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Cannes 2022 : les surprises de la cinésphère arabe

En cette année 2022, les sélections mettent particulièrement en avant les femmes cinéastes, la cinématographie tunisienne ainsi que les réalisateurs issus de la diaspora
Après avoir présenté à Un certain regard 2018 son premier long métrage, Adam, la réalisatrice marocaine Maryam Touzani revient pour cette édition 2022 avec Le Bleu du caftan dont le sujet tourne à nouveau autour de la question de l’amour et des interdits en milieu de médina (AdVitam)
Après avoir présenté à Un certain regard 2018 son premier long métrage, Adam, la réalisatrice marocaine Maryam Touzani revient pour cette édition 2022 avec Le Bleu du caftan, dont le sujet tourne à nouveau autour de la question de l’amour et des interdits en milieu de médina (AdVitam)

Pour sa 75e édition, le Festival de Cannes continue d’accueillir des films issus des quatre coins du globe et notamment du monde arabe.

Les films du monde arabe

Dans la section Un Certain regard se distinguent deux films de réalisatrices arabes. Mediterranean Fever est réalisé par Maha Haj, Palestinienne et citoyenne israélienne.

Le film raconte l’histoire de Walid, 40 ans, Palestinien vivant à Haifa avec sa femme et ses deux enfants et cultivant sa dépression et ses velléités littéraires.

Il fait la connaissance de son nouveau voisin, Jalal, un escroc à la petite semaine. Les deux hommes deviennent bientôt inséparables : Jalal est persuadé d’aider l’écrivain en lui montrant ses combines ; Walid, quant à lui, y voit l’opportunité de réaliser un projet secret…

Le premier et précédent long métrage de Maha Haj, la comédie Personal Affairs, figurait déjà à Un Certain regard 2016 et présentait l’originalité de ne pas traiter une énième fois le conflit israélo-palestinien ; du moins pas directement. Mediterranean Fever semble en prolonger la veine socio-humoristique.

Après avoir présenté à Un certain regard 2018 son premier long métrage, Adam, la réalisatrice marocaine Maryam Touzani revient pour cette édition 2022 avec Le Bleu du caftan, dont le sujet tourne à nouveau autour de la question de l’amour et des interdits en milieu de médina.

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Lubna Azabal, qui jouait l’un des rôles principaux d’Adam, incarne ici une femme dont le mari est homosexuel. Comme pour Adam, pudeur et sensibilité devraient être au rendez-vous pour ce film qui, comme cela est souvent le cas avec les productions Ali n’ (la boîte de Nabil Ayouch), aborde un sujet sensible dans la société marocaine.

La Quinzaine des réalisateurs compte également trois films issus du monde arabe, dont deux représentant la Tunisie.

Sous les figues est également réalisé par une femme, en l’occurrence Erige Sehiri. Au milieu des arbres, de jeunes femmes et hommes qui travaillent à la récolte d’été développent de nouveaux sentiments, flirtent, essaient de se comprendre, trouvent – et fuient – des liens plus profonds.

Avec Sous les figues, Erige Sehiri semble confirmer son intérêt pour des groupes de personnes qui, chacune à sa manière, représentent un certain pan d’une société tunisienne post-révolutionnaire en plein questionnement identitaire

Réalisatrice et productrice de plusieurs courts métrages et films documentaires, Erige Sehiri a également réalisé le long métrage documentaire La Voie normale (2018), qui s’intéresse à des cheminots tunisiens.

Avec Sous les figues, elle semble confirmer son intérêt pour des groupes de personnes qui, chacune à sa manière, représentent un certain pan d’une société tunisienne post-révolutionnaire en plein questionnement identitaire.

L’autre film tunisien de la Quinzaine est Ashkal, réalisé par Youssef Chebbi, dont il s’agit du premier long métrage de fiction. Ashkal est un film policier à la tournure fantastique et prenant place à Carthage, où un flic enquête, sans imaginer un seul instant à quoi cela va le mener, sur l’assassinat d’un gardien de chantier.

 Enfin, Le Barrage est le premier long métrage du plasticien et réalisateur libanais Ali Cherri et concourt donc pour la Caméra d’or.

Au Soudan, près du barrage de Merowe, Maher travaille dans une briqueterie traditionnelle alimentée par les eaux du Nil. Chaque soir, il s’aventure en secret dans le désert pour bâtir une mystérieuse construction faite de boue. Alors que les Soudanais se soulèvent pour réclamer leur liberté, sa création semble prendre vie…

Les films de la diaspora

La diaspora arabe est une nouvelle fois omniprésente dans la sélection cannoise, faisant ainsi office d’indice quant à l’accès de plus en plus aisé aux métiers du cinéma offert à cette frange de la population mondiale qui, essentiellement jusqu’aux années 2000, n’a pas toujours pu bien bénéficier de cette possibilité.

Si la compétition officielle pour la Palme d’or ne comporte aucun film réalisé par un cinéaste issu d’un pays arabe (ce qui n’était pas le cas de l’édition 2021 qui comptait Haut et fort de Nabil Ayouch, reparti bredouille), notons la présence de Boy from Heaven, troisième long métrage de prise de vue réelle réalisé par l’artiste suédois d’origine égyptienne Tarik Saleh.

La reconnaissance à l’international du Caire Confidentiel a permis à Tarik Saleh de mettre en œuvre ce Boy from Heaven qui se déroule également dans la capitale égyptienne

Son précédent, le polar haletant Le Caire Confidentiel (2017), s’inspirait d’un fait réel en lui donnant pour cadre l’approche imminente des manifestations égyptiennes du Printemps arabe.

La reconnaissance à l’international du Caire Confidentiel a permis à Saleh de mettre en œuvre ce Boy from Heaven qui se déroule également dans la capitale égyptienne et qui raconte l’histoire d’Adam, un fils de pêcheur admis à l’université al-Azhar, institution sunnite par excellence.

Le jour de la rentrée, le grand imam de la mosquée al-Azhar meurt devant les étudiants. Débute alors une guerre sans pitié pour lui trouver un successeur. Le film s’annonce aussi engagé et trépidant que son prédécesseur. Signalons que les deux films n’ont pas été tournés en Égypte, faute d’autorisations, mais majoritairement au Maroc.

En compétition à Un certain regard, Harka est le premier long métrage de fiction de l’Américain d’origine égyptienne Lotfy Nathan qui concourt ainsi, comme Ali Cherri avec Le Barrage, pour la Caméra d’or.

Lotfy Nathan s’était fait remarquer avec son long métrage documentaire 2 O’Clock Boys (2013) qui s’intéressait à un groupe de motards sévissant à Baltimore, dans le nord-est des États-Unis.

Bien éloigné de ce continent, Harka se déroule en Tunisie. Il semble cependant continuer  à développer la question d’une certaine jeunesse en quête de liberté. Le film consiste en une parabole moderne sur la résistance.

Ali, un jeune Tunisien rêvant d’une vie meilleure, mène une existence précaire en vendant de l’essence de contrebande au marché noir local. À la mort soudaine de son père, il doit s’occuper de ses deux sœurs et de leur expulsion imminente. Suivra un combat pour conserver sa dignité.

L’une des Séances de minuit de Cannes 2002 verra la projection de Rebel, le nouveau long métrage des deux réalisateurs belges d’origine marocaine Adil El Arbi et Billal Fallah.

Amis d’enfance et auteurs de trois longs métrages belges dans les années 2010, ils ont percé récemment à Hollywood en réalisant le troisième volet de la tonitruante saga Bad Boys. Ils y préparent actuellement le long métrage Batgirl consacré à la super-héroïne de l’univers DC.

En parallèle de ces expériences américaines, ils reviennent en Belgique pour dévoiler sur la Croisette, avec Rebel, une plongée dans le conflit syrien. Kamal décide de se rendre en Syrie afin de venir en aide aux victimes de la guerre.

Mais à son arrivée, il est forcé de rejoindre un groupe armé et se retrouve bloqué à Raqqa. Son jeune frère Nassim, qui rêve de le rejoindre, devient une proie facile pour les recruteurs. Leïla, leur mère, tente alors de protéger son plus jeune fils. Nul doute que le film devrait comporter des scènes d’action et de tension caractéristiques du style sec et nerveux des deux réalisateurs.

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Rachid Bouchareb, cinéaste franco-algérien, propose quant à lui, dans la section Cannes Premières, son douzième long métrage, Nos frangins, qui revient sur l’affaire Malik Oussekine, une violence policière ayant entraîné la mort d’un jeune homme de 22 ans durant le mouvement de contestation étudiante de l’hiver 1986 à Paris.

Habitué à Cannes (Prix de la Jeunesse en 1991 pour Cheb ; Sélection officielle, Prix François-Chalais et Prix d’interprétation masculine collectif pour Indigènes en 2006 ; Sélection officielle pour Hors-la-loi en 2010), Bouchareb risque de ne pas passer inaperçu avec ce nouvel opus au sujet fort et encore très brûlant.

La Cour des miracles, présenté au Cinéma de la plage, est réalisé par la Française Carine May et le Français d’origine algérienne Hakim Zouhani. Le duo s’était déjà fait remarquer avec plusieurs courts métrages ainsi qu’avec leur premier long, Rue des Cités (2011), mêlant fiction et documentaire et présenté dans la programmation 2011 de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID).

Filmant régulièrement la banlieue d’Aubervilliers, dans laquelle ils ont grandi, May et Zouhani livrent des films drôles et touchants, bien éloignés des stéréotypes collant régulièrement à ce type de quartier et relatifs notamment aux personnes immigrées ou issues de l’immigration.

La rappeuse française Diam’s, absente de la scène depuis 2010, présentera son premier film, un documentaire intitulé Salam, par lequel elle évoque sa vie, son œuvre et également sa conversion à l’islam

Nul doute que La Cour des miracles, qui raconte l’histoire d’une directrice d’école d’Aubervilliers cherchant à en faire la première « école verte » de banlieue, prolongera avec talent ce style et ces thématiques propres à l’attachant duo.

Curiosité : en Séance spéciale, la rappeuse française Diam’s, absente de la scène depuis 2010, présentera son premier film, un documentaire intitulé Salam, par lequel elle évoque sa vie, son œuvre et également sa conversion à l’islam.

Le film est coréalisé par Houda Benyamina, cinéaste d’origine marocaine qui avait remporté la Caméra d’or à Cannes 2016 pour son premier long métrage, Divines, ainsi que par Anne Cissé.

Viva la Túnez

Notons enfin, dans la section Cannes Classics qui propose notamment de redécouvrir des classiques du 7e art en versions restaurées, la présence du cultissime Viva la muerte, réalisé en 1971 par l’Espagnol Fernando Arrabal et abordant les années du franquisme à travers le point de vue d’un enfant dont le père a disparu.

Ce film est de production franco-tunisienne car Arrabal, qui était interdit de séjour en Espagne franquiste, a dû tourner ses prises de vue extérieures en Tunisie.

Le cinéaste et théoricien du cinéma tunisien Férid Boughedir, à qui nous devons notamment le tout aussi culte Halfaouine, l’enfant des terrasses (1990), fut assistant-réalisateur sur le film d’Arrabal. Audacieux, provocateur et dérangeant, Viva la muerte est une pépite à rattraper d’urgence !

La Tunisie, dont la cinématographie rayonne à l’international depuis le début des années 2010, est donc particulièrement bien représentée à Cannes 2022, y compris dans la composition du jury de la Semaine de la critique, présidé par la réalisatrice Kaouther Ben Hania.

La comédienne et réalisatrice canadienne d’origine tunisienne Monia Chokri figure par ailleurs dans le jury de la Cinéfondation, présidé par le réalisateur égyptien Yousry Nasrallah.

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Le réalisateur et coordinateur de festivals marocains Hicham Falah fait partie du jury de l’Œil d’or et, enfin, le comédien français d’origine marocaine Djanis Bouzyani fait partie du jury de la Queer Palm.

En dépit de la belle présence de la Tunisie à cette édition 2022 du Festival de Cannes, il est permis de s’interroger sur le faible nombre de films arabes sélectionnés (d’autant que la plupart sont coproduits par des pays occidentaux).

De nombreux pays arabes n’y sont pas du tout représentés. Des films ont pourtant été produits et finalisés dans la plupart de ces pays depuis l’année dernière. Ceux réalisés par des cinéastes de la diaspora ont légitimement leur importance et leur place, mais ils ne doivent pas remplacer ceux réalisés au sein même du monde arabe. Gageons que l’édition 2023 du célèbre festival offrira l’occasion de rééquilibrer la balance.

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