soigner à l’extérieur, même dans un dispensaire, de peur de se faire arrêter. À la Folie, dans toutes les baraques des célibataires, il y a des blessés, même gravement atteints, des fractures », écrivait-elle.

Son témoignage résonnera en 1999, lors du procès en diffamation que l’ancien préfet de police Maurice Papon (ordonnateur de la répression) a intenté à l’historien Jean-Luc Einaudi, pour son livre Octobre 1961, un massacre à Paris.

Elle accuse elle-même Papon d’avoir créé des milices dans les bidonvilles peuplés par les Algériens pour instaurer un climat de terreur par la brutalité.

À travers ses récits, Monique Hervo se révélera un vecteur de mémoire authentique. Pendant des années, elle intervient dans les médias, les écoles, les centres sociaux et colloques pour témoigner des injustices sociales et coloniales contre lesquelles elle s’est battue toute sa vie.

À l’évidence, la question coloniale reste toujours un sujet de crispation. La preuve : le décès de Monique Hervo n’a donné lieu à aucune annonce officielle de la part du gouvernement français

Car après avoir quitté la Folie, l’impénitente activiste poursuivra ardemment son combat aux cotés des populations humbles, les mal-logés, les ouvriers et les étrangers.

Entre 1971 et 1973, elle participe à la création du GISTI (anciennement Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés) puis rejoint La Cimade (association de solidarité et de soutien politique aux migrants, réfugiés et déplacés) pour se charger des problématiques de l’immigration.

Monique Hervo apporte également son soutien aux travailleurs immigrés des foyers Sonacotra dans leur grève contre la hausse des loyers entre 1975 et 1980 et milite pour la destruction des logements les plus insalubres.

Attachée viscéralement à l’Algérie, elle confie à la fin de sa vie à ses amis son souhait de devenir algérienne. Sa naturalisation a lieu en 2018, au moment où le président français Emmanuel Macron annonce son intention d’engager un travail de mémoire sur la guerre d’indépendance.  

Mais à l’évidence, la question coloniale reste toujours un sujet de crispation. La preuve : le décès de Monique Hervo n’a donné lieu à aucune annonce officielle de la part du gouvernement français.

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