Appel à des manifestations en France contre la « loi islamophobe et liberticide » le 21 mars
Plusieurs associations ont appelé à des manifestations, le 21 mars partout en France, pour dénoncer la loi « confortant les principes républicains », qualifiée de « loi islamophobe et liberticide ».
« Avec un cynisme démesuré, le gouvernement instrumentalise le terrorisme, ses victimes et nos émotions pour faire de chaque musulman.e un ennemi de l’intérieur », lit-on dans l’appel de ces associations françaises.
« De la chasse à de prétendus ‘‘signaux faibles’’ à la focalisation sur le port du foulard, à travers une pluie d’amendements à ce projet de loi, nos vies, nos coutumes, nos pratiques, notre foi sont épiées, traquées, disséquées, essentialisées, stigmatisées et infériorisées », dénoncent-elles, évoquant un « statut de sous-citoyenneté » imposé de facto aux musulmans de France.
« Nous refusons que ce projet de loi qui devrait être discuté jusqu’à la prochaine présidentielle serve de tremplin aux plus audacieux islamophobes, toujours prêts à surenchérir pour la prise du pouvoir. Nous refusons que l’islam et les musulman.e.s soient jeté.e.s en pâture lors des débats alors même que les crises et urgences sanitaire, sociale, économique et écologique s’accentuent », poursuivent les auteurs de cet appel, représentants d’ONG de plusieurs villes de France.
La démarche vise notamment le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, dont le gouvernement « instrumentalise la laïcité en la dévoyant de son esprit et de sa lettre originels de 1905 pour mettre sous tutelle le culte musulman et s’ingérer dans son organisation, une ingérence qui ne concernerait pas les autres cultes ».
Le ministre « s’arroge le droit de désigner pour et à la place des musulman.e.s ceux qui sont dignes de nous représenter, comme durant la période coloniale. Il menace des fédérations musulmanes, des mosquées… les contraignant à se soumettre à une charte de principes contraire aux principes même de la laïcité et à la liberté de contestation, sous peine de dissolution administrative, hors cadre juridique. En lieu et place du droit commun, c’est l’arbitraire administratif et un droit d’exception qui s’exercent. »
Pour rappel, sous la pression du gouvernement, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a adopté, mi-janvier, une charte inédite rejetant « l’islam politique » et les « ingérences » étrangères.
La charte avait été demandée mi-novembre par Emmanuel Macron aux dirigeants du CFCM. Depuis un discours contre le séparatisme et l’islam radical début octobre, et encore plus depuis l’assassinat du professeur Samuel Paty, décapité par un Russe tchétchène, et un attentat à Nice, le chef de l’État a accentué la pression sur les instances dirigeantes de l’islam en France afin d’avancer vers une réforme.
« La liberté de culte est menacée »
La charte, qui doit poser les bases pour la création d’un Conseil national des imams (CNI) qui sera chargé de « labelliser » les imams exerçant en France, contient dix articles.
Cette initiative a été critiquée par des imams, qui doutent de sa pertinence sur le terrain des réalités.
« Le CFCM n’a aucune emprise sur la réalité des musulmans de France ; il doit rester sur l’aspect logistique et organisationnel. La liturgie, la pastorale et l’éthique doivent rester aux religieux », expliquait à l’AFP l’imam de la mosquée de Bordeaux (sud-ouest) Tareq Oubrou.
« Et maintenant, on va demander aux imams de se plier à cette doctrine de laquelle le CFCM a accouché sans les consulter. Ce sont les savants et théologiens musulmans qui doivent accoucher d’un texte et ensuite le soumettre au CFCM, pas le contraire », avait plaidé l’imam.
L’appel aux manifestations du 21 mars dénonce également l’instrumentalisation par des « inégalités de genre, qui sont structurelles et traversent pourtant tous les espaces sociaux, y compris ceux du pouvoir, pour ne les voir, les dénoncer, les hypertrophier et bien souvent les inventer dans les seules pratiques liées à l’islam ; faisant fi au passage de la parole et du vécu des premières concernées, de confession et de culture musulmanes ».
Par ailleurs, « le ministre de l’Intérieur va jusqu’à exiger d’un croyant ou d’une croyante qu’il ou elle mette ‘‘les lois de la République au-dessus de la loi de Dieu’’, ce qui relève d’une absurdité confondante d’autant plus que son rôle est de faire respecter les lois de la République sans avoir à reconnaître d’autres lois, au nom précisément de la neutralité de l’État ».
Pour les signataires de l’appel, « la liberté de culte est menacée, comme le souligne la Commission nationale des droits de l’homme [CNCDH] entre autres, par une déclaration préalable en préfecture [pour les associations cultuelles] à renouveler tous les cinq ans, relevant d’ une ‘‘méfiance injustifiée’’ pour reprendre ses termes ».
Dans son « avis » sur le projet de loi controversé, la CNCDH avait, le 28 janvier, estimé que « la démarche procède d’une méfiance injustifiée à l’égard des 5 000 associations cultuelles qui existeraient actuellement. En l’état, la Commission estime ce dispositif inutile ; elle doute de surcroît de sa constitutionalité ».
Dans ce même avis, la CNCDH a rappelé que « tisser ce lien intime et indispensable entre la République et celles et ceux qui l’habitent, recréer la confiance dans les promesses d’une société laïque, démocratique et sociale dont certains s’écartent, implique bien plus que de la suspicion ».
La même instance avait également regretté « le nombre de dispositions à caractère répressif contenues dans le projet de loi ».
« Recréer la confiance dans les promesses d’une société laïque, démocratique et sociale dont certains s’écartent implique bien plus que de la suspicion »
- Commission nationale des droits de l’homme
« Ce projet de loi s’attaque aux droits des associations et pas seulement celles qui relèvent du cultuel, alors qu’elles sont soumises au respect des lois républicaines de par leur déclaration en préfecture : il exige d’elles la signature d’un contrat d’engagement républicain, offrant là encore une interprétation de son non-respect suffisamment large pour que n’importe quel préfet puisse selon son bon vouloir les dissoudre, les assécher financièrement, retirer leur agrément, s’opposer à l’embauche de contrats jeunes en leur sein », arguent les signataires de l’appel.
« Ce n’est pas pour rien que la Défenseure des droits s’inquiète de ce que ce projet participe d’un ‘‘renforcement global de l’ordre social’’. Ce n’est pas pour rien que beaucoup d’entre nous, parce que musulmans et musulmanes, sont tétanisé.e.s par cette islamophobie que les premiers de cordée ont initiée », s’inquiètent ces associations.
Pour elles, « Macron en personne convoquait la théorie du ruissellement, celle qui en pratique devait se traduire par une répartition des richesses des plus riches vers les plus pauvres, notamment dans les zones rurales et les quartiers populaires. À la place, il nous propose un tsunami de propos et de lois racistes et liberticides comme celles sur le séparatisme et sur la sécurité globale ».
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