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France : polémique sur l’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi à cause de son « engagement pendant la guerre d’Algérie » 

La proposition de panthéonisation de l’avocate et féministe formulée par l’historien Benjamin Stora rencontre des résistances qui font hésiter l’Élysée
L’avocate et présidente de « Choisir la cause des femmes », Gisèle Halimi, s’exprime, le 14 novembre 2003 à Paris, lors de son audition par la commission Stasi sur la laïcité (AFP)
L’avocate et présidente de Choisir la cause des femmes, Gisèle Halimi, s’exprime, le 14 novembre 2003 à Paris, lors de son audition par la commission Stasi sur la laïcité (AFP)
Par MEE

Le président français Emmanuel Macron pourrait ne pas suivre une des recommandations du rapport de l’historien Benjamin Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, remis à l’Élysée en janvier 2021 : l’entrée au Panthéon de l’avocate et militante féministe Gisèle Halimi, disparue en juillet 2020, comme « figure d’opposition à la guerre d’Algérie ».

« En cause, l’engagement de Gisèle Halimi pendant la guerre d’Algérie », révèle la radio publique France Inter, précisant que « c’est une règle absolue : une panthéonisation doit rassembler et, par-dessus tout, ne froisser personne ».

Sur France Culture, l’historienne Karima Direche rappelle que Gisèle Halimi a « défendu des militants FLN [Front de libération nationale], des militants nationalistes indépendantistes algériens, elle a dénoncé la torture, et le fait qu’elle ait porté ces combats-là lui a valu de l’admiration mais aussi une haine farouche des partis conservateurs et nationalistes attachés à la grandeur coloniale de la France ».

« Certaines associations de harkis et de pieds-noirs l’ont pris comme une insulte », confie un proche du dossier à France Inter. « Cela n’a pas échappé au président, son entourage le reconnaît. Lui qui s’est donné pour mission de ‘’réconcilier les mémoires’’ hésite à prendre le risque de raviver ces blessures », poursuit la radio publique.

« L’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi serait pourtant l’occasion, explique un conseiller [de L’Élysée], ‘’d’envoyer au passage un message à la gauche’’ à quelques mois de l’élection présidentielle, et de ‘’mettre en lumière la grande cause du quinquennat’’, l’égalité entre les femmes et les hommes », poursuit France Inter.

La panthéonisation de l’ancienne avocate du FLN, mouvement indépendantiste algérien, est pourtant défendue par un large spectre de militants et de militantes féministes en France, et même par un membre du gouvernement, Élisabeth Moreno, ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.    

De son côté, l’historien Benjamin Stora ne s’est pas encore prononcé publiquement, se contentant de relayer l’appel publié par Libération, signé par des militantes féministes, des universitaires et diverses ONG de défense des droits de l’homme, en faveur de l’entrée de Gisèle Halimi au Panthéon.   

« L’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi reconnaîtrait son apport à l’histoire de France », déclarent les signataires de cet appel, rappelant qu’« elle comprit très tôt que son combat devait être du côté des opprimé·e·s ou des oublié·e·s de la République : les peuples colonisés, les pauvres, les femmes. C’est forte de cette expérience intime de l’injustice, qu’elle s’engagea, au péril de sa vie, dans le combat dé-colonial de la guerre d’Algérie par la défense des combattant·e·s du FLN ».

Photo du 22 avril 1962 de la jeune combattante indépendantiste algérienne, Djamila Boupacha, en compagnie de son avocate Gisèle Halimi à sa sortie de la maison centrale de Rennes (AFP)
Photo du 22 avril 1962 de la jeune combattante indépendantiste algérienne Djamila Boupacha en compagnie de son avocate Gisèle Halimi à sa sortie de la maison centrale de Rennes (AFP)

L’hostilité à la panthéonisation de Gisèle Halimi vient, notamment, des représentants de la communauté des harkis, auxiliaires algériens des forces coloniales françaises durant la guerre d’indépendance (1954-1962).

Pour rappel, Le Figaro avait, en janvier 2021, publié une tribune intitulée « Nous, filles et femmes de harkis, récusons le rapport Stora sur la guerre d’Algérie », dans lequel les signataires exprimaient leur refus de l’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi.

La tribune revient sur une déclaration de l’avocate, en mai 2010, à la radio. Répondant à une question sur le fait de savoir si « la femme n’est jamais […] la meilleure ennemie de la femme », Gisèle Halimi répond : « Je crois que, quand la femme… oui, cela arrive, hélas… Moi, j’ai appelé ça, en référence à la guerre d’Algérie, les femmes harkis. Les femmes harkis, malheureusement, cela existe. »

« Est-ce ainsi que Benjamin Stora veut favoriser la réconciliation ? Gisèle Halimi, qui a affiché en plusieurs autres occasions son mépris pour les harkis, n’est pas une femme de réconciliation. Oui pour l’entrée au Panthéon d’une personne irréprochable en relation avec la guerre d’Algérie – nous proposons Henri Alleg, qui avait appelé à reconnaître l’abandon des harkis par la France –, mais ce n’est pas le cas de Gisèle Halimi », lit-on dans la tribune du Figaro.

Pour le moment, et selon des médias français, « la panthéonisation de l’emblématique combattante féministe et anticolonialiste est toujours en cours d’examen par la commission ‘’Mémoire et vérité’’ mise en place par l’Élysée dans la foulée du rapport Stora ».

« La réflexion est en cours. C’est une décision qui exige que de nombreuses parties prenantes soient consultées. Auprès des acteurs, témoins ou dépositaires de tous les combats où Gisèle Halimi s’est engagée », a assuré une source officielle à l’AFP.

« Si cette entrée au Panthéon pourrait finalement être jugée trop sensible, la présidence assure en revanche que l’hommage national à Gisèle Halimi promis par Emmanuel Macron aura bien lieu, à une date qui n’est pas encore fixée », révèle France Inter.

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