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Présidentielle française : Macron en pole position, sans même faire campagne

Seul un séisme politique pourrait empêcher Emmanuel Macron d’être réélu pour un second mandat à la présidence de la République française en avril prochain
Affiche placardée par le mouvement Les jeunes avec Macron à Issy-les-Moulineaux, près de Paris, le 28 février 2022 (AFP/Ludovic Marin)
Affiche placardée par le mouvement Les jeunes avec Macron à Issy-les-Moulineaux, près de Paris, le 28 février 2022 (AFP/Ludovic Marin)

Avant même d’annoncer officiellement sa candidature, Emmanuel Macron est assuré de remporter l’élection présidentielle d’avril prochain en France. Car à moins d’un séisme politique, l’élection semble pliée. Il n’y a plus de suspense.

Du coup, les questions qui se posent autour de la présidentielle française n’ont pas trait au résultat de l’élection elle-même, mais au scénario envisagé, ainsi qu’aux conséquences qui en découleront : qui affrontera-il au second tour ? Quel sera le sort de la droite et de la gauche traditionnelles, que Macron a fait exploser ? Que se passera-t-il pour les législatives qui seront organisées dans la foulée ?

Une autre question, moins insistante, plus insidieuse, est également dans les esprits : quel scénario catastrophe pourrait empêcher Emmanuel Macron d’être réélu ? Car on a beau baliser le terrain de manière méthodique, un imprévu n’est jamais à écarter.

En 2004, en Espagne, une législative promise à la droite, dirigée alors par José María Aznar, avait basculé à la suite d’un attentat trois jours avant le scrutin. M. Aznar avait subi une défaite inattendue, car son gouvernement avait tenté de manipuler l’attentat, en essayant de l’attribuer à l’organisation basque ETA, alors que des indices probants désignaient al-Qaïda.

Un succès qui n’est pas sans conséquence

Pour Emmanuel Macron, les sujets d’inquiétude ne manquent pas. Une guerre en Ukraine, une débandade au Mali ou au Sahel, de graves dérapages sociaux internes ou la révélation de nouvelles affaires comme celles qui avaient éliminé François Fillon en 2017 pourraient ainsi perturber un scénario qui semble écrit d’avance. Le pire, ce serait une conjugaison de plusieurs facteurs, ou un engrenage qui deviendrait incontrôlable.

Mais ceci relèverait d’évolutions sur lesquelles ses concurrents n’ont aucune prise. Et il n’est pas évident qu’ils pourraient en tirer profit, car aucun candidat ne semble avoir la carrure et l’impact nécessaires pour influer suffisamment sur le cours des événements.

Emmanuel Macron a généré une dérive politique dangereuse, en dynamitant la gauche et en plaçant l’extrême droite comme premier bloc de l’opposition en France

Ceci est largement le résultat de l’action politique de M. Macron, qui a réussi un tour de force exceptionnel : il est parvenu à fédérer la droite et la gauche de gouvernement, un peu selon le modèle allemand, reléguant à la périphérie le reste de la classe politique, poussant l’opposition à une surenchère permanente mais peu crédible, à un radicalisme sans conséquence et à une contestation sans impact.

Du coup, Emmanuel Macron donne l’impression de jouer sur un palier différent de ses concurrents. Il tente de contribuer à apaiser les grands sujets de tension internationale pendant que ses concurrents se déchirent dans des batailles de voisins ou de secte.

Cela permet à Macron de se placer en pole position sans même faire campagne, du moins formellement. Il n’a pas besoin d’être brillant pour être réélu, il lui suffira de ne pas faire trop de fautes.

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Mais ce succès d’Emmanuel Macron n’est pas sans conséquence. Il a même généré une dérive politique dangereuse, en dynamitant la gauche et en plaçant l’extrême droite comme premier bloc de l’opposition en France. Le champ politique de l’extrême droite s’est tellement élargi qu’il comprend désormais deux courants, incarnés par Marine Le Pen et Éric Zemmour.

Tous deux ont une histoire forte avec l’Algérie : la première est la fille d’un officier parachutiste accusé d’avoir commis des assassinats durant la guerre d’Algérie (1954-62) ; le second est descendant de juifs d’Algérie, et il porte un nom berbère.

Tous deux sont portés par un discours xénophobe, anti-immigrants, anti-islam. Marine Le Pen, héritière historique de ce courant, a tenté, avec le temps, de polir son discours, d’adoucir son image, pour devenir moins effrayante, et se donner ainsi une chance d’accéder au pouvoir.

Cette évolution a libéré, sur son flanc droit, un courant violent, qui l’accuse désormais de s’être ramollie, et d’avoir abandonné la matrice de l’extrême droite !

Une gauche à la dérive

À gauche, l’évolution est désopilante. Alors que cet espace politique a été historiquement marqué par un foisonnement d’idées et de projets, il offre désormais une image faite d’activisme, de guerre d’égos, de nihilisme et de surenchère verbale, avec des personnages velléitaires, sans rapport avec la richesse intellectuelle et idéologique qui a toujours marqué la gauche.

Alors que cet espace politique a été historiquement marqué par un foisonnement d’idées et de projets, il offre désormais une image faite d’activisme, de guerre d’égos, de nihilisme et de surenchère verbale, avec des personnages velléitaires

Symbole de cette évolution, le candidat le mieux placé, Jean-Luc Mélenchon, qui se situe autour de 10 % dans les sondages, semble avoir choisi le confort de la contestation plutôt que le risque de la gestion. Il a créé un parti, La France insoumise, dont le nom est évocateur. Ce choix réduit ce parti à une posture d’opposant éternel, l’excluant de fait de la gestion et de la responsabilité.

Qu’une telle attitude dénote un certain panache et du romantisme ne change pas le fond. Au final, ce parti semble constituer un costume parfait pour faire briller un leader qui a un certain charisme, mais son ambition s’arrête là. Son radicalisme l’empêche de chercher des convergences avec les autres composantes de la gauche, qui ne supportent pas sa volonté d’hégémonie.

C’est d’autant plus évident que les autres composantes de la gauche sont à la dérive. Le parti socialiste, qui a dirigé la France sous François Mitterrand et François Hollande, sans compter le gouvernement de Lionel Jospin, est en plein naufrage. Sa candidate, Anne Hidalgo, pourtant maire de Paris, peine à 2 % des intentions de vote.

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Face à cette déroute annoncée, Christiane Taubira s’est présentée comme une candidate qui pourrait éviter le naufrage de la gauche, mais elle n’a fait qu’augmenter le malaise.

Elle n’a pas su décoller dans les sondages, mais elle a réussi à enfoncer davantage la candidate du Parti socialiste, en lui grappillant quelques points dans les sondages.

Elle a également confirmé les dégâts de l’activisme à gauche : en 2002, une élection présidentielle promise à Lionel Jospin avait été perdue parce que le candidat socialiste n’avait pas été qualifié au second tour, déjà en raison d’une candidature de Mme Taubira !

Autre signe du puits sans fond dans lequel a plongé la gauche, la candidature du communiste Fabien Roussel est déjà considérée comme une réussite, alors que les sondages lui attribuent à peine 3 % des intentions de vote ! Cela montre bien que la crise de la gauche est telle que gagner un point apparaît comme un exploit.

Champs de ruines

La stratégie de Macron a ainsi transformé gauche et droite en champs de ruines. Tout le monde se place désormais dans la perspective de la recomposition qui aura lieu après la présidentielle. Il reste à savoir si Macron réussira à maintenir la cohésion de cet espace politique allant du centre droit au centre gauche durant son prochain mandat. Particulièrement si une guerre de succession se déclare trop tôt.

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Son pari ne semble toutefois pas insurmontable. Le pouvoir a toujours été exercé en France au sein de cet espace politique allant des libéraux à la social-démocratie. Des consensus ont même émergé dans cet espace sur la plupart des dossiers économiques et sociaux, et les alternances depuis un demi-siècle n’ont pas bouleversé les politiques sociales mises en place par les uns ou les autres.

Le clivage traditionnel gauche/droite pousse à la surenchère vers les extrêmes, alors que le macronisme fait un choix inverse : celui d’une jonction, à défaut d’alliance, entre les deux grands blocs au centre, plus aptes à la négociation, au compromis, à une gestion politique apaisée.

La formule comprend certaines nuances, selon qu’elle soit tentée au sein d’un seul grand parti, comme La République en marche, ou d’une coalition, comme cela s’est fait en Allemagne sous Angela Merkel. Mais le résultat a été spectaculaire : il a relégué les autres opposants « radicaux » au rang de simples agitateurs. Même si la menace de l’émergence de grands blocs radicaux n’est pas à écarter.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Abed Charef est un écrivain et chroniqueur algérien. Il a notamment dirigé l’hebdomadaire La Nation et écrit plusieurs essais, dont Algérie, le grand dérapage. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AbedCharef
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