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Une officine israélienne de désinformation au cœur du scandale BFMTV

Une mystérieuse « Team Jorge » basée en Israël mène des opérations de propagande sophistiquées pour les besoins de différents acteurs étatiques
BFMTV a diffusé des sujets orientés sur les oligarques russes, le Qatar, le Soudan, le Cameroun, ou encore le Sahara occidental (AFP/Lionel Bonaventure)
BFMTV a diffusé des sujets orientés sur les oligarques russes, le Qatar, le Soudan, le Cameroun ou encore le Sahara occidental (AFP/Lionel Bonaventure)

L’affaire visant un présentateur de la chaîne française BFMTV, Rachid M’Barki, mis en cause pour des sujets ayant subi une influence extérieure, est liée à une vaste entreprise de désinformation pilotée par une officine israélienne, révèle mercredi une enquête d’un consortium international de 100 journalistes. 

« Il n’y a pas de doute que BFM est victime dans cette histoire, quand l’un des nôtres court-circuite la chaîne hiérarchique, ça pose problème », a réagi mercredi le directeur général de la chaîne info, Marc-Olivier Fogiel, sur France Inter, après avoir diligenté une enquête interne et suspendu le journaliste de 54 ans.

Des informations « fournies clés en main »

Selon cette enquête du collectif de journalistes Forbidden Stories, auquel a contribué pour la France la cellule investigation de Radio France et Le Monde, cette affaire est liée à une vaste entreprise de désinformation pilotée par une officine israélienne, qui vendrait ses services dans le monde entier.

La première chaîne d’information en continu de France avait ouvert en janvier une enquête interne en raison de soupçons visant Rachid M’Barki

Dans le cas de Rachid M’Barki sur BFMTV, les brèves diffusées à l’antenne avaient trait aux oligarques russes, au Qatar, au Soudan, au Cameroun ou encore au Sahara occidental et auraient été « fournies clés en main pour le compte de clients étrangers », selon le consortium d’investigation.

La première chaîne d’information en continu de France avait ouvert en janvier une enquête interne en raison de soupçons visant Rachid M’Barki.

Selon Marc-Olivier Fogiel, le présentateur « s’arrangeait pour demander [des] images en dernière minute » pour illustrer des brèves, « une fois que le rédacteur en chef était pris sur une autre tranche et avait validé l’ensemble de son journal ».

Interrogé en janvier par le site Politico, Rachid M’Barki avait admis avoir « utilisé des infos qui [lui] venaient d’informateurs » et qui n’avaient « pas forcément suivi le cursus habituel de la rédaction ».

« Elles étaient toutes réelles et vérifiées [...] Je n’écarte rien, peut-être que je me suis fait avoir, je n’avais pas l’impression que c’était le cas ou que je participais à une opération de je ne sais quoi sinon je ne l’aurais pas fait », poursuivait-il.

Qui est Jorge ?

Politico avait révélé qu’il s’agissait, notamment, d’informations sur le Maroc.

Lors d’un journal de nuit, Rachid M’Barki a présenté un sujet sur un forum économique à Dakhla, dans le sud du Maroc, dans les territoires qualifiés « d’occupés » par les indépendantistes du Polisario.  

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« Sur fond d’images promotionnelles de l’événement, le présentateur y fait référence au ‘’réchauffement des relations diplomatiques’’ entre l’Espagne et le Maroc, facilité, dit-il, par la ‘’reconnaissance espagnole du Sahara marocain’’. Une expression inhabituelle dans les médias français pour faire référence à la situation du Sahara occidental », écrit Politico.

Les enquêteurs de Forbidden Stories sont allés plus loin dans l’investigation. Ils ont pu s’entretenir, sous une fausse identité de clients potentiels, avec Tal Hanan, alias Jorge, patron israélien de la « Team Jorge », ancien militaire qui a développé une puissante plateforme de désinformation en ligne, Aims, acronyme de « Advanced Impact Media Solutions » (solutions avancées pour un impact médiatique).

Lors d’une de ses rencontres, le fameux Jorge « se gargarise de pouvoir diffuser ses histoires à la télévision française ».

« Pour prouver ce qu’il avance, il montre l’extrait d’un reportage diffusé sur BFMTV, en décembre 2022 : ‘’L’Union européenne annonce un nouveau train de sanctions contre la Russie. […] Des sanctions à répétition qui font craindre le pire aux constructeurs de yachts à Monaco. Le gel des avoirs des oligarques met leur secteur en grande difficulté… ‘’. Le texte de cette brève diffusée à minuit passée sur la chaîne d’info en continu est lu par Rachid M’Barki. Un angle incongru, même à cette heure tardive, dans le tumulte de l’actualité. Et pour cause, d’après Jorge, le sujet est une commande passée pour le compte de l’un de ses clients », expliquent les journalistes enquêteurs.

Influencer des élections 

Une fois diffusé, cet extrait est isolé puis diffusé massivement sur Twitter par la plateforme Aims afin de le rendre viral. L’objet de cette intervention consiste donc clairement à discréditer les sanctions infligées à la Russie. 

Cette officine israélienne est également spécialisée dans la désinformation sur le net dans les périodes électorales ou les crises politiques.

Tal Hanan, alias Jorge, s’est vanté devant les journalistes d’investigation qui se sont fait passer pour des clients désirant « acheter » ses services d’avoir « participé au sabotage de plusieurs scrutins, dont notamment le premier référendum sur l’indépendance de la Catalogne organisé le 9 novembre 2014 ».

Il leur confie également avoir travaillé sur « 33 campagnes présidentielles, dont 27 ont été couronnées de succès ». lI leur a affirmé, démonstration à l’appui, pouvoir créer automatiquement de faux comptes en ligne, générer automatiquement du contenu sur les réseaux sociaux ou pirater des emails ou des comptes Telegram pour influencer des campagnes électorales notamment.

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