Normalisation avec la Syrie : le plan jordanien pour réhabiliter Assad avant le sommet de la Ligue arabe en mai
Le retour des réfugiés, la contrebande et les milices font partie des questions clés que la Jordanie cherche à résoudre avec la Syrie dans le cadre de son plan de normalisation entre les pays arabes et Damas, selon des responsables jordaniens interrogés par Middle East Eye.
Ce plan est basé sur le principe de réciprocité, souligne Mohammad Momani, membre de la Commission des relations arabes et étrangères du Sénat jordanien. « Aidez-nous pour que nous puissions vous aider », résume-t-il.
Ces dernières semaines, la normalisation des relations entre la Syrie et ses voisins arabes s’est accélérée : l’Arabie saoudite est le dernier pays en date à avoir renoué publiquement avec Damas.
En 2021, la Jordanie, qui a accueilli quelque 675 000 réfugiés syriens, a ouvert un passage frontalier clé avec la Syrie et entamé des pourparlers de haut niveau avec ses responsables.
Les relations se sont néanmoins avérées délicates, dans la mesure où la contrebande transfrontalière d’armes et de stupéfiants a pris une dimension parfois meurtrière et contribué à l’augmentation des problèmes liés aux stupéfiants dans le royaume.
Selon Mohammad Momani, la question des réfugiés est l’une des principales priorités de l’initiative jordanienne en vue d’un accord avec la Syrie.
Amnistie générale
Ce plan, qui vise à résoudre les problèmes entre la Syrie et les autres pays arabes et à contribuer à mettre fin à onze années de guerre en Syrie, est fondé sur « des mesures positives que le régime syrien prendra à l’égard des réfugiés, à savoir qu’une amnistie générale sera déclarée pour permettre aux réfugiés de rentrer chez eux ».
L’initiative réclamera également une réforme sécuritaire en Syrie et soulignera la nécessité d’empêcher les milices pro-Assad, dont beaucoup sont soutenues par l’Iran, de menacer la sécurité régionale, précise-t-il.
« Il faut qu’ils s’attaquent à la contrebande de stupéfiants et d’armes. Cela sera perçu comme une mesure positive et la communauté internationale leur rendra la pareille », poursuit Mohammad Momani.
Ancien ministre d’État aux Affaires des médias, Mohammad Momani ajoute que le ministre des Affaires étrangères tient à communiquer à la Syrie l’idée de réciprocité.
« Nous, Jordaniens et Arabes, avons intérêt à ce que la Syrie revienne dans le giron arabe. Nous devons clore le dernier chapitre », soutient-il. « La Syrie doit revenir, c’est une position réaliste. Les Syriens doivent pouvoir bénéficier de la sécurité et de la stabilité afin de pouvoir revenir et vivre dans la dignité. »
Bien que le rapprochement jordanien avec la Syrie ne se soit pas fait sans heurts ces dernières années, le fait que plusieurs autres pays arabes aient ouvert des ambassades à Damas et accueilli le président syrien Bachar al-Assad a suscité des craintes à l’idée qu’Amman soit laissé pour compte.
De même, les pays arabes ont le sentiment d’avoir perdu leur influence en Syrie après que nombre d’entre eux ont rompu leurs liens avec Assad à la suite de la répression meurtrière des manifestations en 2011.
Selon une source gouvernementale jordanienne s’exprimant sous couvert d’anonymat, « l’initiative vise à répondre à la réalité actuelle en Syrie, afin de ne pas laisser la région ouverte à d’autres alors que les Arabes sont absents depuis des années ».
« L’initiative vise à répondre à la réalité actuelle en Syrie, afin de ne pas laisser la région ouverte à d’autres alors que les Arabes sont absents depuis des années »
- Une source gouvernementale jordanienne à MEE
D’après cette source, l’accord « ne sera pas gratuit ou sans conditions ».
Amman prévoit de préparer un projet et de consulter ensuite les autres pays arabes, qui devraient présenter leurs propres conditions pour une normalisation totale avec la Syrie.
« Par exemple, la Jordanie est préoccupée par la contrebande d’armes et de stupéfiants en provenance de Syrie et par la nécessité d’obtenir des efforts plus soutenus de la part des Syriens pour résoudre ce problème », souligne notre source.
En contrepartie, la Jordanie, par le biais de ses échanges avec les pays arabes, cherchera à réduire progressivement les sanctions imposées au gouvernement d’Assad et commencera à travailler à la reconstruction et au retour des réfugiés.
Réduire la présence de groupes soutenus par l’Iran
Selon la source, il serait question d’un effort de réconciliation nationale comprenant la libération de prisonniers et le lancement d’un processus politique démocratique qui déboucherait sur des élections législatives libres.
Les échanges de la Jordanie avec les pays arabes ont déjà commencé. Samedi, le roi Abdallah II s’est rendu à Bahreïn, qui a rouvert son ambassade à Damas en 2019.
Le ministre jordanien des Affaires étrangères Ayman Safadi a également reçu mardi son homologue libanais Abdallah Bou Habib.
Lors de sa rencontre avec Abdallah Bou Habib, Ayman Safadi a déclaré que la Jordanie coordonnait son action avec la communauté internationale.
Il a ajouté qu’Amman souhaitait parvenir à une solution politique qui engagerait le gouvernement syrien via des mesures réciproques visant à mettre progressivement un terme à cette crise tout en abordant ses problématiques d’ordre politique, humanitaire et sécuritaire.
Après avoir été confrontée à une décennie de conflit dans son voisinage, la Jordanie espère que son initiative aura des retombées économiques et sécuritaires importantes. L’instabilité qui accompagne le conflit a contribué au déclin économique du royaume, qui partage 375 km de frontière avec la Syrie.
Selon Maamoun Abu Nuwar, général jordanien à la retraite et expert militaire, l’un des principaux souhaits d’Amman est de réduire la présence de groupes soutenus par l’Iran aux abords de la frontière jordanienne, qu’il juge responsables des opérations de contrebande qui gangrènent le royaume.
« De plus, la Jordanie espère en tirer un avantage économique et commercial. Mais la question à laquelle il est difficile de répondre est de savoir si cette initiative aboutira sans l’approbation des États-Unis ni l’assentiment de la Russie », ajoute-t-il.
Washington continue de s’opposer à tout rapprochement avec Damas et dirige un régime de sanctions occidentales strictes à l’encontre de la Syrie. Quant à la Russie, elle est l’un des principaux soutiens d’Assad et dispose d’une présence militaire significative en Syrie depuis qu’elle est intervenue dans la guerre au nom du gouvernement en 2015.
En parallèle, les relations entre Washington et Moscou sont au plus bas depuis l’invasion russe de l’Ukraine.
Normalisation en marche avec le régime #syrien. Après l’ouverture de son ambassade, le ministre des AE des #EmiratsArabesUnis reçu par #Assad à #Damas. Le retour de la #Syrie au sein de la #Ligue_Arabe est à l’ordre du jour. pic.twitter.com/mHrL0KS8fH
— Hasni Abidi (@hasniabidi) November 9, 2021
Malgré ces obstacles potentiels, la Jordanie accélère ses efforts pour discuter d’une normalisation des relations de la Syrie avec les pays arabes, dans l’espoir de mettre en place un plan viable avant le sommet de la Ligue arabe prévu le 19 mai à Riyad.
Selon les informations relayées, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Fayçal ben Farhane al-Saoud, se rendra à Damas dans les prochains jours pour transmettre à Assad une invitation officielle au sommet. La Syrie a été suspendue de la Ligue arabe en 2011.
Néanmoins, selon Maamoun Abu Nuwar, l’initiative jordanienne « se heurtera à un mur », à savoir le projet de l’ONU soutenu par l’Occident visant à résoudre la problématique syrienne par le biais d’une nouvelle Constitution et de nouvelles élections. « Cela ne sera pas acceptable pour le régime d’Assad », précise-t-il.
La menace d’un veto américain
L’ancien général estime que la menace d’un veto américain à l’initiative jordanienne plane, en particulier depuis la parution dans le quotidien jordanien Al Ra’i d’une interview de l’ambassadeur américain en Jordanie, Henry Wooster.
Dans cette interview, le diplomate a critiqué la normalisation croissante des relations avec le gouvernement syrien et souligné que la feuille de route de 2015 de l’ONU était la bonne voie à suivre.
« Les États-Unis ne soutiennent pas la normalisation des relations avec le régime d’Assad et n’envisagent pas que cela se produise prochainement », a-t-il affirmé.
Interrogé par MEE, Amer Sabaileh, professeur de sciences politiques, souligne que si les pays arabes tiennent compte des faits sur le terrain dans leur rapprochement avec la Syrie, la position des États-Unis est étroitement liée à leur vision de la Russie.
« D’autant plus qu’il y a aujourd’hui un conflit ouvert entre l’Europe et les États-Unis d’une part et la Russie d’autre part », surenchérit-il.
« La crise syrienne restera ouverte pendant un certain temps puisque ces questions sont liées entre elles. »
Bien que les États arabes puissent parvenir à leurs propres accords avec Damas, la question des sanctions occidentales persistera.
« Les États-Unis ne sont prêts à aucun compromis sur ce sujet. Les pays qui participent à cette initiative seront dans une position délicate car ce sont les États-Unis qui décident. Mais certains, comme les Émirats arabes unis, pensent que si cette question est résolue à l’échelon arabe, elle passera ensuite à l’échelon international », explique Amer Sabaileh.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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