France : les forces de l’ordre accusées d’être une « police d’attaque » qui pratique un « racisme d’État »
Quatre jours après le décès de Nahel, adolescent français d’origine algéro-marocaine tué à Nanterre, près de Paris, par un policier lors d’un contrôle routier, un autre jeune des quartiers populaires a été menacé de mort par des gendarmes qui le poursuivaient dans les rues de Belleville-en-Beaujolais, près de Lyon.
« Arrête-toi ou je te tire dessus. Arrête-toi ou tu es mort », lui a lancé l’un des brigadiers, filmé dans une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux.
Au même moment, UNSA et Alliances, le bloc syndical majoritaire de la police, publiaient un communiqué martial demandant l’intensification « du combat » contre les jeunes des banlieues, qualifiés de « hordes sauvages » et de « nuisibles ».
Les deux organisations, qui affirment être « en guerre », ont adressé une menace claire au gouvernement dans le cas où celui-ci ne fournirait pas les moyens adaptés.
« Sans mesures concrètes de protection juridique du policier, de réponse pénale adaptée, de moyens conséquents apportés, les policiers jugeront de la hauteur de la considération portée. Aujourd’hui, les policiers sont au combat car nous sommes en guerre. Demain, nous serons en résistance et le gouvernement devra en prendre conscience », avertissent les syndicats.
« [Les études] démontrent toutes qu’il existe des violences ethniquement ciblées de la part de la police, comme les contrôles au faciès »
- Sébastien Roché, directeur de recherche au CNRS
Pour Vincent Brengarth, avocat au barreau de Paris, spécialiste de la défense des libertés publiques et des régimes d’exception, le pouvoir politique a créé une sorte de monstre qui pourrait lui échapper.
« Il y a une voix syndicale radicale prépondérante qui considère que le gouvernement ne fait pas face à ses responsabilités et prône un durcissement », explique-t-il à Middle East Eye.
« Rien ne permet de dire qu’un jour, cette frange ne va pas complètement se dissocier dans une logique de représailles, de dent pour dent », qui pourrait faire basculer la France dans une guerre civile, prévient-il.
Un pouvoir régalien de plus en plus répressif
Depuis la mort de Nahel, alors que les banlieues ont cédé quelque temps à l’émeute, les policiers continuent à recevoir un soutien considérable sur les réseaux sociaux.
L’agent motorisé à l’origine du tir mortel qui a ciblé le jeune garçon de 17 ans est félicité, alors qu’une cagnotte au profit de sa famille, lancée par Jean Messiha, un ex-cadre du Rassemblement national (extrême droite) et porte-parole de la campagne présidentielle du candidat xénophobe Éric Zemmour, a dépassé le million d’euros.
Le chef de l’État Emmanuel Macron lui-même a renouvelé son soutien aux policiers au cours d’une visite dans un commissariat à Paris, lui qui s’est abstenu de se rendre dans les banlieues pour nouer le dialogue avec leurs habitants.
« En se tenant aux côtés des forces de l’ordre, les responsables politiques pensent que c’est la meilleure manière d’obtenir le soutien du public alors que l’existence politique des banlieues est minorée parce qu’habitées par des populations pauvres et étrangères qui votent très peu », analyse pour MEE Sébastien Roché, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des violences policières.
Pour Vincent Brengarth, la police est l’expression « d’un pouvoir régalien, de plus en plus répressif, violent et ethniquement discriminatoire qui permet aux autorités politiques de combler la défaillance de leur fonction sociale et de redistribution [des richesses] dans des territoires complétement à l’abandon ».
« Ce sont eux [les responsables politiques] qui choisissent de donner plus d’armes aux agents (Flash-Ball, LBD, grenades, armes longues), de réduire leur formation pour précipitamment ‘’mettre du bleu’’ dans les rues et d’élargir les conditions d’usage des armes. Quoi qu’il en coûte. »
« Ce sont nos gouvernants qui puisent leurs références à l’extrême droite, propagent des ‘’concepts’’ comme décivilisation et ensauvagement, auxquels font écho les syndicats [policiers], qui parlent de ‘’guerre’’ contre ‘’les nuisibles’’, un vocabulaire colonial », abonde Sébastien Roché dans une tribune publiée dans Le Monde.
« Le responsable ultime de ces brutalités n’est pas tant la police que les pouvoirs publics qui les dirigent contre des populations racisées et, plus récemment, contre l’ensemble de la population […] »
- Olivier Le Cour Grandmaison, historien
Les brutalités policières à l’égard des habitants des quartiers populaires, surtout les jeunes, sont récurrentes en France, « une constante » selon Rachida Brahim, docteure en sociologie.
« Pour la police, les jeunes de banlieue sont des corps déviants qui doivent être disciplinés », explique-t-elle dans L’Humanité.
Dans un ouvrage sur les violences racistes paru en 2021, elle a recensé tous les assassinats commis entre 1970 et 2000 contre les populations d’origine immigrée en France, dont une partie imputée aux forces de l’ordre.
Les affaires les plus connues de cette époque et successivement sont le meurtre de Malik Oussekine, un étudiant algérien de 22 ans tabassé à mort par des policiers à moto en 1986, et les actes de torture commis en 1991 dans un commissariat de Paris sur Ahmed Selmouni, 49 ans à l’époque des faits, sanctionnés par un arrêté de la Cour européenne des droits de l’homme huit ans plus tard.
En 1998, Habib Ould-Mohamed, un jeune de 17 ans, est abattu par un brigadier, laissé pour mort dans une rue de Toulouse. Abdelhakim Ajimi (22 ans), quant à lui, meurt asphyxié en 2008 à la suite d’une compression thoracique et d’une clé d’étranglement au cou. En 2015, Amadou Koumé, 33 ans, meurt pratiquement de la même façon.
Des violences racistes héritées de la colonisation
« Il y a une discrimination ethnique de la police française qui est maintenant complétement démontrée [par] douze études différentes qui ont été réalisées à ce sujet. Certaines ont été faites par le Défenseur des droits et par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, d’autres par des associations, des chercheurs et des démographes. Elles démontrent toutes qu’il existe des violences ethniquement ciblées de la part de la police, comme les contrôles au faciès », note Sébastien Roché.
« Pour les tribunaux, cela ne fait pas de doute. L’État a été condamné deux fois par la Cour de cassation pour racisme de la part de policiers mais le gouvernement considère que cela n’existe pas », ajoute-t-il.
Après la mort de Nahel, l’ONU est aussi intervenue pour demander à la France « de s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre ».
Selon Olivier Le Cour Grandmaison, historien spécialiste de la colonisation, certaines méthodes de la police font écho à celles employées pendant la guerre d’Algérie.
« Il y a un certain nombre de représentations parmi les forces de l’ordre qui tendent à considérer les jeunes héritiers de l’immigration coloniale et postcoloniale non pas comme des égaux mais des ‘’nuisibles’’, comme il a été écrit par les syndicats de la police. Ce genre d’expressions favorise des pratiques d’exception telles que le contrôle au faciès », explique-t-il à MEE.
Comme Sébastien Roché, il estime que ces comportements violents font partie de la politique publique de l’État dans le domaine du maintien de l’ordre.
« Le responsable ultime de ces brutalités n’est pas tant la police que les pouvoirs publics qui les dirigent contre des populations racisées et, plus récemment, contre l’ensemble de la population, comme c’était le cas lors des manifestations des Gilets jaunes et celles contre la réforme des retraites », observe l’historien.
Pendant la crise des Gilets jaunes, 30 personnes ont été éborgnées par des tirs de Flash-Ball de la police.
La formation des policiers pointée du doigt
« Pour le pouvoir politique, la police est devenue un outil de régulation de la contestation et d’intimidation de la population, avec laquelle il a perdu toute capacité de restaurer le dialogue », analyse Vincent Brengarth, qui décrit des agents de maintien de l’ordre « surmilitarisés et robotisés ».
D’après Sébastien Roché, le durcissement des méthodes de la police a augmenté d’un cran sous la présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012), qui a instauré ce que le chercheur décrit comme « un modèle plus agressif, orienté vers une police d’attaque ».
« Pour le pouvoir politique, la police est devenue un outil de régulation de la contestation et d’intimidation de la population, avec laquelle il a perdu toute capacité de restaurer le dialogue »
- Vincent Brengarth, avocat
« Il avait mis l’accent sur les interpellations. Pour lui, la bonne police n’est pas celle qui gagne la confiance du public mais celle qui réalise des arrestations et qui fait peur. C’est ce modèle-là qui continue à fonctionner », indique-t-il.
En 2017, son successeur socialiste, François Hollande (2012-2017), a fait voter la loi « renforçant la sécurité intérieure et l’action contre le terrorisme » qui assouplissait, dans un contexte marqué par l’augmentation des attentats, les conditions d’usage des armes à feu pour les forces de l’ordre.
Après la mort de Nahel, les élus de La France insoumise (LFI, gauche radicale) ont demandé son abrogation, la qualifiant de « permis de tuer ».
Pour le syndicat des magistrats aussi, cette loi doit changer, surtout en ce qui concerne l’usage des armes en cas de refus d’obtempérer. Dans un communiqué, ils ont demandé par ailleurs la création d’un organe de contrôle de la police indépendant « afin de restaurer la confiances des citoyens envers les forces de l’ordre et de la justice ».
La formation des policiers est également mise en cause. « Trois exercices de tir par an obligatoires pour les policiers, c’est totalement dérisoire par rapport à l’ampleur avec laquelle les armes sont utilisées », souligne Vincent Brengarth.
De son coté, Sébastien Roché estime en outre que les agents des forces de l’ordre « ne sont pas suffisamment formés aux droits de l’homme et à travailler dans une société multiculturelle ».
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