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« Éducide » : les militants dénoncent la destruction par Israël du monde universitaire palestinien à Gaza

Depuis le 7 octobre, Israël a détruit la quasi-totalité des universités de Gaza, tué des milliers d’étudiants et près de cent professeurs
Des Palestiniens marchent devant le bâtiment détruit de l’Université islamique de Gaza, le 26 novembre 2023, au troisième jour de la trêve entre Israël et le Hamas (AFP)

Wesam Amer, doyen de la faculté de communication et de langues de l’Université de Gaza, a été évacué du territoire en novembre.

Il essaie de garder le contact avec ses collègues restés à Gaza, mais les fréquentes coupures d’électricité ne facilitent pas la communication.

« Beaucoup de mes collègues y sont encore... ou ont été déplacés à Rafah, dans le sud », explique à Middle East Eye le chercheur invité à Harvard et boursier de la fondation Fulbright. « Certains ont préféré rester dans les décombres de leurs maisons. »

Des organisations de défense des droits de l’homme ont condamné le ciblage par Israël de la communauté et des infrastructures universitaires de Gaza, qu’ils considèrent comme délibéré et assimilable à un crime de guerre.

« Les effets à long terme sur la productivité de la société, sur sa culture, sur tous ses aspects, sont dévastateurs »

- Neve Gordon, professeur à l’Université Queen Mary de Londres

En France, une pétition publiée sur Middle East Eye par le collectif « L’Éducation avec Gaza », composé d’enseignants et de membres de la communauté éducative dans son ensemble, pour dénoncer « la destruction du système éducatif à Gaza » et les violations du droit à l’éducation des Palestiniens par Israël a recueilli plusieurs centaines de signatures.

Au Royaume-Uni, dans une lettre ouverte au gouvernement, la British Society for Middle Eastern Studies (BRISMES) a dénoncé le « ciblage systématique » des universités, des écoles, des laboratoires et des bibliothèques comme faisant « partie d’une stratégie génocidaire visant à détruire en tout ou en partie le système éducatif palestinien dans la bande de Gaza ».

Neve Gordon, vice-président de la BRISMES et professeur de droit international et de droits de l’homme à l’Université Queen Mary de Londres, a qualifié la destruction du système éducatif de Gaza d’« éducide ».

« Les effets à long terme sur la productivité de la société, sur sa culture, sur tous ses aspects, sont dévastateurs », explique-t-il à MEE.

Délibérément « pris pour cible »

Dans une déclaration publiée le 20 janvier, l’organisation de défense des droits de l’homme Euro-Med Human Rights Monitor a déclaré que les forces israéliennes avaient délibérément « pris pour cible des universitaires, des scientifiques et des intellectuels dans la bande de Gaza ».

Selon le ministère palestinien de l’Éducation, l’assaut israélien sur Gaza a tué 4 327 étudiants et en a mutilé 7 819 autres, tandis que 231 enseignants et personnels administratifs ont été tués et 756 blessés, selon des chiffres datant du 24 janvier.

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Les forces israéliennes ont également tué 94 professeurs d’université, selon Euro-Med Monitor.

Nombre d’entre eux étaient des universitaires de renommée internationale, dont l’un des intellectuels les plus éminents de Gaza, le poète et professeur de littérature Refaat Alareer, tué le 7 décembre.

Le bilan des décès d’étudiants et de personnels éducatifs dans la région est « sans précédent », selon la BRISMES.

« Quand on tue les intellectuels d’une société, qui va transmettre [...] la mémoire de cette communauté ? », s’interroge Samia al-Botmeh, professeure adjointe d’économie à l’Université de Birzeit, lors d’un entretien accordé à MEE.

La décimation de la communauté académique de Gaza s’est accompagnée de la destruction physique de son infrastructure éducative.

« La plupart des universités de Gaza sont soit complètement détruites, soit partiellement touchées », indique Wesam Amer.

L’Université islamique de Gaza et la Faculté des sciences appliquées ont été bombardées les 11 et 19 octobre. L’Université al-Azhar, la deuxième plus grande université de Gaza, a été prise pour cible le 4 novembre, avant la destruction totale de l’Université al-Qods le 15 novembre.

« Israël veut créer un environnement qui contraindra les universitaires, les intellectuels et les étudiants à quitter la bande de Gaza »

- Wesam Amer, doyen, Université de Gaza

Le 17 janvier, des vidéos de la démolition programmée de l’Université al-Israa, la dernière grande université de la bande de Gaza, ont circulé sur les réseaux sociaux.

Le bâtiment avait été occupé et utilisé comme caserne militaire par les forces israéliennes, qui l’avaient pillé de 3 000 rares artéfacts avant sa destruction, selon la BRISMES.

« Israël veut créer un environnement qui contraindra les universitaires, les intellectuels et les étudiants à quitter la bande de Gaza », dénonce Wesam Amer.

« [Son] intention est de rendre la vie invivable à Gaza. L’éducation fait partie intégrante de [cet objectif] », explique Samia al-Botmeh.

« Les campus sont censés être un sanctuaire »

Le ciblage par Israël des institutions universitaires palestiniennes n’est pas un fait nouveau.

« Cela a toujours été une stratégie d’Israël », déclare Samia al-Botmeh à MEE. « Pour les Palestiniens, [l’éducation] est un mécanisme de survie. Nous survivons à la colonisation en devenant de plus en plus éduqués. »

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Le blocus de Gaza, qui dure depuis seize ans, a paralysé les universités en restreignant les déplacements à l’intérieur et à l’extérieur de la bande côtière.

Les étudiants de Gaza ont des difficultés à se rendre à l’étranger pour leurs études, tandis que les universitaires internationaux ne peuvent pas se rendre dans les universités de la bande côtière.

« L’enseignement, c’est l’élargissement des horizons, c’est l’interaction, c’est le travail en collaboration et, bien sûr, Israël essaie de freiner tout cela », explique la professeure de l’Université de Birzeit.

Les restrictions des déplacements pèsent également sur les étudiants palestiniens en Cisjordanie occupée, en les contraignant à poursuivre leurs études au niveau local.

« Les restrictions des déplacements ont en fait changé la nature de l’éducation en la localisant », ajoute Samia al-Botmeh. « Parce que les gens préfèrent rester à l’abri et se contenter de ce qui est proposé dans leurs universités locales. »

Depuis le 7 octobre, les universités de Cisjordanie dispensent leurs cours en ligne, face à l’escalade des attaques des forces d’occupation israéliennes.

Le 8 novembre, des soldats israéliens ont pris d’assaut l’Université de Birzeit, abattant un jeune Palestinien.

« [Le ciblage par Israël des institutions universitaires palestiniennes] a toujours été une stratégie d’Israël. Pour les Palestiniens, [l’éducation] est un mécanisme de survie »

- Samia al-Botmeh, professeure à l’Université de Birzeit

Le 15 janvier, neuf étudiants de l’Université nationale An-Najah de Naplouse ont été arrêtés en raison de leur soutien présumé au Hamas.

Bien avant le 7 octobre, les raids militaires visant les bibliothèques, les associations étudiantes et les laboratoires sur les campus universitaires de Cisjordanie étaient déjà fréquents.

« Les campus sont censés être un sanctuaire », déplore Samia al-Botmeh. « Les raids sont éprouvants pour le personnel et les étudiants. »

Selon la professeure adjointe d’économie, plus de 100 étudiants de l’Université de Birzeit sont en prison, tandis que le personnel enseignant est régulièrement arrêté aux check-points.

Pas seulement les bâtiments

La reconstruction du système éducatif de Gaza nécessitera probablement des années.

« Cela prendra des décennies », affirme Neve Gordon à MEE. « Ce qui a été perdu, ce n’est pas seulement l’infrastructure physique, mais aussi une partie de l’infrastructure intellectuelle. »

« Le leadership intellectuel de Gaza a été pris pour cible », poursuit le vice-président de la BRISMES.

Pour Samia al-Botmeh, la reprise de la vie universitaire à Gaza dépendra de la « détraumatisation » des universitaires et des étudiants.

« Il ne s’agit pas seulement de bâtiments, de pierres et de blocs de béton. Il s’agit d’êtres humains. Les étudiants ont vécu des expériences horribles », rappelle-t-elle.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

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