Aller au contenu principal

Une ONG britannique accuse la France d’entretenir un climat de terreur envers sa communauté musulmane

Dans un rapport publié le 2 mars 2022, l’organisation Cage pointe du doigt le traitement réservé par les autorités françaises à la communauté musulmane, et parle d’une « persécution dirigée par l’État, et ce à échelle industrielle »
Manifestants durant une marche contre l’islamophobie, à Paris, le 10 novembre 2019 (AFP/Geoffroy Van Der Hasselt)
Manifestants durant une marche contre l’islamophobie, à Paris, le 10 novembre 2019 (AFP/Geoffroy Van Der Hasselt)
Par MEE à PARIS, France

C’est une pièce de plus dans le dossier déjà lourd qui pèse contre la France sur son traitement de l’islam sur le territoire.

Quelques semaines après la parution, le 13 février, d’un article dans le très prestigieux New York Times, relatant l’exil croissant de musulmans français face à l’islamophobie régnante, c’est au tour de l’ONG britannique Cage de dénoncer un acharnement de la France contre sa minorité musulmane.

Basée à Londres, Cage a été créée en 2003, initialement afin de sensibiliser l’opinion publique sur le sort des prisonniers de Guantánamo. Désormais, l’organisation vise à défendre les communautés les plus touchées par les guerres contre le terrorisme, en particulier les musulmans.

Une interminable liste

Le rapport, fort d’une cinquantaine de pages, liste l’ensemble des mesures mises en œuvre ces dernières années, de la dissolution d’organisations musulmanes renommées – telles que le Comité contre l’islamophobie (CCIF) – à la série de lois qui ont visé explicitement les musulmans.

Le migrant, bouc-émissaire de la campagne présidentielle française
Lire

« La vie des musulmans en France au cours des cinq dernières années n’a été qu’une série d’injustices brûlantes et d’indignités amères », tranche l’ONG, pointant du doigt une « discrète politique d’entrave systématique ».

Cage note également « une forme de pression maximale, en vertu de laquelle les institutions musulmanes sont systématiquement contrôlées, surveillées, examinées pour des infractions mineures et sanctionnées jusqu’à leur dissolution sur ordre du gouvernement ».

Il faut dire que le gouvernement français n’a pas chômé ces dernières années, déployant sur l’ensemble du territoire un dispositif de surveillance à large spectre : ainsi, des centaines d’établissements, dont des mosquées et des écoles musulmanes, ont été fermés afin de lutter contre « le séparatisme islamiste » et des millions d’euros ont été saisis.

« L’approche française va bien au-delà de la seule répression policière et s’apparente à une attaque en règle contre la vie sociale des musulmans », estime le rapport.

Élément central de la présidentielle à venir

Alors que les thématiques chères à l’extrême droite ont envahi le débat public en France et que la thématique de l’immigration règne en maître sur la campagne pour l’élection présidentielle qui se déroulera en avril prochain en France, Cage rapporte une véritable surenchère entre les hommes et femmes politiques sur la question de l’islam.

Ainsi, l’ONG fait référence au débat télévisé de février 2021, au cours duquel l’actuel ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin accusait sur France 2 la candidate d’extrême droite Marine Le Pen d’être « trop molle », concernant l’islam.

Par ailleurs, le rapport pointe du doigt certains think tanks influents, tels que l’Institut Montaigne, que l’ONG juge « très proche du gouvernement et de l’administration de l’État », et dont la mission aurait été de « donner un vernis d’expertise et d’approuver automatiquement les idées et politiques islamophobes proposées par le gouvernement ».

« La question de l’assimilation, de la laïcité et des valeurs culturelles de la république fournit une justification idéologique et programmatique à la répression féroce dont font actuellement l’objet les musulmans de France », analyse Cage, qui n’hésite pas à affirmer que « les musulmans de France font l’objet d’une persécution dirigée par l’État, et ce à échelle industrielle ».

Racines coloniales et consensus islamophobe

Pour l’ONG britannique, cela ne fait pas de doute : la culture française « était déjà profondément marquée par l’islamophobie bien avant la présidence d’Emmanuel Macron ».

Cage entend ainsi mettre en perspective le passé colonial du pays et sa politique actuelle : « La relation historique de la France avec l’islam a été façonnée à la fois par son histoire coloniale et par des intellectuels français contemporains influents qui épousent des perspectives profondément islamophobes et/ou orientalistes, tels que Michel Houellebecq, Éric Zemmour, Michel Onfray, Elizabeth Badinter ou Gilles Kepel ».

« Les musulmans français sont contraints de vivre dans un espace social, intellectuel, politique et spirituel limité, où ils sont contraints de constamment prouver leur allégeance à un système de croyance, même lorsque ce dernier est en conflit avec le leur »

« Ce qui a débouché sur un consensus islamophobe largement répandu dans la société française : selon ce consensus, l’islam et les musulmans doivent être sécurisés afin de protéger la sécurité de la nation, plutôt que de recevoir des protections en tant que groupe minoritaire », poursuit le rapport.

Ce dernier cite également un sondage datant de 2019, selon lequel que près de « 61 % de la population française estime que l’islam est incompatible avec les valeurs de la République », et « 80 %, que la laïcité est menacée ». Des chiffres qui créeraient « le terrain idéal pour légitimer l’intervention directe de l’État ».

« Les musulmans français sont contraints de vivre dans un espace social, intellectuel, politique et spirituel limité, où ils sont contraints de constamment prouver leur allégeance à un système de croyance, même lorsque ce dernier est en conflit avec le leur. »

« Il y a urgence »

En guise de conclusion, le rapport de l’ONG insiste sur la nécessité qu’une pression constante soit exercée sur la France afin qu’elle cesse sa politique « d’entrave systématique ». 

Ces Français musulmans qui s’exilent pour fuir l’islamophobie en France
Lire

Et notamment de saisir l’opportunité qu’Emmanuel Macron soit, pour quelques mois, à la présidence du conseil de l’Union européenne, « l’occasion d’enfin demander des comptes à la France pour sa persécution des musulmans ».

Cage s’inquiète également que la possibilité donnée par l’exécutif à des ministres, afin qu’ils répriment des organisations « dissidentes » ne s’étende à des pays voisins, et que ces derniers ne finissent par « suivre le mouvement et se passer de la ‘’paperasserie‘’ du système pénal ».

« Si l’on n’y remédie pas, les gouvernements du continent s’inspireront certainement des méthodes de la France de Macron, attirés par l’attrait du pouvoir massif centralisé permettant d’écraser toute contestation ».

« Nous espérons que ce rapport donnera aux individus et aux organisations du Royaume-Uni, du continent européen et d’ailleurs, les outils nécessaires pour comprendre et intervenir dans une persécution de masse en cours, et offrir une solidarité essentielle aux musulmans de France », affirme le document.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].