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« On peut crier, on peut frapper aussi » : le docu coup-de-poing sur quatre dessinatrices du monde arabe

Un documentaire consacré à la Tunisienne Nadia Khiari, la Libanaise Lena Merhej, la Marocaine Zainab Fasiki et l’Égyptienne Deena Mohamed sera projeté vendredi 18 mars au festival d’Angoulême. Il est aussi disponible sur le site d’Arte. À voir absolument
En se dessinant nue, comme une super-héroïne chargée de protéger Casablanca, Zainab Fasiki a trouvé sa « signature » (capture d’écran)
En se dessinant nue, comme une super-héroïne chargée de protéger Casablanca, Zainab Fasiki a trouvé sa « signature » (capture d’écran)
Par MEE

Les soulèvements populaires qui ont eu lieu dans leur pays ont bouleversé leur vie de bien des manières.

« En 2011, je vis une révolution artistique dans ma vie, du jour au lendemain je peux m’exprimer sans censure aucune. Et ça fait un bien fou, j’ai l’impression d’être un enfant qui naît et qui pousse son premier cri », témoigne ainsi à Tunis Nadia Khiari, plus connue sous le pseudo Willis from Tunis.

Nadia Khiari a gardé le pseudo derrière lequel elle s’est longtemps protégée, Willis from Tunis (capture d’écran)
Nadia Khiari a gardé le pseudo derrière lequel elle s’est longtemps protégée, Willis from Tunis (capture d’écran)

Pour Deena Mohamed, qui avait 16 ans quand le Printemps arabe a touché l’Égypte, la libération de la parole fut l’occasion de se rendre compte qu’elle avait « des opinions ».

« La révolution [de 2019 au Liban] a fait exploser toute cette envie de parler », rapporte de son côté Lena Merhej à Beyrouth, qui a décidé de dessiner un abécédaire de la révolution destiné à la jeunesse. 

Plus que des femmes ou des dessinatrices, le documentaire Crayon au poing, quatre dessinatrices du monde arabe, présenté au festival d’Angoulême vendredi 18 mars, aussi visible sans abonnement sur le site d’Arte, présente surtout quatre combattantes. 

La caméra les suit dans leur ville, au gré de leurs rencontres, au plus près de leurs confidences. 

Sur une terrasse de Casablanca, au Maroc, on découvre Zainab Fasiki en train de slamer avec ses amis. La jeune femme, qui publie depuis quelques années ses dessins sur les réseaux sociaux, se considère comme une « féministe marocaine ». 

Celle qui se dessine nue, en super-héroïne en train de slalomer au milieu des immeubles de la ville, voudrait faire passer le message suivant : « Il ne faut plus percevoir le corps des femmes comme une entité sexuelle, mais le voir aussi d’un point de vue artistique, loin de toute sexualisation. »

Casser les stéréotypes

Dans ce Maroc « patriarcal », dessiner son corps « est devenu une signature ».

« Vivre de manière indépendante, prendre sa liberté en main, c’est ça être une super-héroïne, faire ce que tu veux sans te soucier d’autrui », explique l’auteure de la série de bande dessinée Hshouma, qui s’attaque aux tabous liés au genre, à l’éducation sexuelle, aux violences faites aux femmes. 

« Au Maroc, la femme artiste est considérée comme une p***. Je ne me sens ni libre ni en sécurité mais je continuerai à défendre la liberté de la femme quoi qu’il arrive. »

Au Caire, Deena Mohamed donne vie à une Égyptienne en abaya dans Qahera (capture d’écran)
Au Caire, Deena Mohamed donne vie à une Égyptienne en abaya dans Qahera (capture d’écran)

Au Caire, c’est une autre super-héroïne qui frappe : sous le crayon de Deena Mohamed, une jeune femme en abaya raconte les problèmes que rencontrent les Égyptiennes musulmanes du Caire dans une BD intitulée Qahera (la victorieuse). 

« On pense souvent que les femmes ne s’expriment pas elles-mêmes, qu’elles ne résolvent pas leurs problèmes par elles-mêmes, parce qu’elles n’ont pas de voix. Ce personnage [de super-héroïne] est là pour casser les stéréotypes. »

Dessiner sans se censurer

Apprendre à dessiner sans se censurer, dire tout haut ce que les gens pensent tout bas, est peut-être le défi le plus ambitieux que ces dessinatrices ont eu à relever ces dernières années.

La Tunisienne Nadia Khiari raconte que cela ne s’est pas fait sans appréhension.

« Le fait qu’internet soit libre d’un seul coup, ça me permet de publier mes dessins, mais je n’y crois pas et je garde l’anonymat. Je choisis le nom Willis from Tunis, je [dessine] un chat, je ne dis pas qui je suis parce que je ne crois pas trop à toutes ces promesses », confie-t-elle. « Une parole libre est une parole qui fait peur. »

Lena Merhej a participé à l’aventure de la première revue de BD en arabe Samandal (capture d’écran)
Lena Merhej a participé à l’aventure de la première revue de BD en arabe Samandal (capture d’écran)

La problématique s’est posée autrement pour Lena Merhej, la cofondatrice de la première revue de BD en arabe, Samandal, qui se dit « très enragée ». 

« J’essaie d’utiliser mon dessin pour canaliser tout ça, j’essaie aussi de me calmer pour prendre un peu de distance », explique-t-elle. Avant le mouvement contestataire de 2019, « j’avais des difficultés à raconter les choses. Avec la révolution, il n’y avait plus de mesures de censure, c’était un flot. J’avais juste envie de dire, de raconter, de dessiner. » 

Au Liban, les femmes ont, selon elle, gagné beaucoup de terrain. « On a découvert qu’on était solidaires. Qu’on peut crier. Qu’on peut frapper aussi. »

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