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France : l’exécutif éclaboussé par le scandale du Fonds Marianne contre le « séparatisme »

Soupçons de détournement de fonds, accusations de favoritisme, contenus controversés... trois ans après sa création, ce fonds destiné à combattre le « séparatisme » est au cœur de deux enquêtes
Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Économie sociale et solidaire, face à la commission d’enquête du Sénat dans le cadre de l’affaire du Fonds Marianne, le mercredi 14 juin 2023 (AFP/Bertrand Guay)
Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Économie sociale et solidaire, face à la commission d’enquête du Sénat dans le cadre de l’affaire du Fonds Marianne, le mercredi 14 juin 2023 (AFP/Bertrand Guay)

Le gouvernement français en avait fait une de ses réponses à l’assassinat de Samuel Paty, le professeur décapité le 16 octobre 2020 à la sortie de son collège de région parisienne par Abdullakh Anzorov, un jeune réfugié d’origine tchétchène : le Fonds Marianne devait promouvoir les « valeurs de la République », mais l’utilisation controversée de ses 2,5 millions d’euros de dotations éclabousse aujourd’hui l’exécutif.

Soupçons de détournement de fonds, accusations de favoritisme, contenus controversés... trois ans après sa création, ce fonds est au cœur de deux enquêtes, judiciaire et parlementaire.

En pleines rumeurs de remaniement gouvernemental, le scandale menace aujourd’hui de rattraper l’initiatrice du fonds, Marlène Schiappa, soutien de la première heure d’Emmanuel Macron et ministre médiatique et clivante. Après s’être défendue de tout manquement, elle passe sur le gril de la commission d’enquête du Sénat mercredi matin.

Dans un propos liminaire, Marlène Schiappa a salué la tenue d’une commission d’enquête ce mercredi, reconnaissant les « dysfonctionnements avérés et documentés » dans l’usage du fonds Marianne.

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« Mais je veux dire ici qu’il y a aussi et surtout dans leur grande majorité des associations qui mènent un travail remarquable pour défendre la laïcité, pour lutter contre l’islamisme, la radicalisation ou les discours dits séparatistes de manière globale », a-t-elle pris soin de distinguer.

Retour fin 2020. L’assassinat de Samuel Paty, qui avait été mis en cause sur les réseaux sociaux pour avoir montré en classe des caricatures du prophète Mohammed, soulève une immense vague d’émotion. 

Le gouvernement promet alors de s’attaquer au « séparatisme », notamment religieux, qui menacerait la cohésion sociale. Une loi verra le jour en août 2021 mais l’exécutif met sur place, dès avril 2021, le Fonds Marianne pour la République, du nom de la figure symbolique incarnant la France.

Avec cet outil, Marlène Schiappa, alors ministre déléguée à la Citoyenneté, affirme vouloir financer des personnes et associations faisant la promotion des « valeurs de la République et [luttant] contre les discours séparatistes ».

Au total, l’État rassemble 2,5 millions d’euros pour les allouer, après examen des dossiers de candidature, à des associations. Confiée à un comité interministériel contre la radicalisation, la procédure est expéditive : dix-sept dossiers sont retenus deux mois plus tard et le Fonds Marianne ne fait alors plus parler de lui.

« Traitement privilégié »

Fin mars 2023, une enquête conjointe de deux médias le remet crûment dans la lumière : elle décrit une gestion opaque, une liste de bénéficiaires tenue secrète où figure, en première place, une association méconnue – l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire – qui aurait utilisé 355 000 euros de subventions pour des publications très peu suivies et salarier deux de ses ex-dirigeants.

La famille de Samuel Paty se dit alors « particulièrement heurtée » par l’« utilisation douteuse » de ces subventions et « l’absence de contrôle ».

L’affaire du Fonds Marianne va encore s’amplifier.

Le site d’investigation Mediapart révèle qu’une autre structure méconnue, Reconstruire le commun, a touché plus de 300 000 euros qu’elle a en partie utilisés pour produire des contenus attaquant plusieurs personnalités de gauche.

Devant les sénateurs, l’ancien directeur de cabinet de Marlène Schiappa a concédé qu’une association candidate au Fonds Marianne avait été retoquée à la suite d’un « arbitrage défavorable de la ministre ». Il s’agissait de SOS Racisme, dont le président avait irrité le gouvernement en critiquant durement sa loi contre le séparatisme

Un rapport de l’administration dénonce le « traitement privilégié » de certaines associations. Alerté par plusieurs signalements, le très redouté parquet national financier ouvre une enquête en mai 2023, notamment pour détournement de fonds publics et abus de confiance.

Ces investigations ont connu un coup d’accélérateur cette semaine avec des perquisitions chez plusieurs acteurs clés du dossier, dont l’ancien préfet qui gérait ce fonds au sein du gouvernement et qui a été contraint à la démission.

Dominé par l’opposition de droite, le Sénat a parallèlement mis sur pied une commission d’enquête qui a commencé ses auditions, dont certaines se sont révélées embarrassantes pour Marlène Schiappa, aujourd’hui secrétaire d’État à l’Économie sociale et solidaire.

Devant les sénateurs, son ancien directeur de cabinet, tout en rejetant tout favoritisme, a concédé qu’une association candidate au Fonds Marianne avait été retoquée à la suite d’un « arbitrage défavorable de la ministre ».

Il s’agissait de l’association historique SOS Racisme, dont le président, Dominique Sopo, avait irrité le gouvernement en critiquant durement sa loi contre le séparatisme. Interrogé par l’AFP, Dominique Sopo a expliqué qu’il avait d’abord reçu l’assurance orale d’une subvention de 100 000 euros avant un brutal revirement. « Après, plus de son, plus de lumière. On n’a pas eu de subvention », a-t-il affirmé. 

Le rôle exact de Mme Schiappa reste à éclaircir mais son maintien au gouvernement semble ne tenir qu’à un fil. Dimanche, la Première ministre Élisabeth Borne lui a apporté un très timide soutien. « Je ne pense pas que ce soit nécessaire » qu’elle quitte son poste, a-t-elle lâché.

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