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EXCLUSIF : D’après sa famille, Morsi savait que ses jours étaient comptés

À l’occasion de l’anniversaire du massacre de la place Rabia, la veuve et le fils de Morsi confient à MEE que le président déchu savait que l’Occident ne laisserait jamais les islamistes gouverner l’Égypte
Des gens font le symbole de Rabia tandis qu’une photo de l’ancien président égyptien Mohamed Morsi est brandie lors d’une cérémonie funèbre symbolique, dans la mosquée Fatih à Istanbul, en 2019 (AFP)

Mohamed Morsi savait « dès le départ » qu’on ne le laisserait pas aller au bout de son mandat en tant que président et qu’être le premier président démocratiquement élu d’Égypte pourrait lui coûter la vie, confient sa veuve et son fils à Middle East Eye.

Dans leur premier long entretien, la veuve de Mohamed Morsi, Naglaa Mahmoud, et son fils Ahmed indiquent que Morsi avait prévenu sa famille lors de sa présidence en 2012-2013 que l’Occident ne laisserait jamais les islamistes gouverner l’Égypte.

Morsi, candidat des Frères musulmans, a remporté la première élection présidentielle libre d’Égypte en 2012, après l’éviction de l’autocrate de longue date Hosni Moubarak l’année précédente. Cependant, des forces tant en Égypte qu’à l’étranger se méfiaient de la confrérie et de l’islam politique.

« Même si le projet islamique est ouvert, civilisé, précieux et en faveur de la coexistence pacifique, il savait que certains pays de la région entraveraient ses progrès »

- Naglaa Mahmoud, veuve de Morsi

« Même si le projet islamique est ouvert, civilisé, précieux et en faveur de la coexistence pacifique, il savait que certains pays de la région entraveraient ses progrès », rapporte Naglaa Mahmoud à MEE dans un échange de courriers électroniques.

« Et qu’il était susceptible d’être tué et que ni les institutions de Moubarak ni l’État profond et ses membres corrompus ne l’accepteraient. Morsi était honnête et il croyait en un projet islamiste, civil, démocratique et libre. »

Malgré cela, Mohamed Morsi « a tenté de compter sur la volonté du peuple et l’aspiration des masses », ajoute sa femme.

« En ce qui me concerne, je ne m’y attendais pas, mais je croyais ce qu’il disait car les prédictions du président s’avéraient toujours. Cependant, j’étais prête. »

L’épouse de Morsi, Naglaa Mahmoud, assiste à l’un des rassemblements de campagne de son mari, au Caire en 2012 (AFP)
L’épouse de Morsi, Naglaa Mahmoud, assiste à l’un des rassemblements de campagne de son mari, au Caire en 2012 (AFP)

Ahmed indique que la famille est convaincue que son père et son frère aîné ont été assassinés par le gouvernement d’Abdel Fattah al-Sissi, le ministre de la défense de Morsi qui s’est emparé du pouvoir grâce à un coup d’État en 2013 et qui est aujourd’hui président.

Morsi, ainsi que des centaines d’autres membres et dirigeants des Frères musulmans, a été arrêté à la suite de son éviction. Il est décédé d’une crise cardiaque pendant une audience en juin 2019. Des spécialistes de l’ONU estiment que ses conditions de détention pourraient s’apparenter à un meurtre cautionné par l’État.

Ahmed raconte à MEE que son père s’est plaint à maintes reprises que sa vie était en danger lors des audiences mais que personne n’avait répondu à ses appels et que sa santé s’était détériorée.

« Sa mort n’est assurément pas naturelle et nous avons demandé une enquête pour le prouver. Nous continuons d’affirmer le besoin de transparence et [de demander] que la vérité soit établie », écrit Ahmed.

Père et fils

Le frère cadet d’Ahmed, Abdallah, a fait campagne pour obtenir une enquête internationale sur la mort de son père, avant d’être lui aussi emporté par la mort dans des circonstances mystérieuses.

Ahmed assure que le jeune homme de 25 ans n’avait aucun problème de santé connu avant son décès, qui a été imputé à une crise cardiaque par les autorités.

« Il ne souffrait d’aucune maladie chronique. Nous ne connaissons pas les véritables causes du décès d’Abdallah, mais nous savons que sa mort est une énigme : il est mort hors de la maison après avoir quitté la salle de prière, dans sa voiture, et il a été emmené dans un hôpital éloigné », raconte-t-il.

Ahmed souligne également la présence de deux étrangers sur les lieux du malaise d’Abdallah.

​​​​​​​Abdallah Morsi est décédé dans des circonstances mystérieuses peu après son père (AFP)
​​​​​​​Abdallah Morsi est décédé dans des circonstances mystérieuses peu après son père (AFP)

« Il y avait un homme et une femme qu’Abdallah ne connaissait pas sur les lieux de l’accident. Ils l’ont emmené à l’hôpital avec un comportement mystérieux et nerveux, suscitant davantage de soupçons, ce que même les autorités ont attesté. Le décès d’Abdallah n’était pas naturel et il doit faire également l’objet d’une enquête. »

Yehia Hamed, ancien ministre sous Morsi qui vit désormais en exil, indique avoir été en contact étroit avec Abdallah avant sa mort.

« Abdallah est mort peu après avoir communiqué des preuves essentielles sur le décès de son père à l’ONU », a-t-il affirmé dans un communiqué en réaction au rapport des spécialistes de l’ONU sur le décès de Morsi.

« J’étais en contact étroit avec Abdallah Morsi et je suis convaincu que c’est son travail très courageux auprès de l’ONU qui l’a mené à la mort. »

De strictes restrictions ont été imposées aux funérailles du père et de son fils. Les cérémonies funéraires ont été interdites. L’enterrement de Morsi et de son fils se sont déroulés la nuit.

« Ils ont empêché les prières à la mosquée et, contrairement au souhait du président [Morsi], ils ne l’ont pas inhumé dans sa ville natale. Idem pour Abdallah », rapporte Ahmed.

Le frère aîné d’Ahmed, Osama, a été arrêté le 16 décembre 2016 et accusé de planifier l’organisation de manifestations – de fausses accusations selon les avocats de sa famille. Ahmed estime qu’Osama a été arrêté uniquement parce qu’il était le fils du président et avocat.

Ni Ahmed ni le reste de la famille Morsi n’ont pu lui rendre visite. « Les visites sont interdites depuis des années et il vit dans des conditions particulièrement difficiles. »

Les avocats représentant la famille Morsi indiquent qu’Osama court le risque d’être empoisonné en prison.

Guernica 37 International Justice Chambers indique qu’Osama est confronté à « un risque plausible d’être empoisonné en prison », ajoutant qu’« il court les mêmes risques que son défunt père ».

Osama Morsi assiste au procès de son père en 2015 (AFP)
Osama Morsi assiste au procès de son père en 2015 (AFP)

Jeudi, à la veille du 7e anniversaire du massacre de la place Rabia, au cours duquel les forces de sécurité égyptiennes ont massacré au moins 1 150 manifestants opposés au coup d’État, la mort mystérieuse en prison d’un autre membre dirigeant de la confrérie a été divulguée.

Essam el-Erian, cadre des Frères musulmans et ancien député égyptien, est décédé dans le complexe carcéral cairote de Tora. Il était détenu à l’isolement depuis sept ans dans le quartier de haute sécurité d’Aqrab (« scorpion »).

Dans un témoignage vidéo en janvier 2018, il avait déclaré à un juge lors d’une audience qu’il avait contracté une hépatite C en détention. Il ajoutait que ses multiples requêtes de transfert dans un hôpital spécialisé avaient été refusées. 

Purgatoire social

La famille Morsi connaît une forme de purgatoire social. Ahmed indique que la famille est punie pour ses liens avec le président déchu.

« Tout est interdit à la famille, même de voyager. Nous sommes inscrits sur les listes d’interdiction pour la simple raison que nous sommes les fils de Morsi, bien que nous ne soyons pas engagés en politique ou dans l’économie, que nous n’ayons aucune activité liée au parti et que nous n’ayons pas de travail dans le pays », dénonce-t-il.

« Mais les autorités se vengent sur nous car nous sommes les fils du premier président civil élu, nous sommes punis parce que nous sommes les fils de Morsi, ce qui est un honneur pour nous. »

Naglaa Mahmoud, qui avait refusé d’endosser le titre de première dame d’Égypte, révèle qu’ils « vivaient simplement » dans leur appartement en location dans le quartier de 5th Settlement au Caire lorsque son mari était président.

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« Le président refusait tous les privilèges présidentiels car il voulait que nous vivions la même vie que nos concitoyens.

« Nous observions certains complots contre lui et nous avons été témoins des mensonges et de la diffamation dans les médias. Cependant, l’honnêteté du président a été démontrée au monde entier face à tous leurs mensonges », estime-t-elle.

« Nous vivions simplement, à l’écart des médias ou des cérémonies prestigieuses et luxueuses. Le président ne voulait pas que nous apparaissions dans le cadre avec lui car il essayait d’établir l’image d’un président qui travaille en tant qu’employé du peuple. »

La modestie de Morsi et son engagement vis-à-vis du service public contrastent avec ce que nous connaissons aujourd’hui de l’attitude de Sissi, de sa femme et de sa famille.

Lorsqu’il y a eu des affrontements meurtriers autour du palais présidentiel d’Ittihadiya entre des opposants et des partisans de Morsi en décembre 2012, Sissi et sa famille visitaient leur nouveau palais de plusieurs millions de dollars dans le quartier de Helmeya au Caire, selon Mohamed Ali, un entrepreneur millionnaire devenu lanceur d’alerte.

« À Ittihadiya, des gens mouraient. Les gens ne trouvaient pas de carburant ou de nourriture. Pourtant, la visite s’est poursuivie », a précédemment rapporté Ali à MEE.

Lorsque Sissi est devenu ministre de la Défense, son épouse, Intissar, a refusé de vivre dans la maison ou l’ancien général égyptien Abdelhakim Amer, qui dirigea l’armée égyptienne pendant la guerre des Six Jours, avait vécu.

« Sissi a donc ordonné qu’elle soit démolie et qu’une nouvelle maison soit bâtie à sa place », expliquait Ali dans une interview à MEE en octobre. Régulièrement, Sissi venait voir la maison, notamment en cette soirée de décembre où les affrontements ont éclaté.

« Si mon sang devait être le prix à payer pour préserver la légitimité, alors j’y suis prêt, pour le bien de la stabilité de cette nation »

- Mohamed Morsi

« J’ai réalisé à quel point il était frivole. Le pays était à feu et à sang, des gens se tuaient dans les rues mais il s’intéressait encore davantage à la maison et ses détails, la piscine, les pièces de la suite parentale, ainsi que les chambres de ses enfants », poursuivait Ali.

Naglaa Mahmoud indique que Morsi était bien conscient de la menace constituée par son ministre de la Défense et ses opposants, « mais il ne pensait pas à lui, même lorsqu’il a été arrêté lors de la révolution du 25 janvier ».

« Il était droit dans ses bottes et fort, sachant que le chemin de la lutte nécessite de grands sacrifices, pas une vie de luxe et de postes étatiques privilégiés », raconte-t-elle.

« Et il se battait pour réformer sa patrie, qui était contrôlée par la corruption et la dictature. »

Un mois avant le massacre de la place Rabia, Morsi a prévenu l’Égypte qu’il pourrait mourir en protégeant la révolution de 2011.

« Ma vie est le prix à payer pour protéger la légitimité », déclarait-il dans un discours à la veille du coup d’État.

« Si mon sang devait être le prix à payer pour préserver la légitimité, alors j’y suis prêt, pour le bien de la stabilité de cette nation. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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