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Poignée de main entre Erdoğan et Sissi : le Qatar planifiait la rencontre depuis des mois

La Coupe du monde est l’occasion pour Doha de rapprocher les peuples et de jouer sur les rivalités régionales en renforçant ses relations avec l’Égypte
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan serre la main de son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi en marge de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde à Doha (Reuters)
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan serre la main de son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi en marge de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde à Doha (Reuters)
Par Ragip Soylu à ANKARA, Turquie

Ce n’est pas une coïncidence si l’émir du Qatar Tamim ben Hamad al-Thani a été photographié souriant, à l’arrière-plan, lorsque le président turc Recep Tayyip Erdoğan et son homologue égyptien Abdel-Fattah al-Sissi ont échangé leur première poignée de main juste avant la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde dimanche. 

Plusieurs sources au fait de cette rencontre ont rapporté à Middle East Eye que Doha négociait une brève entrevue entre les deux anciens ennemis depuis l’été.

Une source turque précise qu’Erdoğan n’était pas très enthousiaste à l’idée de serrer la main de quelqu’un qu’il avait précédemment qualifié de « meurtrier » et de « dictateur ».

« Le Qatar voulait que tous les problèmes entre les deux pays soient résolus et l’émir désirait que cette poignée de mains ait lieu lors de la Coupe du monde »

- Une source turque à MEE

L’animosité d’Erdoğan à l’égard de Sissi est une réaction au putsch égyptien de 2013, qui a renversé le gouvernement démocratiquement élu et réprimé dans le sang toute critique.

« Le Qatar voulait que tous les problèmes entre les deux pays soient résolus et l’émir désirait que cette poignée de mains ait lieu lors de la Coupe du monde », indique notre source. 

Malgré des négociations de réconciliation depuis un an entre la Turquie et l’Égypte, les relations sont toujours fragiles pour plusieurs raisons : des intérêts rivaux en Libye à la présence des dirigeants des Frères musulmans en Turquie.

Mais les responsables turcs pensent que ce que Le Caire cherchait vraiment, c’était une poignée de main avec Erdoğan, signal d’une reconnaissance totale de Sissi comme président légitime de l’Égypte. 

Comme ils s’y attendaient, la présidence égyptienne a affirmé dans un communiqué officiel lundi que cette rencontre allait marquer « le début du développement de relations bilatérales ».

Diplomatie par le sport

Plusieurs théories peuvent expliquer ce qui a motivé les Qataris à obtenir cette réconciliation. 

Ali Bakir, chercheur principal à l’Atlantic Council, un think tank américain, assure que « l’initiative de la poignée de main » des Qataris n’avait pas de mobile politique.

« Elle s’ancre davantage dans la diplomatie par le sport », explique-t-il à MEE. « Les Qataris souhaitaient montrer que le sport peut être un formidable outil pour promouvoir la paix, la stabilité et la prospérité pour toutes les nations, y compris celles enferrées dans le conflit. »

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Bakir ajoute que Doha prévoyait originellement des initiatives similaires comme arranger une autre poignée de mains entre le roi du Maroc et le président de l’Algérie, rivaux acharnés qui n’ont actuellement aucune relation diplomatique. Mais cela ne s’est pas concrétisé du fait de l’absence du roi Mohammed VI, selon Bakir. 

Le Qatar a un intérêt politique à rapprocher les deux pays. Depuis la fin du blocus du Qatar en janvier 2021, Doha noue ses propres relations avec l’Égypte, s’engageant davantage ces derniers mois avec l’injection de 3 milliards de dollars dans la Banque centrale égyptienne et la visite de Sissi dans la capitale qatarie. 

Le Caire veut également diversifier son portefeuille de créanciers dans le Golfe, sans lesquels il ne peut survivre sur le plan économique. Certains initiés à Ankara affirment que ces derniers mois, il y a eu des tensions au sein du bloc qui visait précédemment le Qatar, avec les Saoudiens et les Égyptiens d’un côté et les Émirats arabes unis de l’autre.

Bakir est persuadé que le rapprochement turco-égyptien raffermira à son tour les relations entre les Qataris et les Saoudiens, et pourrait involontairement pousser les Émirats arabes unis à approfondir davantage sa relation avec la Turquie. 

Il y a un autre sujet dont le Qatar veut bénéficier : la Libye. 

« Le Qatar a intérêt à s’assurer que les relations aillent mieux à travers la région, avec un accent particulier vers la Libye », indique Andreas Krieg, professeur au King’s College de Londres. « Le Qatar tente d’aligner les bailleurs de fonds étrangers de la Libye pour préparer le terrain en vue d’un accord politique plus durable. »

« Le Qatar tente d’aligner les bailleurs de fonds étrangers de la Libye pour préparer le terrain en vue d’un accord politique plus durable »

- Andreas Krieg, professeur au King’s College de Londres

Depuis 2019, lorsque les forces de l’Est de la Libye ont attaqué sans succès le gouvernement reconnu par la communauté internationale à Tripoli, la Turquie est enlisée dans une rivalité avec les Émirats arabes unis et l’Égypte, qui ont soutenu cette offensive. 

En octobre, Le Caire a protesté contre la signature par le gouvernement turc de l’accord pour la prospection d’hydrocarbures avec le gouvernement libyen d’unité nationale et a déclaré que Tripoli n’avait pas l’autorité nécessaire là-dessus puisque son mandat avait expiré.

Selon Krieg, le Qatar a désormais la confiance de la Turquie et de l’Égypte, malgré l’animosité de ces dernières années, et cette confiance a en définitive abouti à la poignée de main entre Sissi et Erdoğan.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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