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Algérie : l’industrie automobile au cœur d’énormes enjeux

En signant, en octobre, un contrat avec la firme italienne Fiat pour la construction de véhicules en Algérie, le gouvernement entend relancer un secteur en stagnation depuis bientôt quatre ans
Les professionnels du secteur soulignent combien créer une telle industrie va être compliqué en l’absence d’un réseau de sous-traitance (AFP/Fayez Nureldine)
Les professionnels du secteur soulignent combien créer une telle industrie va être compliqué en l’absence d’un réseau de sous-traitance (AFP/Fayez Nureldine)

Après des années de combat pour retrouver son droit de vendre à nouveau des voitures, Abderrahmane Achaïbou croit enfin apercevoir le bout du tunnel.

En 2015, ce concessionnaire, victime du trafic d’influence d’hommes d’affaires proches du cercle des Bouteflika, s’était vu retirer toutes les marques (Kia, Ford, Isuzu) qu’il représentait en Algérie.

Une fois Abdelaziz Bouteflika déchu, en 2019, il n’avait pas récupéré son affaire. Car dès 2020, Abdelmadjid Tebboune, fraîchement élu, avait décidé de geler les importations de véhicules.  

C’est avec espoir qu’il a donc accueilli, le 17 novembre 2022, la publication de deux nouveaux décrets exécutifs destinés à relancer le marché automobile, l’un consacré à la concession – donc à l’importation et à la vente de véhicules neufs –, l’autre au montage et à l’industrie automobile.

Selon un des nouveaux décrets destinés à relancer le marché automobile, les constructeurs sont désormais obligés d’exporter une partie de leurs véhicules montés localement et auront l’obligation d’atteindre 30 % d’intégration (part fabriquée localement) dans un délai de cinq ans (AFP/Farouk Batiche)
Selon un des nouveaux décrets destinés à relancer le marché automobile, les constructeurs sont désormais obligés d’exporter une partie de leurs véhicules montés localement et auront l’obligation d’atteindre 30 % d’intégration (part fabriquée localement) dans un délai de cinq ans (AFP/Farouk Batiche)

On y apprend par exemple que les véhicules fonctionnant au diesel sont désormais interdits d’importation car trop polluants, et que la garantie des voitures ne pourra être inférieure à cinq ans, contre trois ans auparavant.

C’est dans le volet lié à l’industrie de montage automobile que la loi signée par le Premier ministre Aïmene Benabderrahmane apporte du nouveau.

Les constructeurs sont désormais obligés d’exporter une partie de leurs véhicules montés localement et auront l’obligation d’atteindre 30 % d’intégration (part fabriquée localement) dans un délai de cinq ans.

En attendant, les opérateurs qui souhaitent se lancer devront d’abord déposer leurs dossiers au ministère de l’Industrie qui leur attribuera des agréments.

Alors que certains professionnels du secteur s’inquiètent déjà « du temps » que cette procédure prendra, compte tenu des lourdeurs bureaucratiques existantes, les associations de consommateurs estiment que le nouveau décret « protège les automobilistes ».

Pénurie et flambée des prix de l’occasion

La promulgation de ces nouveaux textes de loi intervient trois ans après un arrêt quasi total des importations de voitures.

Dès son arrivée au pouvoir fin 2019, le président Abdelmadjid Tebboune avait accusé les constructeurs automobiles ayant installé des ateliers de montage de se limiter « à gonfler les pneus » et déclarait souhaiter installer « une véritable industrie automobile ».

Le chef de l’État avait décidé, dans la foulée, de ne plus autoriser les concessionnaires à importer de nouveaux véhicules.

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Conséquence : cette situation a créé une pénurie et fait grimper les prix des voitures d’occasion sur le marché. « Pour équilibrer le marché, il faudrait importer au minimum un million à un million et demi de voitures », estime pour Middle East Eye Mourad Saadi, un journaliste spécialisé dans l’automobile.

Un chiffre confirmé par Abderrahmane Achaïbou, qui rappelle que le marché algérien enregistre un énorme déficit de véhicules.

« N’oublions pas : la voiture crée de l’emploi. Or, aujourd’hui, en plus des particuliers, ce sont les entreprises et les institutions qui se retrouvent privées de cet outil indispensable », insiste-t-il auprès de MEE.

Pour créer une « véritable industrie automobile », comme l’a affirmé le président Tebboune, le gouvernement algérien a décidé de s’impliquer directement.

Le 13 octobre, il a signé un accord avec la firme italienne Fiat pour la construction d’une usine de montage de voitures de tourisme à Oran (ouest). 

Selon les estimations des deux parties, les premières voitures devraient sortir d’usine d’ici à fin 2023.

En attendant, la marque italienne, filiale du groupe européen Stellantis, qui comprend également Peugeot-Citroën et Opel, commencera par importer des modèles fabriqués ailleurs, notamment en Europe.

L’usine Renault, près d’Oran, fait partie des trois usines de montage qui ont été rouvertes (AFP/Farouk Batiche)
L’usine Renault, près d’Oran, fait partie des trois usines de montage qui ont été rouvertes (AFP/Farouk Batiche)

Les premiers agréments pour l’importation de véhicules de tourisme n’ont été donnés qu’au début du mois de mars. Sont concernées : la firme italienne Fiat, l’Allemande Opel et la Chinoise JAC. Les premières voitures Fiat sont arrivées dimanche 12 mars au port de Mostaganem (ouest).

« C’est ce qu’il faut faire, parce que seuls les constructeurs sont habilités à construire des voitures. Regardez la Russie ! Malgré les avancées technologiques, ce pays a fait appel à des entreprises comme Renault pour construire des voitures », observe Abderrahmane Achaïbou qui rappelle qu’un « concessionnaire ne peut que vendre des voitures ».

Mourad Saadi estime que « c’est une bonne chose » que les autorités s’engagent directement avec des constructeurs en « l’absence d’un véritable industriel local » dans le domaine de l’automobile.

La signature de l’accord entre le gouvernement algérien et Fiat a été suivie par la réouverture de trois anciennes usines de montage, fermées en 2019 : celle de Renault à Oran, de Hyundai à Tiaret (ouest) et de Kia à Batna (est).

Les trois unités ont pu alors à nouveau assembler des voitures à partir des pièces achetées avant leur fermeture et bloquées dans différents ports.

Mais cela ne devrait pas durer, selon le président Tebboune lui-même.

« L’ère du montage est révolue », a-t-il indiqué en décembre lors de l’inauguration de la Foire nationale d’Alger, un rendez-vous destiné à promouvoir la production locale.  

Le problème de la sous-traitance

De 2015 à 2019, les autorités algériennes avaient encouragé des investisseurs locaux à monter des usines d’assemblage de voitures, en contrepartie d’avantages fiscaux importants appliqués sur les kits de pièces de rechange pour les opérations de montage en CKD et SKD (produits non assemblés, totalement ou en partie).

En dehors du Français Renault, qui dispose d’une filiale propre en Algérie, plusieurs constructeurs mondiaux ont alors installé des unités de montage en association avec d’anciens concessionnaires locaux dans le but de créer une industrie automobile.

Le pari n’est pas gagné : tous les professionnels du secteur soulignent combien créer une telle industrie va être compliqué en l’absence d’un réseau de sous-traitance – pour les pièces détachées entre autres – à même de répondre à la demande des usines.

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Comme en témoignaient les rares entreprises spécialisées dans la fabrication de composants en plastique ou en verre présentes lors de la dernière foire de la production nationale, ce maillage de sous-traitance n’est pas à même de porter une industrie complète.

Les usines de montage automobile n’ont d’ailleurs, depuis leur ouverture, pas pu faire autre chose que de l’assemblage de kits importés. Problème : les avantages accordés par l’État n’ont pas fait baisser les prix des voitures, qui ont, au contraire, grimpé au fil du temps.

Après le déclenchement de la révolte populaire de février 2019, tous les propriétaires des usines d’assemblage proches du cercle Bouteflika ont été emprisonnés.

Ils ont été jugés et condamnés à de lourdes peines de prison pour « détournement de fonds publics », « escroquerie » et surtout « fuite de capitaux », la justice leur reprochant notamment d’avoir « gonflé les factures » des pièces importées pour faire sortir un maximum de devises à l’étranger.

Ils sont toujours en prison. Leurs entreprises ont été placées sous l’autorité d’administrateurs judiciaires désignés par la justice. Les nouvelles lois veulent corriger ces anomalies.

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