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À Gaza, une enseignante palestinienne ne se laisse pas décourager par la guerre

« J’enseignerai aux enfants tant que je serai en vie », déclare l’enseignante palestinienne Asma Mustafa, lauréate du Global Teacher Award 2020
Des enfants se tiennent autour d’Asma Mustafa qui leur raconte des histoires pour les aider à faire face à la détresse psychologique causée par la guerre, en février 2024 (Hala Alsafadi/MEE)

En 2020, Asma Mustafa, une enseignante d’anglais palestinienne de Gaza, a remporté le Global Teacher Award après avoir concouru parmi des milliers d’enseignants de 110 pays.

En dépit de sa vie dans l’enclave sous blocus et de son accès limité au monde extérieur, Asma Mustafa s’est montrée ingénieuse pour enseigner l’anglais par des jeux et des voyages imaginaires à travers le monde.

Quatre ans plus tard, alors que la guerre israélienne à Gaza fait des ravages à tous les niveaux de la vie des Palestiniens, Asma Mustafa a été contrainte de se déplacer dans le quartier d’al-Mawasi à Rafah, mais elle reste déterminée.

L’enseignante a déjà dû se déplacer à trois reprises. La première fois, elle avait dû quitter sa maison dans le nord de la bande de Gaza pour se réfugier dans une école dans le sud.

« Après avoir été évacuées dans une école, ma famille et moi-même avons trouvé refuge dans la bibliothèque de l’établissement. Il y avait beaucoup de livres. J’ai d’abord commencé à lire des livres à mes propres enfants et aux enfants de ma famille », raconte Asma Mustafa à Middle East Eye.

« Je regarde les enfants autour de moi et les vois comme des trésors. Ils ne devraient jamais cesser d’apprendre »

- Asma Mustafa, enseignante d’anglais

Il ne lui a pas fallu longtemps pour décider de mettre ses connaissances et son expérience au service des autres enfants qui ont également dû être évacués vers la même école.

« J’ai informé tous les parents déplacés dans cette école que j’utiliserais une salle de classe tous les jours à 15 heures pour donner cours aux enfants afin de les aider à faire face à la guerre qui les entoure et essayer de leur donner un semblant de vie normale », raconte-t-elle.

« J’utilise des livres de la bibliothèque pour leur lire des histoires, puis nous en discutons ensemble. J’essaie aussi de leur enseigner un peu de vocabulaire anglais, car j’enseigne l’anglais depuis seize ans. »

Le quartier d’al-Mawasi est situé près de la frontière avec l’Égypte. Pendant la guerre, la région a été déclarée zone de sécurité par Israël, mais elle est désormais menacée par une invasion de l’armée israélienne qui semble imminente.

Des centaines de milliers de personnes ont évacué les parties nord de Gaza vers le quartier d’al-Mawasi, où elles vivent actuellement dans des tentes de fortune.

L’acheminement de l’aide humanitaire reste très limité dans cette zone surpeuplée. Un haut mur couvert de barbelés, facilement repérable, sépare la zone de la Rafah égyptienne.

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Après avoir donné son cours quotidien pendant deux mois à l’école, les bombardements israéliens se sont intensifiés dans la zone. Une fois de plus, Asma a été contrainte de quitter l’endroit où elle s’était installée et la classe qui lui apportait, ainsi qu’aux enfants, une certaine stabilité.

Cette fois, elle n’avait nulle part où aller. Avec sa famille, elle a donc été évacuée tout au sud de Rafah, dans le quartier d’al-Mawasi, et a fini par vivre dans une tente qui prend l’eau à chaque pluie.

« Dès que je me suis installée dans cette tente et que j’ai réalisé ce qui nous était arrivé, j’ai décidé de poursuivre ce que j’avais commencé à l’école, parce qu’à nouveau ces tentes sont pleines d’enfants qui ne sont pas allés à l’école depuis le mois d’octobre », ajoute-t-elle.

Asma Mustafa, comme plus de deux millions d’habitants de Gaza, lutte non seulement pour se mettre à l’abri des tirs et des bombardements israéliens, mais aussi pour satisfaire des besoins essentiels tels que l’accès à l’électricité, à la nourriture, à l’eau, aux médicaments et aux produits hygiéniques.

« Je regarde les enfants autour de moi et je les vois comme des trésors », confie-t-elle en décrivant les raisons qui l’ont poussée à se porter volontaire pour enseigner pendant la guerre.

« Ils ne devraient jamais cesser d’apprendre. Je pense que si ces enfants perdent leur droit fondamental à l’éducation, c’est l’avenir de la Palestine qui sera compromis. »

« Mon devoir en tant qu’enseignante est de veiller au développement intellectuel des élèves et de les encourager à se battre pour leurs droits et leur éducation, quelles que soient les circonstances. »

« Mes manuels scolaires me manquent »

Asma Mustafa est convaincue que les enfants de Gaza ont un besoin urgent d’abris, de nourriture et d’eau, mais que leurs « cœurs et leur mental ont également besoin d’être pris en charge », surtout dans un contexte marqué par la détresse psychologique liée à la guerre.

Si les enfants du monde entier attendent avec impatience les vacances scolaires et les week-ends pour se reposer de leurs études, ironiquement, les enfants de Gaza attendent avec impatience de retourner à l’école, explique l’enseignante.

« Ils ne devraient jamais cesser d’apprendre. Je pense que si ces enfants perdent leur droit fondamental à l’éducation, c’est l’avenir de la Palestine qui sera compromis »

- Asmaa Mustafa, enseignante palestinienne

« J’aime madame Asma Mustafa. Elle est très amusante. Elle nous a beaucoup aidés depuis que nous sommes ici dans les tentes. Elle nous lit des histoires et nous en discutons avec elle, mais j’aimerais quand même pouvoir retourner dans nos classes et apprendre normalement », confie Lama Kishko, une des enfants qui suit les cours d’Asma et qui a elle aussi été déplacée de force à plusieurs reprises.

« Mes manuels scolaires et même mes devoirs à la maison me manquent. Cette guerre nous a tous affectés mentalement. Je suis fatiguée et je veux juste que ça se termine pour que je puisse reprendre une vie normale », explique-t-elle à MEE.

Nahida Dalloul, une autre jeune fille qui vit dans une tente voisine, a également choisi d’assister aux cours quotidiens d’Asma Mustafa.

« Je veux assister aux cours parce que je n’ai rien appris depuis quatre mois. Je veux apprendre. J’aimerais pouvoir écrire dans mes cahiers, voir mes camarades de classe et mes professeurs, écrire au tableau et dessiner. J’aimerais pouvoir reprendre tout cela », dit-elle.

Le travail d’Asma Mustafa a suscité l’admiration des parents. Ils affirment qu’elle a créé une atmosphère qui a réussi à détourner l’attention de leurs enfants de la guerre. Ses cours ont aidé les enfants à se rencontrer et à se faire des amis.

Un père dont la fille suit également les cours d’Asma Mustafa estime que l’enseignante, qui a obtenu le Global Teacher Award 2020, a soulagé d’un grand poids la charge des parents.

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« Les cours d’Asma ont permis de créer [un cadre de] vie pour ces enfants. Au lieu de parler constamment de la guerre et d’aller chercher de l’eau, les enfants reviennent à la tente avec de nouvelles histoires à partager avec nous », témoigne-t-il.

« Même après le cours, les enfants restent ensemble et jouent. »

Face à l’escalade des opérations israéliennes dans le sud et au risque de voir s’étendre l’opération terrestre israélienne à Rafah, Asma Mustafa et ses élèves craignent en permanence de perdre à nouveau ce qu’ils ont créé dans ce quartier.

Ils craignent d’être contraints de se déplacer ailleurs et de perdre ce sentiment d’appartenance à la communauté qu’ils venaient de retrouver.

Asma Mustafa ne se laisse toutefois pas décourager par cette crainte.

« J’enseignerai aux enfants tant que je serai en vie, et partout où cette guerre me forcera à aller », assure-t-elle.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

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