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Coupe d’Asie 1968 : le face-à-face Iran-Israël

Alors que la 18e édition de la Coupe d’Asie des nations de football a démarré à Doha sur fond de guerre, MEE revient sur une édition antérieure qui s’est également déroulée dans un contexte de conflit
Image d’archive de la finale de la Coupe de l’AFC entre Israël et l’Iran, le 19 mai 1968, au stade Amjadieh de Téhéran (capture d’écran/Youtube)

Dans un contexte tendu et tragique pour la région, l’Iran a affronté la Palestine dans la capitale qatarie dimanche 14 janvier, pour leur premier match de la Coupe d’Asie de la Confédération asiatique de football (AFC).

Le tournoi quadriennal a été lancé vendredi 12 janvier à Doha, avec presque la moitié des 24 équipes en lice issues du Moyen-Orient : Qatar, Liban, Syrie, Iran, Émirats arabes unis, Palestine, Irak, Jordanie, Bahreïn, Arabie saoudite et Oman.

Le tournoi a démarré pour l’équipe palestinienne après que plus de 24 000 Palestiniens ont été tués par les bombardements israéliens sur la bande de Gaza assiégée au cours des trois derniers mois.

Après sa défaite inaugurale dimanche contre l’Iran 4-1, la Palestine (groupe C) a obtenu le nul 1-1 contre les Émirats arabes unis, à Al-Wakrah (sud de Doha).

Comme lors de leur entrée en lice dimanche, les joueurs palestiniens ont été fortement soutenus par le public, une grande partie des 42 000 spectateurs arborant des keffiehs et brandissant des drapeaux ou des écharpes « Free Palestine ».

Si Israël est géographiquement situé au Moyen-Orient et donc sur le continent asiatique, il n’est pas membre de l’AFC et ne participera donc pas au tournoi.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Israël a participé aux quatre premières éditions de la Coupe d’Asie de l’AFC, entre 1956 et 1968, et a remporté la coupe en tant que pays hôte en 1964.

Seules quatre équipes ont participé à l’édition de 1964, après que onze des seize pays participants, pour la plupart des États à majorité musulmane, se sont retirés.

Quatre ans plus tard, Israël a fait le déplacement en Iran pour défendre son titre, quelques mois seulement après que la guerre de 1967 eut bouleversé la situation politique au Moyen-Orient.

Deux décennies plus tôt, Israël avait déplacé des centaines de milliers de Palestiniens et s’était approprié de vastes territoires lors de la Nakba, la catastrophe de 1948. Aujourd’hui, à la suite du conflit de 1967, Israël occupe la bande de Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem-Est, la péninsule égyptienne du Sinaï et le plateau du Golan en Syrie.

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L’équipe de football israélienne a atterri à Téhéran dans ce contexte, en visite dans un pays avec lequel Israël avait auparavant entretenu des relations relativement cordiales, sous le règne du shah Mohammad Reza Pahlavi, par rapport aux États voisins de la région.

Selon un article d’Or Hareuveny et Yehuda Blanga, chercheurs à l’Université israélienne de Bar-Ilan, cette rencontre sportive a constitué un tournant décisif dans l’évolution des relations de l’Iran avec Israël et sa population juive minoritaire.

La guerre de juin 1967 a renforcé la solidarité iranienne avec la cause palestinienne, tant auprès de la population que des médias.

À l’occasion de la Coupe d’Asie en mai 1968, les autorités iraniennes avaient accepté d’accueillir l’équipe israélienne à un moment où les autres pays du Moyen-Orient boycottaient toutes les équipes sportives israéliennes.

Les historiens Or Hareuveny et Yehuda Blanga ont toutefois constaté « une nette différence entre l’attitude des autorités et celle de la population iranienne ».

Israël et l’Iran se sont affrontés lors du match final du tournoi, le 19 mai 1968, devant 30 000 spectateurs au stade Amjadieh de Téhéran.

L’atmosphère était hostile à l’équipe israélienne : des cassettes et des têtes de poulet auraient été jetées sur les joueurs israéliens, et des slogans antisémites auraient été scandés depuis les tribunes.

Israël a pris l’avantage à la 56e minute grâce à un but du milieu de terrain Giora Spiegel. L’Iran est revenu grâce à deux buts tardifs de l’attaquant Homayoun Behzadi et du milieu de terrain Parviz Ghelichkhani, remportant ainsi le match 2-1 et ainsi la victoire finale de la Coupe.

Un match regardé par l’ayatollah Ali Khamenei

Des images granuleuses d’environ 40 secondes du match existent sur YouTube, montrant les deux buts de l’Iran en fin de match et les célébrations de liesse après le coup de sifflet final.

Des décennies plus tard, le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, racontera avoir regardé le match.

« À l’époque, j’étais un jeune étudiant du séminaire islamique », a-t-il déclaré en 1983, selon les médias iraniens.

« L’ambiance générale à Téhéran était hostile à l’équipe israélienne. Après le match, tous les habitants de Téhéran ont manifesté leur joie pour cette victoire. Le chauffeur de taxi m’a lancé : “Tu as vu comment on a marqué ?”  Cela prouvait que le peuple iranien était mécontent de la coopération du shah avec Israël », a poursuivi Khamenei.

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L’hostilité ressentie par certains juifs iraniens pendant le tournoi a incité le conseil de la communauté juive de Téhéran à contacter l’ambassadeur d’Israël et à envisager une migration vers Israël, selon Or Hareuveny et Yehuda Blanga.

Dans les années qui ont suivi le match, le nombre de juifs à avoir quitté l’Iran pour s’installer en Israël n’a cessé d’augmenter pour se chiffrer à plusieurs dizaines de milliers.

Au niveau footballistique, les Iraniens ont remporté les deux Coupes d’Asie suivantes, marquant ainsi l’âge d’or de leur équipe nationale de football.

Pour Israël, c’est une autre histoire. Les boycotts des pays arabes se sont poursuivis et, en 1974, Israël a été officiellement expulsé de l’AFC après le soutien, par dix-sept voix contre treize, d’une motion du Koweït en faveur de l’exclusion d’Israël.

Israël s’est ainsi retrouvé dans le désert du football pendant deux décennies, jusqu’à ce qu’il soit accepté au sein de l’Union des associations européennes de football (UEFA) en 1994. Il reste le seul membre de l’UEFA à n’avoir aucun territoire sur le continent européen.

Alors que l’assaut d’Israël contre les Palestiniens de Gaza se poursuit et que sa campagne militaire est examinée par la Cour internationale de justice pour la charge de génocide, la question de la participation d’Israël à toute instance dirigeante du football risque de se poser à nouveau.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

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