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France : Marine Le Pen ou l’image policée et décomplexée d’une droite résolument extrême

La candidate du Rassemblement national, qui talonne Emmanuel Macron dans les sondages, compte sur « la normalisation de son image » pour gagner la présidentielle. Mais sous le vernis d’une campagne sociale et populaire, se cache un programme xénophobe et raciste
La dirigeante du Rassemblement national et candidate à l’élection présidentielle française Marine Le Pen tient une conférence de presse sur l’immigration dans le cadre de sa campagne à Paris, le 2 décembre 2021 (AFP/Julien de Rosa)

La scène se passe le lundi 3 avril 2022 devant une école de Ris-Orangis, dans la banlieue sud de Paris. À sa sortie, un groupe d’élèves s’avance vers les panneaux d’affichage électoral. Ils décollent par petits bouts le poster du candidat à la présidentielle Éric Zemmour et épargnent celui de Marine Le Pen, qui se trouve juste à côté. « Zemmour est pire car il attaque tout le temps les musulmans et les Arabes », se justifie un des écoliers, d’origine algérienne. La réplique détonne et questionne.

En se faisant le pourfendeur exclusif voire hystérique du « grand remplacement », la théorie qui crédite l’existence d’un processus de substitution de la population française par une population non européenne issue du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, le polémiste a-t-il contribué bien malgré lui à la dédiabolisation du Rassemblement national (RN) et de sa candidate Marine Le Pen, qui trône à la seconde place dans les sondages, juste après le président sortant Emmanuel Macron ?

C’est très possible, surtout que cette dernière a préféré mener campagne sur le pouvoir d’achat, un thème banal mais plus proche des préoccupations des Français, en particulier depuis le début de la guerre en Ukraine et la flambée des prix des produits pétroliers.

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Pour lisser son image et paraître plus consensuelle, la candidate de 53 ans a même posé dernièrement avec une jeune fille voilée pour un selfie. « Moi, je m’attaque pas aux gens », a-t-elle rétorqué à Jean Messiha, porte-parole de Reconquête, le parti d’Éric Zemmour, lorsque celui-ci lui a reproché, dans une émission de télévision, de renier ses convictions.

« Je vais te faire comprendre la différence entre lutter contre l’immigration et les immigrés, ce que vous voulez faire […], la différence entre lutter contre l’islamisme et s’attaquer à des jeunes filles qui ne devaient pas avoir plus de 15 ans et qui voulaient faire une photo avec moi », a-t-elle répondu, agacée, à son interlocuteur, ajoutant qu’elle allait lui « faire comprendre l’humanité ».

Marine Le Pen humaine et proche des gens, de tous, nonobstant leurs origines et leurs croyances ? À vrai dire, non. Ce jeudi, la candidate d’extrême droite a annoncé qu’elle sanctionnerait le port du voile, qu’elle considère comme « un uniforme islamiste », par une « amende ».

Marine Le Pen avait présenté en janvier 2021 son projet pour lutter contre les « idéologies islamistes », jugées « totalitaires », qui sont à ses yeux « partout » et qu’elle entend bannir de toutes les sphères de la société, à commencer par le voile.

Le texte entend interdire la « pratique, la manifestation ainsi que la diffusion publique », au cinéma, dans la presse comme à l’école, des « idéologies islamistes ».  

En 2020, Marine Le Pen avait également annoncé qu’elle appliquerait la dégradation de la nationalité aux Français « radicalisés », ce qui équivaut selon elle à « une mort civique », tout en préconisant de déclarer « l’idéologie » islamiste « ennemie de la France » pour en faire découler « une législation d’exception ».

Symptomatique du racisme qui anime toujours la candidate RN malgré ses efforts en matière d’image : le parti qu’elle préside avait, en août dernier, également lancé une pétition contre l’arrivée en France des civils afghans après la prise de Kaboul par les talibans – alors qu’elle juge aujourd’hui « naturel » d’accueillir les Ukrainiens, « par solidarité régionale », car ils sont « des réfugiés de guerre européens ».

La préférence nationale dans la Constitution

Dans la bouche de Marine Le Pen version 2022, les mots sont choisis avec précaution. Le discours est plus policé pour celle qui ne veut pas être identifiée comme une figure clivante de l’extrême droite et tente de faire oublier son échec électoral au second tour de la présidentielle de 2017.

Après avoir modifié le nom du parti hérité de son père Jean-Marie, le sulfureux fondateur et président du FN entre 1972 et 2011, remplaçant le terme « front », plus militaire, par celui de « rassemblement », la candidate et actuelle députée du Nord-Pas-de-Calais s’est attaquée au glossaire de son programme pour en évacuer les relents xénophobes dans le cadre d’une campagne de « dédiabolisation » qui a commencé il y a plusieurs années.

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Ainsi, à la place du concept de « préférence nationale » popularisé par l’extrême droite, le RN préfère désormais celui de « priorité nationale », même si le contenu est toujours le même, à savoir réserver les logements, emplois et aides sociales aux personnes détentrices de la nationalité française.

« Notre pays passe avant tout, nos familles passent avant tout, notre peuple passe avant tout », martèle-t-elle. « Je veux faire de tous les citoyens français des privilégiés dans leur propre pays », a encore entonné Marine Le Pen dans un meeting en février dernier.

Pour stopper ce qu’elle considère comme « une submersion migratoire », elle veut inscrire « la priorité nationale » dans la Constitution afin, écrit-elle dans son programme, « d’empêcher les juridictions supranationales de forcer la France à suivre des politiques contraires à la volonté du peuple français ».

« Les étrangers qui viennent travailler dans notre pays doivent subvenir à leurs besoins : ils n’auront plus accès aux prestations de solidarité nationale », avertit la candidate, qui se prévaut de détenir « un projet clé en main » contenant « la suppression du droit du sol, l’arrêt de l’acquisition automatique de la nationalité française et l’expulsion des délinquants et des criminels ».

Si un État étranger refuse de reprendre ses ressortissants, il subira, prévient Marine Le Pen, « l’expérience d’une fermeté à laquelle, depuis 50 ans, aucun dirigeant français n’aura osé recourir ». Le message s’adresse en priorité aux pays maghrébins, d’où proviennent les plus grands flux migratoires et qu’elle compte punir en bloquant à la fois les transferts d’argent depuis la France et les visas.

Dans l’Hexagone, la candidate promet d’agir avec la même fermeté contre le crime et la délinquance, surtout dans les quartiers populaires (à forte concentration immigrée), qu’elle décrit comme des « cités de non-droit, ou d’un autre droit ».

« Peut-on encore rencontrer les populations des quartiers nord sans risquer sa vie », a-t-elle déclaré au cours d’une visite pré-électorale à Marseille en 2021, assurant vouloir « libérer les braves gens » en réarmant « les policiers en personnel et moralement ».

Réservoir de voix dans la police

Au cours de son déplacement, la candidate a même participé à une patrouille de la Brigade anti-criminalité (BAC) dans les quartiers nord de Marseille. Une mise en scène pour montrer les muscles sur le terrain de la sécurité et son appui aux policiers, une niche électorale très précieuse pour le RN. 

Selon une enquête de 2021 du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), 57 % des policiers et des militaires interrogés disaient avoir voté pour Marine Le Pen au second tour de la présidentielle de 2017. Ils seraient aujourd’hui 60 % à souhaiter lui donner leur voix.

En plus des policiers, la candidate du RN pourrait avoir les faveurs d’autres électorats, multiples et parfois improbables il y a encore quelques années. D’après un sondage récent, 21 % des électeurs de La France insoumise (LFI), déçus par le quinquennat de Macron, feront un report de voix sur Marine Le Pen si leur candidat, Jean-Luc Mélenchon, ne passe pas le premier tour de la présidentielle ce dimanche.

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À l’extrême droite, la présidente du Rassemblement national devrait pouvoir compter sur le soutien des partisans de Zemmour. Une partie des électeurs des Républicains (LR, droite) pourraient également lui donner leur voix en cas d’échec de leur candidate, Valérie Pécresse.

Selon un sondage Odoxa-Backbone Consulting pour Le Figaro, 23 % des électeurs LR souhaitent d’ailleurs une alliance avec le parti de Marine Le Pen, contre 60 % des sympathisants de Reconquête. L’ex-polémiste s’est dit lui-même favorable à une réconciliation avec sa rivale.

Mais tous ces soutiens de dernière minute suffiront-ils à Marine Le Pen pour gagner l’élection au soir du 24 avril ? Pas sûr, tempère Nonna Meyer, chercheuse émérite au CNRS et spécialiste de la sociologie électorale de l’extrême droite.

« Aux dernières régionales [en 2021], elle faisait de très bons scores dans les sondages et à la dernière minute, il y a eu un taux d’abstention record de son électorat », rappelle-t-elle, mettant en exergue la probable défection des classes populaires jeunes et au chômage.

Les personnes les plus susceptibles d’aller voter sont plus âgées, celles qui ont plus de revenus, plus de capital culturel, et pour qui il y a encore, concernant Marine Le Pen, un « plafond de verre », assure Nonna Meyer.

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