Refus du maillot arc-en-ciel : tempête dans le football professionnel français
Le refus par plusieurs joueurs, en France, de porter un maillot au flocage arc-en-ciel en soutien aux LGBTQ+ en Ligue 1 de football ce week-end a été qualifié lundi d’« anachronique » par le porte-parole du gouvernement Olivier Véran et a valu une sanction au Nantais Mostafa Mohamed.
Dans une lettre ouverte aux joueurs qui ont refusé de porter le maillot contre l’homophobie, le Conseil national de l’éthique (CNE) a de son côté souligné la « gravité de leur comportement et l’erreur qui est la leur » et les appelle à « mettre de côté certaines convictions personnelles ». Cette instance de la Fédération française de football (FFF) ne saisira toutefois pas la commission de discipline.
Cette affaire a suscité une vague de réactions et de commentaires dans les médias et sur les réseaux sociaux, entre critiques et soutiens à l’attitude des joueurs musulmans.
— PanamBoyz & Girlz United (@PanamboyzUtd) May 12, 2023
À l’occasion de la campagne annuelle « Homos ou hétéros, on porte tous le même maillot », tous les joueurs de première et deuxième divisions étaient invités ce week-end à porter un maillot floqué des couleurs de l’arc-en-ciel, qui ornaient aussi les brassards des capitaines.
La campagne a été respectée par l’immense majorité des joueurs, dont les maillots doivent être vendus aux enchères au profit des associations Foot Ensemble, PanamBoyz&Girlz United et SOS Homophobie.
— Actu Foot Maghreb (@actufootmaghreb) May 13, 2023
Mais des joueurs de Toulouse, Nantes ou encore Guingamp ont refusé de jouer, ravivant les polémiques suscitées l’an dernier déjà par le joueur du PSG Idrissa Gana Gueye.
« Le fait que [Idrissa Gana Gueye] revendique sa volonté de ne pas porter le maillot arc-en-ciel au nom de ses croyances religieuses et que le PSG n’ait pas pris de sanctions à son encontre, ça a ouvert la boîte de Pandore », a déclaré Bertrand Lambert, fondateur de l’association PanamBoyz & Girlz United.
Idrissa Gana Gueye avait été sommé de s’expliquer par le Conseil national de l’éthique de la FFF, mais avait reçu un flot de soutien au Sénégal, son pays natal.
« C’est nul. Je lisais tout à l’heure un article où quelqu’un, un sélectionneur je crois, disait que l’homophobie était une opinion : non, c’est un délit », a regretté le ministre délégué chargé du Renouveau démocratique Olivier Véran sur le plateau de France 2 lundi matin.
« C’est anachronique : on vit dans une époque aujourd’hui [...] où chacun est libre de s’aimer comme il le souhaite », a-t-il ajouté.
Mostafa Mohamed se défend
Lundi, le FC Nantes, qui lutte pour son maintien en L1, a annoncé dans un communiqué qu’il allait sanctionner « financièrement mais pas sportivement » son joueur égyptien Mostafa Mohamed, qui pourra donc jouer dès samedi contre Montpellier pour la 36e journée.
Le FC Nantes ne précise pas le montant de la sanction financière qui sera infligée au joueur mais indique que « cet argent sera versé à l’association SOS Homophobie ».
Dans la nuit de dimanche à lundi, l’attaquant égyptien, de confession musulmane, avait expliqué son choix dans un message publié sur les réseaux sociaux. « Je ne souhaite pas du tout polémiquer mais je me dois de faire part de ma position [...] Je respecte toutes les différences. Je respecte toutes les croyances et toutes les convictions. Ce respect s’étend aux autres mais comprend également le respect de mes croyances personnelles », écrit-il sur Twitter.
« Vu mes racines, ma culture, l’importance de mes convictions et croyances, il n’était pas possible pour moi de participer à cette campagne. J’espère que ma décision sera respectée », poursuit Mostafa Mohamed, qui aurait reçu des « menaces » émises à son encontre et celle de sa famille, déclare par ailleurs son club.
— Mostafa Mohamed (@mmostafa_11) May 14, 2023
Mostafa Mohamed, a expliqué son entraîneur Pierre Aristouy, « était tiraillé entre son envie de jouer et des problématiques plus lointaines. C’est une question sensible ».
— Xavier Elbaz (@xElbaz) May 16, 2023
Samedi, le défenseur sénégalais de Guingamp Donatien Gomis a aussi préféré déclarer forfait pour le match de Ligue 2 à Sochaux.
L’entraîneur brestois Éric Roy a lui déploré un timing « catastrophique ». « Ne le fais pas dans les quatre derniers matches » quand les clubs jouent leur « survie », a-t-il dit après la victoire de Brest face à Auxerre dimanche après-midi.
« Il y a des joueurs à qui ça pose problème. Chacun est libre de ses opinions, personnellement, ça ne me pose pas de problème », a ajouté le technicien brestois. « C’est très bien que la Ligue s’engage, mais personnellement, je ne suis pas content qu’il y ait cinq joueurs qui ne jouent pas à Toulouse, qui affronte Nantes, qui se bat avec nous pour se maintenir. Est-ce que c’est équitable ? Non. »
— PanamBoyz & Girlz United (@PanamboyzUtd) May 14, 2023
Dimanche soir, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra avait estimé dans l’émission « Stade 2 » qu’il était « de la responsabilité des clubs, avec un dialogue avec leurs joueurs, de prendre des sanctions ».
Pour le Conseil national de l’éthique, « même s’ils n’en ont pas conscience, [ces joueurs] se rendent complices des comportements homophobes ».
— Sofiane 7rizi 🇲🇦 (@Sofiane_Hrizi) May 14, 2023
Toutefois, « les comportements individuels de quelques-uns ne doivent pas occulter la réussite de cette initiative », est-il ajouté dans la lettre ouverte, concluant que les refus de quelques-uns « démontrent à quel point elle est encore indispensable pour faire évoluer les mentalités ».
« Il ne faut pas donner trop d’importance à ces choix individuels et ne pas oublier que plus de 400 joueurs ont joué le jeu sans aucun problème », explique à l’AFP Bertrand Lambert. Le club de Montpellier a même pour l’occasion inséré l’arc-en-ciel dans son écusson, remplaçant ses traditionnelles bandes bleues et blanches.
— Ahlawy (@So__EGY) May 15, 2023
« On a sous-estimé le problème, un grand nombre de joueurs ne souhaitent pas porter le maillot », explique à l’AFP Yoann Lemaire, de l’association Foot Ensemble. Depuis plusieurs années, il est allé « rencontrer un grand nombre de joueurs pros et des centres de formation pour les sensibiliser. Mais au moins, ça les intéresse d’en parler, ils expliquent pourquoi ils ne veulent pas, pour diverses raisons, cela peut être aussi pour ne pas se sentir forcés de défendre une cause. Mais la discussion se termine souvent par : ‘’On va le porter, le maillot’’ », poursuit Lemaire.
Bertrand Lambert, du Panamboyz and Girlz United, rappelle que cette opération « n’a pas pour but de promouvoir l’homosexualité mais promouvoir un foot ouvert à tous, et de lutter contre l’homophobie, qui n’est pas une opinion en France mais un délit. Il faut bien comprendre qu’on ne demande pas à ces gens de devenir homosexuels ! »
Il souligne que son association comme d’autres interviennent « toute l’année auprès des joueurs et dans les centres de formation » et « salue le travail de la [Ligue de football professionnel] ».
Le responsable d’association « sent quand même que les choses petit à petit ont évolué. Avant, on était un peu seuls à tirer le signal d’alarme, jusqu’au jour où des matches ont été arrêtés, le problème qui était mis sous le tapis est devenu public ».
« La ‘’planète foot’’ a quand même bien évolué », conclut Lambert. « Avant, c’était anormal d’en parler, aujourd’hui, c’est anormal de ne pas porter ce maillot. »
Pour Julien Pontes, porte-parole du collectif Rouge Direct, lanceur d’alerte qui cible l’homophobie dans le sport, cette action militante n’est pas efficace. « Ce n’est pas une réussite, on a beaucoup plus de joueurs qui refusent de porter ce maillot que l’année dernière, où il n’y avait qu’Idrissa Gueye. Ensuite, elle est inefficace, on le voit par les manifestations d’homophobie pendant les matches qui sont en très forte progression », explique-t-il au journal français L’Équipe.
Le militant exige que « les joueurs qui refusent de porter ce maillot expliquent clairement leur motivation. Pour le moment, nous ne les connaissons pas vraiment. S’il s’agit de motifs religieux, qu’ils le disent, on est dans une démocratie qui garantit la liberté de croyance, de pensée », tout en préconisant « un plan d’actions plus ambitieux, avec une politique de tolérance zéro [contre l’homophobie dans les stades], comme en Angleterre. »
Selon les règles de la Premier League, toute personne pénétrant sur le terrain sans autorisation, détenant ou utilisant des engins pyrotechniques, jetant des objets, consommant des drogues ou adoptant un comportement jugé discriminatoire est signalée par les clubs aux forces de l’ordre. Ces délits pourront ensuite définitivement figurer dans les casiers judiciaires.
« On peut aussi avoir plein d’autres causes pour lesquelles on pourrait avoir plein de maillots différents toutes les semaines »
- Bruno Genesio, entraîneur de Rennes
« Personnellement, je suis contre toutes les formes de discrimination. Il n’y a pas de place pour les discriminations dans le foot comme dans la vie. Mais je pense aussi que nous sommes là pour jouer au foot et c’est ça qui est le plus important. Chacun est libre de penser et faire ce qu’il veut », a réagi, de son côté, Bruno Genesio, l’entraîneur de Rennes.
« Je vous le dis, on est contre toutes les formes de discriminations mais je ne suis pas certain que ce soit nécessaire de faire une journée contre l’homophobie. Je pense qu’on a tous conscience de ça et que ce n’est pas la peine de vouloir l’afficher tout le temps… On peut aussi avoir plein d’autres causes pour lesquelles on pourrait avoir plein de maillots différents toutes les semaines », conclut-il.
Pour rappel, lors de la Coupe du monde au Qatar, sept équipes européennes, dont celle de la France, avaient refusé de faire arborer les brassards arc-en-ciel à leurs capitaines après que la Fédération internationale de football les eut menacées de sanctions sportives, sous la forme d’un carton jaune au capitaine.
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