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« Arrêtés à tout moment » : les étudiants palestiniens dans la ligne de mire d’Israël

Un récent pic dans les détentions d’étudiants palestiniens a remis sous le feu des projecteurs une pratique de répression des jeunes politiquement actifs qui date depuis le tout début de l’occupation israélienne
Un étudiant de l’Université de Birzeit fuit les forces israéliennes lors d’une manifestation à l’entrée de la prison d’Ofer, en Israël, le 5 octobre 2019 (AFP)
Par Qassam Muaddi à RAMALLAH, Cisjordanie occupée

Pour la plupart des étudiants, les notes, les examens et la vie sociale comptent parmi les plus grandes préoccupations de leur passage à l’université. Mais pas pour Hadi Tarshah. À 24 ans, ce jeune Palestinien a passé le dernier semestre dans une prison israélienne, et sa principale préoccupation est son audience devant le tribunal en mars.

De même, Mays Abu Ghosh n’est qu’à un semestre de l’obtention de son diplôme. Mais elle est encore aux prises avec des actes de torture brutaux subis en détention en Israël. Et un autre de leurs camarades, Azmi Nafaa, a dû quant à lui terminer ses études derrière les barreaux.

Au cours des derniers mois de l’année 2019, Israël a lancé l’une des campagnes d’arrestation les plus agressives de ces dernières années contre les étudiants palestiniens.

Les statistiques de l’organisation palestinienne de défense des droits des prisonniers Addameer indiquent que quelque 250 étudiants palestiniens sont actuellement emprisonnés par Israël. Selon la Campagne pour le droit à l’éducation de l’Université de Birzeit, les forces israéliennes ont détenu 30 étudiants de la seule université de Birzeit, principale institution académique palestinienne, sur une période de quatre mois.

Depuis 2015, lorsqu’une violente vague de contestation a émergé dans les territoires palestiniens occupés, Israël a intensifié ses politiques répressives envers la population.

Cependant, de jeunes Palestiniens avec lesquels s’est entretenu Middle East Eye font constater que la récente augmentation n’est que la continuation d’une politique de répression qui criminalise les étudiants palestiniens actifs sur le plan politique depuis le tout début de l’occupation.

Briser le moral

Abdel Munim Masoud, étudiant en finance de 23 ans, se souvient de la dernière fois qu’il a vu son ami, Hadi Tarshah. C’était en octobre.

« Nous discutions et rions ensemble la nuit précédente », raconte-t-il à MEE. « Le lendemain matin, j’ai reçu un message sur mon téléphone portable me disant que l’occupation [les autorités israéliennes] avait arrêté Hadi à l’aube. »

Hadi Tarshah est actif dans le mouvement étudiant de l’Université de Birzeit depuis qu’il y a commencé ses études. En avril 2019, il a participé au débat annuel pour les élections du conseil étudiant, devenant une figure connue du mouvement étudiant.

« Nous nous attendions à ce qu’il soit arrêté à tout moment », déclare Layan Kayed, 25 ans, étudiant en sociologie et ami de Tarshah. « Mais nous avons été surpris par le fait que son arrestation soit survenue à un moment où les arrestations avaient cessé. »

« L’occupation tente de briser le moral des jeunes Palestiniens […] afin de les pousser à quitter leur pays – en particulier ceux qui sont conscients et actifs sur le plan politique »

- Sahel Nafaa, père d’un étudiant détenu

Le père de Hadi Tarshah raconte à MEE que les forces israéliennes sont entrées par effraction au domicile de la famille à 5 heures du matin. 

« Ils ont pénétré dans le bâtiment où nous vivons, cassant cinq portes avant d’entrer violemment dans notre appartement, leurs fusils pointés vers l’avant », explique-t-il. « Ils ont sorti Hadi de son lit et ne lui ont pas laissé le temps de s’habiller ni même de se chausser. Ils l’ont mis dans une jeep militaire et sont partis. »

Il a fallu deux jours à la famille de Hadi pour savoir où se trouvait le jeune homme et apprendre qu’il était interrogé dans un centre de détention israélien à Jérusalem connu sous le nom de Russian compound.

« L’occupation tente de briser le moral des jeunes Palestiniens, en particulier ceux qui suivent une formation universitaire, afin de les pousser à quitter leur pays – en particulier ceux qui sont conscients et actifs sur le plan politique », ajoute le père de Tarshah. « Mais Hadi est beaucoup plus fort que cela. »

Hadi Tarshah a déjà manqué un semestre entier, qu’il devra rattraper – mais il est également confronté à la possibilité très réelle d’une prolongation de sa détention, ce qui pourrait faire dérailler davantage son éducation.

« Sur le plan social, il est difficile de voir tous vos amis obtenir leur diplôme alors que vous, vous êtes toujours loin derrière », confie son ami, Munim Masoud.

« Il est probable qu’après leur libération, certains étudiants aient plus de difficultés à revenir au même niveau d’activisme, car ils ne veulent pas rater un autre semestre », ajoute Layan Kayed. « Mais cela ne signifie pas qu’ils ne seront pas arrêtés à nouveau. Une fois que vous avez été arrêté, vous pouvez être à nouveau arrêté à tout moment par la suite. »

« Nulle part en sécurité »

L’arrestation la plus dramatique est survenue en mars 2018, lorsque des agents des forces israéliennes en civil – également connus sous le nom de moustaarabine pour le fait de prendre l’apparence de Palestiniens – sont entrés sur le campus de Birzeit pour enlever le président du conseil étudiant, Omar Kiswani.

« Au début, je pensais que c’était une bagarre », explique Munim Masoud, qui a été témoin de l’incident. « Puis ils ont sorti leurs armes et j’ai compris que c’étaient des soldats israéliens, pas des étudiants. »

« Notre réaction immédiate a été de nous précipiter vers toutes les entrées du campus et de les bloquer pour empêcher qu’un plus grand nombre de soldats ne s’introduisent », poursuit un autre témoin oculaire, Hazem Aweidat. « Ils ont finalement atteint l’entrée principale, menaçant les étudiants avec leurs armes pour qu’ils s’éloignent, puis sont montés dans une voiture avec Omar et sont partis. »

Alors que l’arrestation d’Omar Kiswani en plein jour a attiré l’attention des médias, Aweidat souligne que les campus universitaires sont depuis longtemps vulnérables aux raids des forces de sécurité israéliennes.

Des photographies d’étudiants détenus par Israël sont exposées sur le campus de l’Université de Birzeit (MEE/Qassam Muaddi)
Des photographies d’étudiants détenus par Israël sont exposées sur le campus de l’Université de Birzeit (MEE/Qassam Muaddi)

« Le campus n’est pas plus important que nos maisons », commente-t-il. « Quand il fait l’objet d’un raid, nous ressentons de la colère, mais si nous considérions cela comme une anomalie, nous pourrions oublier que nous sommes dans un pays occupé, où nous ne sommes nulle part en sécurité. »

La menace pour les étudiants va au-delà des raids de soldats infiltrés. L’université d’al-Quds, dans la ville cisjordanienne d’Abu Dis, près de Jérusalem, a souffert de nombreuses incursions directes et en plein jour des forces armées israéliennes sur le campus.

« L’occupation vise l’université [d’Abud Dis] parce qu’elle est la seule université palestinienne de la région de Jérusalem. Ils ne veulent aucune activité étudiante palestinienne autour de Jérusalem »

- Mohammad Abu Shbak, ancien membre du conseil étudiant

Selon le centre juridique de l’université, 25 de ses étudiants ont été arrêtés par Israël au cours du dernier semestre seulement.

L’emplacement du campus, près du mur de séparation israélien, le rend plus vulnérable aux raids, explique à MEE Mohammad Abu Shbak, ancien membre du conseil étudiant de l’Université d’Al-Quds.

« Lorsque les étudiants manifestent après l’arrestation de l’un des leurs, ils ont tendance à marcher vers le mur », indique-t-il. « Les soldats israéliens répriment alors la manifestation, entrent par effraction sur le campus en démolissant les portes et tirent des gaz lacrymogènes et des balles recouvertes de caoutchouc dans l’enceinte du campus. »

Pour Abu Shbak, un autre facteur entre en jeu : « L’occupation vise cette université parce qu’elle est la seule université palestinienne de la région de Jérusalem. Ils ne veulent aucune activité étudiante palestinienne autour de Jérusalem. »

Cet ancien représentant des étudiants se remémore la première incursion dont il a été témoin.

« J’étais dans le bureau du conseil des étudiants lorsque j’ai senti l’odeur des gaz lacrymogènes et entendu des gens courir, paniqués. Nous nous sommes séparés en groupes : certains sont allés bloquer les entrées, d’autres ont aidé à évacuer les étudiants et les enseignants, tandis qu’un troisième groupe cherchait des voitures et des bus pour aider les gens à rentrer chez eux », raconte-t-il. « Cela a duré près d’une heure avant le départ des soldats, qui ont laissé le chaos derrière eux. »

Mais ce n’est qu’après l’évacuation des soldats israéliens qu’Abou Shbak a découvert qu’un de ses amis, l’étudiant de deuxième année Bahjat Radaidah, avait été arrêté.

« En conséquence, les familles hésitent de plus en plus à envoyer leurs enfants à l’Université d’al-Quds en raison de sa proximité avec le mur et des raids de l’occupation sur son campus », explique Abu Shbak.

Avenir détruit

Heureusement pour lui, Bahjat Radaidah n’a passé qu’une semaine en détention. Mais tous les étudiants palestiniens arrêtés n’ont pas cette chance.

Azmi Nafaa, 29 ans, étudiait le droit à l’Université d’al-Najah, située dans la ville de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie, quand les forces israéliennes lui ont tiré dessus à un check-point à proximité de la fac en novembre 2015, le blessant, avant de l’arrêter. Il ne lui restait plus qu’un semestre avant d’obtenir son diplôme.

Des étudiants lancent des pierres sur des soldats israéliens au check-point d’Atara en novembre 2012 (AFP)
Des étudiants lancent des pierres sur des soldats israéliens au check-point d’Atara en novembre 2012 (AFP)

Un tribunal militaire israélien a prolongé sa détention sans inculpation à cinq reprises – en utilisant une pratique dénoncée de toutes parts et connue sous le nom de détention administrative – avant de finalement l’inculper pour une attaque présumée contre des soldats et le condamner à 28 ans de prison.

« Azmi a décidé qu’il allait terminer ses études en prison. Sa mère était hésitante, mais j’ai insisté sur le fait que l’occupation ne pouvait pas arrêter nos vies », déclare son père, Sahel Nafaa, à MEE.

Pendant des mois, Sahel a combattu les autorités israéliennes pour permettre à son fils d’étudier.

« J’ai cherché sur Facebook des informations sur tout prisonnier détenant un diplôme de troisième cycle en droit et pouvant aider Azmi à étudier », raconte-t-il.

« Quand j’en ai finalement trouvé un dans la même prison que mon fils, a commencé le combat pour lui envoyer les livres dont il avait besoin. L’administration pénitentiaire refusait d’autoriser les livres à l’intérieur, puis a refusé de me laisser rendre visite à Azmi en prison. Ils voulaient me forcer à arrêter, mais je ne l’ai pas fait. »

« L’occupation sait que les étudiants sont le secteur le plus actif et le plus dynamique de la société – en particulier à une époque où les partis politiques sont de moins en moins efficaces »

- Layan Kayed, étudiant

Azmi a finalement obtenu son diplôme en détention trois ans après.

Pour son père, Israël « cherche à détruire l’avenir du peuple palestinien, c’est pourquoi il cible les jeunes instruits, intimide leurs familles, [les] éloigne de l’éducation ».

Kayed pense lui aussi que la répression israélienne contre les étudiants est motivée par des raisons politiques : « L’occupation sait que les étudiants sont le secteur le plus actif et le plus dynamique de la société – en particulier à une époque où les partis politiques sont de moins en moins efficaces. »

Dans la mesure où l’Autorité palestinienne (AP) – dirigée par le Fatah du président Mahmoud Abbas – n’a pas organisé de scrutin présidentiel depuis 2005, les élections des conseils étudiants servent depuis longtemps de baromètre de la politique palestinienne au sens large, en particulier parmi les jeunes.

Mais si les factions politiques étudiantes en Palestine sont historiquement des extensions des partis politiques, Hazem Aweidat pense que les temps ont changé.

« Aujourd’hui, les partis politiques sont en réalité une extension du mouvement étudiant. Nous, les jeunes des universités dotés d’une conscience politique, sommes ceux qui dirigent la rue », affirme-t-il. « C’est pourquoi l’occupation nous vise. »

« C’est ça, la vie étudiante en Palestine », conclut son camarade Layan Kayed.

Traduction de l’anglais (original).

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