Aller au contenu principal

Égypte : pourquoi les détenus meurent dans la nouvelle prison « modèle » de Sissi

Le Caire a fait l’éloge de Badr 3, qui a ouvert ses portes en septembre 2021, la qualifiant de « prison modèle », mais la réalité est tout autre selon les détenus politiques qui y sont incarcérés
Une visite du Centre correctionnel et de réhabilitation de la ville de Badr, à 70 kilomètres au nord-est du Caire, organisée pour les médias le 16 janvier 2022 (AFP)

Le 11 septembre 2021, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a annoncé le lancement d’une stratégie nationale des droits de l’homme comprenant des plans de modernisation des prisons.

Peu de temps après, les autorités ont ouvert deux grands complexes pénitentiaires, Badr et Wadi el-Natroun. Un an plus tard, elles ont commencé à y transférer des prisonniers politiques.

Depuis qu’il est devenu président en 2014, Abdel Fattah al-Sissi a construit au moins 28 nouvelles prisons, soit plus d’un tiers du nombre total que compte le pays, maintenant estimé à 81.

Sissi a promu les nouvelles installations carcérales en tant que modèle de respect des droits de l’homme, mais des groupes de défense des droits de l’homme les ont critiquées pour leur manque de respect des normes internationales.

Le complexe pénitentiaire de Badr, situé à 70 kilomètres au nord-est du Caire, a ouvert ses portes en décembre 2021. Il porte officiellement le nom de Centre correctionnel et de réhabilitation de Badr.

Égypte : des prisons géantes pour renforcer le système de répression dystopique de Sissi
Lire

Il comprend trois prisons, dont Badr 3, où de nombreux prisonniers politiques très médiatisés ont été détenus après avoir été transférés du tristement célèbre complexe pénitentiaire de Tora à la mi-2022.

Plusieurs organisations égyptiennes et internationales de défense des droits humains ont dénoncé le manque de respect des normes en matière de droits de l’homme à Badr 3. Selon elles, cela a entraîné la mort de plusieurs détenus et provoqué de multiples grèves de la faim. Selon Amnesty International, ces conditions de détention sont « comparables voire pires » que celles de Tora.

Le Comité pour la justice, une organisation de défense des droits de l’homme basée à Genève, a déclaré avoir documenté au moins cinq décès de prisonniers dus à des négligences médicales à Badr 3.

Par ailleurs, une lettre de détenus divulguée et partagée avec Middle East Eye en février a mis en lumière les conditions déplorables à l’intérieur de la prison, y compris l’interdiction des visites familiales et des soins de santé inadéquats.

La lettre indiquait qu’un détenu, Hossam Abu Shorouk, s’était suicidé dans sa cellule début février, tandis qu’un autre, Mohamed Turk Abu Yara, avait tenté de se suicider quand des responsables de la prison lui avaient refusé la possibilité de contacter sa famille, qui vit dans des zones touchées par le tremblement de terre en Turquie. Un troisième détenu, Awad Noaman, a également tenté de se suicider et a été transféré à l’hôpital de la prison après s’être blessé.

La lettre indiquait également que le prisonnier Mohamed Badie (79 ans), chef du plus grand groupe d’opposition égyptien, les Frères musulmans, avait entamé une grève de la faim pour protester contre les mauvais traitements et la négligence médicale.

« Nous sommes en train de mourir »

Dans une autre lettre manuscrite obtenue par le Réseau égyptien pour les droits de l’homme en janvier, des prisonniers disent « [être] en train de mourir », dénonçant de mauvaises conditions de vie, le manque de soins de santé, une nourriture inadéquate, l’absence de vêtements d’hiver et la propagation de maladies parmi les détenus.

Dans un rapport publié en octobre 2022, Amnesty International souligne que les prisonniers de Badr 3 sont détenus dans des « conditions cruelles et inhumaines ».

« Les détenus frissonnent dans des cellules froides éclairées au néon 24h/24 », écrit l’ONG. « Des caméras de vidéosurveillance sont braquées sur eux en permanence ; et l’accès aux produits de première nécessité tels que de la nourriture en quantité suffisante, des vêtements et des livres est interdit.

VIDÉO : Une journaliste égyptienne raconte l’horreur du quotidien en prison
Lire

« Ils se voient refuser tout contact avec leurs familles ou leurs avocats et les audiences de renouvellement de détention se tiennent en ligne. »

Amnesty a dénoncé la manière dont les autorités égyptiennes cherchaient à dépeindre Badr 3 comme le signe que le pays avait mis un terme à ses mauvaises pratiques carcérales.

« Nous sommes conscients des récents témoignages affligeants concernant la prison Badr 3 et enquêtons à ce sujet », indique à MEE Soleimene Benghazi, chargé de campagne pour l’Égypte à Amnesty International.

« Les autorités égyptiennes tentent d’améliorer leur image en matière de droits de l’homme en soulignant l’ouverture de nouvelles installations comme Badr 3. Mais malheureusement, des abus comparables, voire pires, s’y produisent, comme dans le tristement célèbre complexe pénitentiaire de Tora. »

« Au lieu d’ouvrir de nouvelles prisons où les critiques de l’État et opposants politiques croupissent dans des conditions odieuses, les autorités égyptiennes devraient libérer les milliers de personnes détenues arbitrairement, y compris pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions. »

Traduit de l’anglais (original).

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].