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Une instance de l’ONU à nouveau préoccupée par l’ampleur du discours raciste en France

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale déplore également l’absence de sanctions contre le contrôle au faciès et les violences policières à l’égard des minorités
Des jeunes reconstituent une interpellation lors d’une manifestation à Mantes-la-Jolie, le 12 décembre 2018, en soutien aux lycéens interpellés en banlieue parisienne. (AFP/Alain Jocard)
Des jeunes reconstituent une interpellation lors d’une manifestation à Mantes-la-Jolie, le 12 décembre 2018, en soutien à des lycéens interpellés en banlieue parisienne (AFP/Alain Jocard)

La propagation des idées et des pratiques racistes en France inquiète l’ONU. Son Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a publié le 2 décembre 2022 un rapport très critique où il se dit « préoccupé par la persistance et l’ampleur des discours à caractère raciste et discriminatoire, notamment dans les médias et sur internet ».

Les dix-huit experts indépendants qui ont rédigé le rapport évoquent aussi « le discours politique raciste tenu par des responsables politiques » à l’égard de certaines minorités ethniques comme les Roms, les gens du voyage, les personnes africaines et d’ascendance africaine ainsi que les populations d’origine arabe.

Ils déplorent par ailleurs les violences et le profilage racial au sein de la police, à travers « le recours fréquent à des contrôles d’identité, à des interpellations discriminatoires ainsi que l’application d’amendes forfaitaires […] ciblant de manière disproportionnée certaines minorités ».

Des contrôles au faciès intraçables

Le CERD, qui veille au respect de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965, constate par exemple qu’il n’existe pas de contrôle judiciaire et de traçabilité concernant les contrôles d’identité, « lesquels sont souvent accompagnés de propos et d’actes racistes et discriminatoires ».

Aussi appelle-t-il la France à inclure dans sa législation la définition et l’interdiction du profilage racial ou ethnique et à veiller à ce que des directives claires sur le sujet soient mises à la disposition des forces de l’ordre.

La Défenseure des droits (une autorité constitutionnelle indépendante chargée de défendre les droits des citoyens face aux administrations), Claire Hédon, a également préconisé lors de son audition par le CERD le 14 novembre dernier « la mise en place d’un dispositif de traçabilité et d’évaluation des contrôlés effectués » par la police.

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Plus globalement, elle a pointé « l’absence de politique et d’outils dédiés permettant de lutter efficacement contre les discriminations liées à l’origine ».

Le rapport du CERD fait suite à une évaluation périodique de la politique de la France à l’égard de ses minorités, au même titre que d’autres États membres de l’ONU auditionnés lors de sa 108e session qui a eu lieu à Genève entre le 14 novembre et le 2 décembre.

En plus du profilage racial, le comité onusien se dit préoccupé par « le nombre de cas signalés d’usage excessif de la force et de mauvais traitements, y compris des violences physiques et verbales infligées par des agents des forces de l’ordre aux membres de certains groupes minoritaires ».

Citant en exemple l’affaire Adama Traoré (mort lors d’une interpellation en 2016), il demande à l’État français de prendre des mesures pour garantir des enquêtes complètes et impartiales sur tous les cas d’incidents racistes infligés par des policiers et de s’assurer que ces derniers sont poursuivis et sanctionnés de manière appropriée.

Toujours à propos de l’affaire Traoré, le Comité s’est dit profondément préoccupé par le fait qu’Assa, la sœur d’Adama, ait été victime de messages diffamatoires, notamment en ligne, en particulier sur le compte Twitter du syndicat de la police.

Le rapport déplore sur un autre plan le traitement réservé aux migrants et aux demandeurs d’asile ainsi qu’aux enfants étrangers non accompagnés qui font également l’objet de discriminations.

Il est à noter que ce n’est pas la première fois que l’ONU épingle la France sur les questions de racisme. En 2015, un rapport du CERD déplorait déjà la banalisation du discours raciste dans le pays.

Des discours prompts à nourrir le racisme

Depuis, le comité estime que des efforts ont été réalisés par l’État pour lutter contre la haine et les discriminations raciales. Mais il lui demande de redoubler d’efforts, en appliquant effectivement la législation et en sanctionnant toute manifestation de racisme dans les espaces publics, les médias et internet. 

Selon Dominique Sopo, président de SOS Racisme, la France a pu agir de manière positive en prononçant par exemple la dissolution de groupuscules d’extrême droite comme Génération identitaire en 2021. Il estime cependant que l’exécutif tient quelques fois des discours prompts à nourrir le racisme, notamment par la voix de son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.

« Nous sommes dans un contexte très fort de libération de la parole raciste stigmatisante qui est non seulement le fait d’une partie des responsables politiques de l’extrême droite, […] mais également de la droite classique et de membres du gouvernement »

- Dominique Sopo, président de SOS Racisme

« Nous sommes dans un contexte très fort de libération de la parole raciste stigmatisante qui est non seulement le fait d’une partie des responsables politiques de l’extrême droite, comme nous l’avons vu avec le phénomène Zemmour [ex-candidat à la présidentielle], mais également de la droite classique et de membres du gouvernement », affirme le président de SOS Racisme à Middle East Eye.

Il évoque le rapprochement qui est souvent fait entre l’augmentation de la délinquance et la présence d’étrangers sur le sol français ainsi que la validation sous-entendue de la théorie complotiste du « grand remplacement » sur un soi-disant processus de substitution de la population européenne par une population originaire du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne.

« Cette parole-là trouve des débouchés médiatiques », poursuit le responsable antiraciste, qui reproche aux autorités leur impassibilité face aux relais médiatiques de l’extrême droite comme la chaîne d‘information en continu CNEWS.

CNEWS, un média d’opinion au service de l’extrême droite française
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Dominique Sopo déplore également la négation du phénomène du profilage racial par le gouvernement. « Il y a un soutien systématique et caricatural de la police quels que soient les actes commis », remarque-t-il, s’insurgeant contre les contrôles fréquents et la violence ciblant certains individus à cause de leur origine et de leur couleur de peau.

« Il y a un manque de réaction à ce sujet, soit par manque de volonté, soit par impuissance », dénonce-t-il.

Abdellah Zekri, président de l’Observatoire de l’islamophobie, attire quant à lui l’attention sur la passivité du gouvernement face aux actes racistes qui visent les musulmans.

Selon lui, le CERD « enfonce des portes ouvertes » en évoquant l’ampleur du discours raciste » envers les minorités.

« Nous le constatons tous les jours », dit-il à Middle East Eye, inquiet de la multiplication des attaques ciblant les lieux de culte musulmans, dont la dernière en date a eu lieu dans la Drome, dans le sud-est de la France, le 4 décembre dernier.

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