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France : comment l’extrême droite a manœuvré pour saboter un film qui dénonce les violences policières

Le cinéaste Mehdi Fikri se livre à MEE sur son premier film, Avant que les flammes ne s’éteignent, qui raconte l’histoire d’une jeune femme en quête de vérité sur la mort de son frère en garde à vue
Avant que les flammes ne s’éteignent est le premier long métrage de Mehdi Fikri (photo fournie)

Avant même que le premier long métrage de Mehdi Fikri ne sorte dans les salles de cinéma françaises en novembre, il faisait déjà l’objet de critiques sur internet.

AlloCiné, le site de référence du cinéma et des séries télévisées, a été inondé de critiques négatives sur le film Avant que les flammes ne s’éteignent, qui raconte l’histoire d’une jeune femme en quête de vérité sur la mort mystérieuse de son petit frère, sous la garde de la police strasbourgeoise.

« C’était une attaque politique », a affirmé Mehdi Fikri, 43 ans, à Middle East Eye lors d’une récente visite à Londres, où le film a été projeté dans le cadre du tout dernier festival du film de Human Rights Watch. « Je pense qu’ils ont vu la bande-annonce et qu’ils ont compris que nous faisions un film politique sur ce sujet. »

Les critiques des internautes sur le film s’attaquent à son « agenda racial », à ses messages « anti-flics » et « anti-France », à son « hystérie » et à son ton « activiste ».

La plupart des critiques visent Camélia Jordana, une chanteuse française d’origine algérienne qui joue le rôle de la sœur, dont la quête de vérité lui fait prendre conscience de la nature politique du monde dans lequel elle vit.

Avant même la sortie du film Avant que les flammes ne s’éteignent, Camélia Jordana s’est attiré les foudres de l’extrême droite française pour avoir critiqué le pouvoir des hommes blancs dans la société et pour avoir déclaré que, comme beaucoup d’autres, elle ne se sentait pas en sécurité face à la police.

« Les campagnes de diffamation sont aussi anciennes que l’extrême droite », remarque Mehdi Fikri. « Mais les campagnes de diffamation en ligne, par bombardement de critiques, en sont désormais devenues un des vecteurs. »

Il évoque la quatrième série de True Detective, victime d’une « énorme campagne de bombardement de critiques sur Rotten Tomatoes [site dévolu aux critiques cinématographiques] parce que c’est une série réalisée par une femme mexicaine (Issa Lopez), et qui traite de la lutte des Amérindiens en Alaska ».

Décès lors de gardes à vue en France

Quelques mois avant la sortie d’Avant que les flammes ne s’éteignent en novembre, des manifestations ont éclaté à travers la France au lendemain de la mort de Nahel Merzouk, un jeune homme de 17 ans d’origine marocaine et algérienne, abattu à bout portant par un policier à Nanterre, dans la banlieue de Paris. Quelques jours après l’incident, une collecte de fonds lancée en ligne pour le policier qui a tué Nahel Merzouk a dépassé le million d’euros.

« Ça a été un énorme combat politique, avec l’extrême droite qui a récolté de l’argent », explique Mehdi Fikri. Il pense que cela a été un élément déclencheur de l’attaque portée contre son film, tout en illustrant parfaitement le message que l’auteur-réalisateur, qui en est à sa première réalisation, a essayé de faire passer avec son film.

« Dès que l’on essaie de dire la vérité, on se heurte toujours à ce genre de campagne. Il est difficile de faire entendre la vérité. C’est le sujet principal du film », déclare-t-il à MEE.

« Il est difficile de faire entendre la vérité. C’est le sujet principal du film »

- Mehdi Fikri, réalisateur français

« Ils mentent et ils se battent pour leurs mensonges. Il s’agit de mensonges », ajoute-t-il au sujet de l’extrême droite en France.

En septembre 2023, Human Rights Watch a rapporté que « le profilage ethnique pratiqué par la police française a été largement documenté et condamné non seulement par des groupes de la société civile nationale et internationale, mais aussi par des organismes internationaux et nationaux de défense des droits de l’homme ».

Fils d’un père marocain et d’une mère française, Mehdi Fikri a grandi à Saint-Denis, une commune de la banlieue nord de Paris bien connue pour sa population ouvrière multiethnique. Il a été accusé d’avoir tenté d’idéaliser la famille d’Adama Traoré, un Français noir de 24 ans décédé en garde à vue en 2016.

À la suite d’une longue mobilisation, l’enquête sur ce décès a été officiellement clôturée en septembre 2023, sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre les trois policiers impliqués.

Mehdi Fikri, ancien journaliste qui a travaillé pendant quinze ans pour le quotidien de gauche L’Humanité, s’est inspiré de l’affaire Adama Traoré et de quatre autres : celles de Lamine Dieng, asphyxié après que la police parisienne l’eut immobilisé de force au sol ; d’Ali Ziri, tombé dans le coma et mort en garde à vue ; de Wissam el-Yamni, chauffeur de camion interpellé avant de subir une crise cardiaque alors qu’il était emmené au commissariat ; et d’Amine Bentounsi, abattu par le policier Damien Saboundjian, qui a finalement été condamné à une peine de prison avec sursis.

Les victimes de ces affaires étaient toutes des hommes d’origine noire africaine ou arabe. Leurs familles se sont toutes battues longtemps et sans relâche pour connaître ce qui leur était réellement arrivé et obtenir une certaine justice, qui n’a pas toujours été obtenue.

Mehdi Fikri mentionne le cinéaste haïtien Raoul Peck, qui a déclaré que le racisme en France relevait à la fois du « déni » et du « paternalisme ».

Mehdi Fikri compare la France à la Grande-Bretagne, qu’il considère comme étant caractérisée par des classes sociales. « Londres est [marquée par] une violence inouïe », estime-t-il. « C’est une société basée sur les classes sociales. Mais on ne verra jamais un maire musulman comme Sadiq Khan en France. C’est de la p***** de science-fiction. »

Enfant de communistes

Parce qu’il est issu de parents communistes et que Saint-Denis était dirigée par des communistes, l’enfance de Mehdi Fikri a été quelque peu différente, même s’il a toujours ressenti le contrôle social de la police et qu’il était toujours prêt à s’enfuir dès qu’il croisait des policiers.

« La culture politique y est très forte », explique-t-il à propos du « 9-3 » (le numéro administratif officiel de Saint-Denis), comme ses habitants la surnomment.

Pour la plupart des personnes qui vivent en dehors de la France, le film La Haine de Mathieu Kassovitz, sorti en 1995, définit les banlieues, ces cités HLM où les rêves d’une vie meilleure se heurtent à la violence et au mépris de l’État français et de ses forces de l’ordre.

Mehdi Fikri garde de son enfance dans les années 90, dans ce genre d’endroit, un souvenir empreint de solidarité, mais il affirme que la situation est aujourd’hui « bien pire » qu’elle ne l’était à l’époque. « C’est très déprimant. »

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Néanmoins, l’engagement de ses parents communistes en faveur d’un monde meilleur visant à améliorer la vie de tous ceux qui les entourent a inspiré Mehdi Fikri, et est au cœur de son film.

Le cheminement de la sœur pour tenter de dévoiler la vérité sur ce qui est arrivé à son frère la fait basculer dans une vie d’activiste.

« Mes parents essayaient de changer le monde avec leur idéologie, et comme ils n’y sont pas parvenus, ils ont utilisé ce qu’ils avaient appris sur le plan politique pour changer leurs enfants », raconte Mehdi Fikri à MEE.

Il a ainsi pu bénéficier d’une éducation, s’autonomiser, entretenir des liens avec sa communauté et se battre pour elle.

En tant que Français métis et enfant de communistes, il a « grandi dans un monde post-racial », et ce n’est que lorsqu’il a commencé à travailler comme journaliste qu’il a vraiment vu à quel point la France était fracturée sur le plan racial.

« J’aime profondément mes parents parce qu’ils m’ont montré que ce monde est possible », confie Mehdi Fikri à MEE. « La vérité est révolutionnaire, et il est politique de faire connaître la vérité, de trouver les mots justes. »

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

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