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Les étudiants palestiniens victimes des arrestations et mauvais traitements de l’AP et d’Israël

Ces derniers mois, les arrestations à travers la Cisjordanie d’activistes des sections étudiantes des partis de gauche et islamiques ont manifestement augmenté
Les responsables de la sécurité ont souligné l’importance d’éliminer les cellules armées en Cisjordanie, mais les individus arrêtés affirment que la sécurité n’est que rarement abordée pendant l’interrogatoire (AFP)

L’université de Birzeit, à la périphérie de Ramallah, en Cisjordanie, est réputée être l’une des meilleures universités de Palestine. Elle se situe dans un élégant complexe de pierres blanches qui, sous le soleil, a toujours l’air flambant neuf. Des groupes d’étudiants s’y pressent continuellement, bavardant autour des stands politiques ou se hâtant entre deux cours.

Le mois dernier, cependant, le campus est devenu une prison pour six de ces étudiants. Pendant près de trois mois, ils ont campé sur le campus, mangé à la cafétéria, étudié dans la bibliothèque et dormi dans une petite réserve. En signe de protestation et par peur, ils ont refusé de mettre les pieds hors du campus jusqu’à ce que leur sécurité soit garantie.

Les militants du Bloc islamique, la branche étudiante du Hamas, avaient été convoqués pour interrogatoire ou détention par l’Autorité palestinienne. Pour ces jeunes hommes, cela n’avait rien de nouveau. La plupart connaissent bien l’incarcération, que ce soit du fait des autorités palestiniennes ou israéliennes, et savaient que rester à l’université était le seul moyen d’éviter la brutalité qu’elle implique.

Après de longues négociations menées par les organisations internationales de défense des droits de l’homme afin de garantir leur sécurité, les étudiants ont enfin pu rentrer chez eux la semaine dernière. Mais cette liberté est une petite victoire. Des épreuves semblables à celle de ces derniers mois se sont déjà produites à plusieurs reprises dans le passé et les militants sont persuadés qu’il ne s’agit que d’une question de temps avant que d’autres arrestations et interrogatoires ne surviennent. Ils pensent également qu’ils sont ciblés pour raisons politiques.

« L’Autorité palestinienne veut rester au pouvoir. Or la popularité de son plus grand rival, le Hamas, s’accroît », a confié à Middle East Eye (MEE) Abdel Rahman Hamdan, un étudiant en ingénierie faisant partie de ceux qui se réfugient à l’université. « Ils ont peur qu’en permettant au Hamas et au Bloc islamique de fonctionner, les gens leur fassent davantage confiance et aillent peut-être à l’encontre de l’Autorité. »

Comme la plupart de ses collègues, A. R. Hamdan a établi son campement à Birzeit à la fin de l’année dernière, lorsque les membres du Bloc islamique ont fait face à une vague de convocations et d’arrestations. Cette escalade a coïncidé avec l’anniversaire de la création du Hamas en décembre : une date importante que ses membres espéraient commémorer avec un événement festif.

A. R. Hamdan a été arrêté juste avant la célébration prévue. Il a été libéré sans inculpation après 24 heures d’interrogatoire, lequel a été axé sur les activités du Bloc islamique et a impliqué le recours à la torture, selon ses dires.

« Ils m’ont posé des questions sur les activités au sein de l’université, et m’ont dit que nous devions annuler la célébration », raconte-t-il. « Ils ne m’ont signifié aucune accusation, mais c’était avant la célébration à l’université. C’était une sorte de message : "arrêtez, nous ne vous laisserons pas faire." »

La situation décrite par les étudiants de Birzeit n’est pas un cas isolé. Au cours des quatre derniers mois, les arrestations d’étudiants se sont multipliées à travers la Cisjordanie, ciblant les militants des sections étudiantes des partis islamistes et des partis de gauche. Entre novembre et janvier, quarante-et-un étudiants auraient été arrêtés à travers la Cisjordanie, et en décembre les sections étudiantes du Hamas et du Front populaire pour la libération de la Palestine ont manifesté dans les universités de Birzeit et d’Al-Quds pour protester contre les arrestations de leurs membres.

A. R. Hamdan – ainsi que des militants de gauche qui ont refusé d’être nommés en raison de craintes pour leur sécurité – ont rapporté à MEE que les arrestations touchent de façon disproportionnée les groupes islamistes, mais que la gauche dissidente est touchée également. « Lors des arrestations politiques, ils sont solidaires et les refusent », a déclaré A. R. Hamdan à propos de la coopération entre les ailes opposées de l’échiquier politique. « Ils travaillent ensemble contre cette pratique. »

Un porte-parole de l’Autorité palestinienne sollicité par MEE n’a pas souhaité s’exprimer sur cette question. Les responsables de la sécurité ont souligné toutefois l’importance d’éliminer les cellules armées en Cisjordanie, mais les individus arrêtés affirment que la sécurité n’est que rarement abordée pendant l’interrogatoire, qui est plutôt axé sur les activités du groupe à l’université. A. R. Hamdan insiste sur le fait que celles-ci ne représentent pas une menace : les groupes comme le Bloc islamique agissent au sein des syndicats d’étudiants et s’occupent principalement de l’assistance sociale, des aides financières, des activités sportives et des manifestations politiques sur le campus.

Lors des élections étudiantes à Birzeit en 2014, le Bloc islamique a perdu de justesse face aux affiliés du Fatah avec vingt sièges contre vingt-trois. Mais au cours de l’été, certains éléments laissaient à penser que la popularité du Hamas croissait. Sameeh Hammoudeh, professeur à Birzeit, explique que l’Autorité palestinienne, dominée par le Fatah, perçoit ceci comme une menace préoccupante, ce qui pourrait se faire sentir sur la politique estudiantine – un domaine considéré comme un indicateur de l’opinion du reste de la population.

« Ils veulent affaiblir le Hamas : il est une menace pour l’Autorité palestinienne, qui doit donc réfléchir aux moyens de le contenir », a déclaré Sameeh Hammoudeh. « Je crois que c’est surtout un acte politique. Je ne pense pas qu’il existe des motifs de sécurité graves [justifiant les arrestations d’étudiants] parce que le Hamas en Cisjordanie n’exerce pas d’activités violentes contre Israël. Mais peut-être que l’Autorité palestinienne veut savoir si quelque chose se prépare. »

Les témoignages des détenus indiquent effectivement que les interrogatoires et la collecte d’informations sont importants pour les services de sécurité palestiniens. Les étudiants ont tendance à trouver la détention par l’Autorité palestinienne courte mais caractérisée par des interrogatoires brutaux, tandis qu’une arrestation israélienne comporte la menace d’une longue peine.

Une arrestation par l’Autorité palestinienne peut souvent être suivie d’une détention par les forces de sécurité israéliennes.

Sayed Hashesh, un membre du Bloc islamique qui, comme A. R. Hamdan, campe actuellement à Birzeit, a été emprisonné tant par les Israéliens que par les Palestiniens. En novembre 2013, au cours de sa deuxième année à l’université, il a été arrêté et interrogé par les forces de l’Autorité palestinienne ; un mois et demi plus tard, les autorités israéliennes l’ont emprisonné elles aussi.

Sayed Hashesh a passé dix mois dans une prison israélienne, puis a été libéré suite à une négociation de peine. Cependant, quelques mois après sa libération, les forces palestiniennes de sécurité préventive l’ont à nouveau emprisonné.

« Ils ne m’adressaient pas la parole de toute la journée et m’ont gardé sans eau et sans nourriture. Ensuite, ils m’ont ordonné de me tenir près du mur et de lever les mains », rapporte-t-il à MEE. « Après une heure dans cette position, j’étais fatigué alors je me suis retourné et j’ai baissé les mains. Ils ont alors commencé à me frapper. »

L’étudiant en science politique de 21 ans raconte s’être évanoui et que sa tête saignait suite aux coups. A sa libération, sa carte d’identité lui a été confisquée. Depuis lors, il a reçu encore plus de convocations (par Israël et par l’Autorité palestinienne) et il est resté à l’université afin d’échapper à une autre détention.

« Les Israéliens ont menacé qu’eux et l’Autorité palestinienne m’empêcheraient de continuer mes études et m’arrêteraient. Ils disaient que l’Autorité palestinienne m’arrêterait d’abord, et qu’alors les Israéliens m’arrêteraient à leur tour », rapporte-t-il. « C’est toujours comme ça. Si vous allez en prison avec l’Autorité palestinienne, vous irez aussi en prison en Israël. »

Sayed Hashesh est persuadé qu’il a été arrêté parce qu’il est un membre actif du Bloc islamique. « L’Autorité palestinienne a recours à la torture alors que les Israéliens utilisent une autre méthode d’enquête. Mais ce sont les mêmes questions, les mêmes réponses pour atteindre le même résultat. C’est comme une compétition pour obtenir les réponses en premier », déclare-t-il.

Selon les dispositions énoncées dans les accords d’Oslo, l’Autorité palestinienne et les autorités israéliennes partagent leurs renseignements et coordonnent leurs activités sur les questions de sécurité. Ce que cela implique précisément n’est pas clair : Sayed Hashesh a tenu à souligner que son expérience n’a pas démontré nécessairement un partage des informations ni une coordination quelconque. Ce qui semble clair, en revanche, c’est que les étudiants actifs dans des groupes tels que le Bloc islamique ou le Front d’action des étudiants progressistes risquent d’être la cible des deux parties.

« Cela indique que l’Autorité palestinienne et Israël travaillent en vue d’atteindre le même objectif, celui de mettre un terme à l’activité politique du Hamas en Cisjordanie. Cela prouve que tous deux veulent stopper la développement du Hamas », affirme S. Hashesh. « Je ne sais pas s’il y a eu coordination lors de ma première arrestation. Mais je pense qu’ils m’ont arrêté pour la même raison. »

Mohammed Jamil, le directeur de l’Organisation arabe des droits de l’homme (AOHR), située au Royaume-Uni, estime également que la récente vague d’arrestations d’étudiants est le fruit à la fois de la coopération en matière de sécurité et d’intérêts politiques. Dans un récent rapport, l’AOHR a révélé que plus de 1 206 Palestiniens ont été arrêtés par l’Autorité palestinienne en 2014, dont 353 étudiants.

« C’est en partie pour satisfaire les Israéliens, parce qu’ils [les Palestiniens] transmettent parfois des informations aux Israéliens à propos de ces étudiants », a déclaré Jamil à MEE via Skype. « Ils le font aussi en raison de la faction rivale du Fatah, pour gagner l’élection interne. »

Quel que soit le motif de ces arrestations, dit-il, les étudiants le paient très cher. « Avant ces arrestations, vous avez affaire à un être humain, mais à leur libération, certains d’entre eux sont au bord du gouffre. Ils deviennent faibles, pessimistes, ont des idées plus négatives sur ces acteurs. Lorsque vous arrêtez un étudiant et l’emprisonnez, vous le détruisez. C’est une destruction systématique. »

A. R. Hamdan et S. Hashesh décrivent leur séjour à l’université comme une « peine de prison ». « La vie pour nous se résume désormais à l’université », a déclaré S. Hashesh à MEE dans la bibliothèque de Birzeit le mois dernier. « Nous nous ennuyons parce que nous ne pouvons pas sortir, et nos parents nous manquent. Nous étudions, pendant la journée nous aidons les étudiants, puis nous allons dormir. C’est tout. »

Sur le campus, pourtant, les arrestations et les manifestations comme celles-ci ne choquent plus. Après plusieurs grèves et sit-ins semblables, la situation des étudiants du Bloc islamique n’est guère surprenante. Dans son bureau sur le campus, le professeur Hammoudeh fait observer que le contexte actuel a un impact étouffant sur la politique. La peur est présente, dit-il, « dans le cœur des étudiants », inspirée par une menace réelle de torture et de mauvais traitement.

Les étudiants, cependant, assurent que cela ne les a pas découragés de travailler avec le Bloc islamique. « Les actions de l’Autorité palestinienne n’ont fait que renforcer le Bloc islamique », affirme Abdel Rahman Hamdan. Selon lui, la répression de ce groupe ne fait qu’augmenter son attrait et sa légitimité aux yeux du grand public. « Malgré les agissements des autorités, le Bloc islamique continue de travailler. Il n’abandonne jamais, et le peuple veut des gens qui n’abandonnent jamais. » 


Traduction de l'anglais (original).

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