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Ce que le Hamas attend d’Israël – et pourquoi les négociations sur un cessez-le-feu à Gaza sont au point mort

Alors que les deux parties aux négociations visent apparemment des objectifs similaires, le Hamas estime qu’un monde les sépare. Voici pourquoi
Une Palestinienne devant des immeubles résidentiels endommagés à Khan Younès, dans la bande de Gaza, le 13 mars 2024 (Ahmed Zakot/Reuters)
Par Lubna Masarwa à JÉRUSALEM et Daniel Hilton à LONDRES et Ragip Soylu à ANKARA

Sur le papier, les deux parties aux pourparlers de cessez-le-feu menés par les États-Unis au Caire visent les mêmes objectifs : la cessation des hostilités et l’échange d’otages israéliens contre des prisonniers palestiniens.

Cependant, du point de vue du Hamas, le mouvement palestinien et les Israéliens sont aux antipodes.

Le gouvernement israélien, sous la pression intérieure, donne la priorité à la libération des personnes capturées le 7 octobre.

Le Hamas, quant à lui, cherche non seulement à mettre fin complètement à la guerre, mais également à assurer un avenir dans lequel Gaza serait libérée du blocus qu’Israël impose à l’enclave côtière depuis seize ans.

« Le problème est, je pense, que nous avons une stratégie, et la stratégie par laquelle nous négocions est la stratégie d’un cessez-le-feu, et non la stratégie d’un échange d’otages », déclare Basem Naim, un responsable du Hamas.

Middle East Eye a obtenu la dernière proposition transmise par le Hamas à Israël via des médiateurs égyptiens et qataris.

Comme ceux présentés au Hamas depuis le sommet de Paris en janvier, il suggère de mettre fin à la guerre en trois phases.

Mais alors que les propositions faites au Hamas prévoient trois périodes de trêve qui, en théorie, permettraient de mettre un terme au conflit, le mouvement palestinien cherche quelque chose de plus concret.

« En fin de compte, les Américains ne sont ni des garants ni des médiateurs. Ce sont des adversaires, des ennemis »

- Basem Naim, un responsable du Hamas

Dans le plan du Hamas, la première phase verrait une « cessation temporaire des hostilités » et le retour des Palestiniens dans les zones résidentielles du nord de Gaza.

La deuxième phase commencerait par l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu permanent et le retrait complet des troupes israéliennes de la bande de Gaza.

Dans la troisième phase, Israël lèverait totalement le blocus qu’il impose à Gaza depuis 2007 et un plan de reconstruction quinquennal commencerait.

Le document suggère également un cadre pour l’échange de prisonniers et indique que les garants de l’accord devraient inclure la Turquie et la Russie.

Cela, dit Basem Naim, est dû au fait que les négociations penchent trop en faveur d’Israël lorsqu’elles sont menées par les États-Unis, qui soutiennent fortement Israël depuis le début de la guerre.

« En fin de compte, les Américains ne sont ni des garants ni des médiateurs. Ce sont des adversaires, des ennemis », dit-il à MEE.

Le Hamas affirme que les Israéliens devraient se retirer progressivement des zones densément peuplées. Premièrement, les Israéliens se dirigeraient vers l’est de la route al-Rasheed qui longe la côte, « permettant la libre circulation de la population locale ».

Après quatorze jours, les soldats israéliens devraient alors se déplacer à l’est de la route parallèle Salah al-Din et se déployer le long de la frontière entre Gaza et Israël, afin que les Palestiniens déplacés puissent atteindre d’autres zones du nord.

Ces dernières semaines, les pourparlers du Caire se sont fortement concentrés sur le retour des Palestiniens déplacés vers le nord.

La dernière proposition d’Israël suggère de permettre à certains des 1,7 million de Palestiniens déplacés, dont la plupart se trouvent dans des camps autour de Rafah, dans le sud de Gaza, de se réinstaller dans le nord.

Cette flexibilité a été évoquée par Washington, d’où le porte-parole du Département d’État américain, Matthew Millar, a déclaré la semaine dernière : « Il y avait un accord sur la table qui permettrait d’atteindre une grande partie de ce que le Hamas prétend vouloir réaliser, et ils n’ont pas accepté cet accord. »

Basem Naim, cependant, affirme que l’accord n’est pas à la hauteur de ce que le Hamas juge acceptable. Il s’agissait d’un « retour conditionnel », dit-il, et les conditions étaient fixées par Israël.

« En outre, les gens ne retourneraient pas chez eux, mais iraient dans des zones désignées qui seraient prédéterminées sur des cartes par l’occupation [Israël] », explique-t-il.

Surveillance et échange

La surveillance israélienne des activités à Gaza est une autre pierre d’achoppement.

Le Hamas affirme vouloir que les agences des Nations unies et les organisations internationales soient en mesure de mener des opérations d’aide humanitaire immédiatement et sans entrave. Cela inclut l’UNRWA, l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens, qui a été calomniée par Israël et a perdu au moins 178 de ses employés à Gaza dans des attaques israéliennes.

Le document-cadre exige également 60 000 unités préfabriquées et 200 000 tentes pour abriter les personnes déplacées, puis des travaux de reconstruction supervisés par l’ONU, l’Égypte et le Qatar, ainsi qu’une mobilité commerciale accrue.

Israël, selon Basem Naim, insiste pour maintenir ses contrôles stricts sur ce qui entre à Gaza, ce qui constitue un problème pour le Hamas.

« Même l’aide, ou tout ce qui arrivera pour la construction, serait accordée en fonction des conditions et des restrictions de l’occupation », dit-il.

Israël affirme que ses réglementations strictes concernant les marchandises entrant à Gaza sont conçues pour éviter que des matières potentiellement dangereuses ne tombent entre les mains du Hamas, bien que les agences humanitaires affirment que des règles arbitraires ont gravement entravé l’aide humanitaire. Le bureau des droits de l’homme de l’ONU a qualifié les restrictions israéliennes d’« illégales ».

Des Palestiniens tentent de rentrer chez eux dans le nord de Gaza, le 14 avril (Ramadan Abed/Reuters)
Des Palestiniens tentent de rentrer chez eux dans le nord de Gaza, le 14 avril (Ramadan Abed/Reuters)

Il y a ensuite la question de l’échange de prisonniers.

Sur les 240 personnes prises en otage le 7 octobre, 133 – des soldats et des civils israéliens, ainsi que 11 étrangers – sont toujours en captivité à Gaza. On pense que 50 des Israéliens disparus sont morts.

L’ONG palestinienne Addameer affirme qu’Israël détient 9 500 prisonniers politiques palestiniens.

Le Hamas propose des échanges dans les deux premières phases, et ses exigences sont différentes en fonction du type d’otage.

Les femmes, les enfants de moins de 19 ans, les infirmes, les personnes âgées et les femmes soldats seraient échangés au cours de la première phase. Le Hamas suggère que chaque Israélien serait échangé contre 30 à 50 prisonniers palestiniens, en fonction de leur valeur.

Les soldats de sexe masculin seraient libérés au cours de la deuxième phase en échange d’un nombre de Palestiniens devant être précisé ultérieurement. Les dépouilles des otages décédés seraient remises dans une troisième phase, en échange des corps de Palestiniens détenus par Israël.

« Israël ne parlera absolument pas d’un cessez-le-feu global, complet et permanent »

– Sari Orabi, auteur et chercheur palestinien

Méfiant à l’idée qu’Israël arrête de nouveau des Palestiniens libérés, le Hamas veut des garanties juridiques pour chacun d’entre eux. De la même manière, il souhaite que tous ceux qu’Israël a libérés puis réarrêtés après l’échange de Gilad Shalit en 2011 soient libérés. Il exige par ailleurs de meilleures conditions de détention pour les prisonniers palestiniens.

Bien que des Israéliens au fait des négociations aient suggéré à MEE que les échanges de prisonniers constituaient l’aspect le moins problématique des négociations, une difficulté est apparue. Israël exige la libération immédiate de 40 captifs, dont toutes les femmes, malades et personnes âgées, en échange de centaines de prisonniers palestiniens. Or, le Hamas affirme qu’il ne reste pas suffisamment de personnes en vie répondant à ces critères et refuse de libérer des soldats de sexe masculin à leur place.

Lundi, le porte-parole du département d’État américain Matthew Miller a déclaré que le Hamas avait « déplacé le poteau de but » et modifié ses exigences concernant les otages, sans toutefois préciser comment le mouvement palestinien avait changé sa position de négociation.

Le Hamas a rejeté ce qu’il a qualifié de « fausses accusations », affirmant dans un communiqué de presse que les propos américains n’avaient « aucun rapport avec la réalité » et accusant Washington d’être « un partenaire à part entière dans la guerre d’extermination contre notre peuple ».

Le groupe a ajouté que ses exigences étaient « claires dès le premier jour » et que c’étaient le Premier ministre israélien et son gouvernement qui faisaient obstacle à un accord.

Pas de pression sérieuse

Sari Orabi, auteur et chercheur palestinien basé en Cisjordanie occupée, s’attend à ce que le Hamas et Israël rencontrent de sérieuses difficultés aussi longtemps que les Israéliens seront déterminés à poursuivre la guerre.

« Israël ne parlera absolument pas d’un cessez-le-feu global, complet et permanent, du retrait de ses forces de Gaza, ainsi que de la levée du siège et du début de la reconstruction », déclare-t-il à MEE.

« C’est la principale raison de l’incapacité à conclure un accord. »

Le Hamas n’est pas pressé de perdre ses moyens de pression, notamment en libérant des soldats de sexe masculin.

Et même si la pression populaire s’accentue sur le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou afin qu’il obtienne la libération des otages, l’opinion publique s’oppose fermement à la fin de la guerre.

L’obsession occidentale pour Netanyahou est déplacée. La plupart des Israéliens veulent que la guerre continue
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Un récent sondage révèle que la grande majorité des Israéliens pensent que leur gouvernement ne devrait pas accepter les demandes du Hamas, notamment le retrait de Gaza.

Sari Orabi affirme qu’aucune « pression sérieuse » n’a été exercée sur Israël par le principal médiateur au Caire – à savoir les États-Unis – et que cela a également joué un rôle.

Alors que Washington est si clairement pro-israélien et que l’Égypte et le Qatar se contentent de servir d’interlocuteurs, il existe un déséquilibre dans les négociations, estime le chercheur.

« L’Amérique est un partenaire dans cette guerre, c’est pourquoi elle gère les négociations du point de vue israélien et en faveur des intérêts israéliens. »

Traduit de l’anglais (original) et actualisé.

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