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À Jérusalem-Est, les Palestiniens dénoncent un assaut israélien contre l’éducation

Les installations éducatives pour les Palestiniens sont déjà loin d’être suffisantes dans la ville, mais la situation risque de s’aggraver alors qu’Israël se prépare à fermer les écoles de l’agence de l’ONU pour les réfugiés
Le centre pour les enfants palestiniens est l’un des rares endroits du camp où les mineurs peuvent participer à des activités sportives, culturelles et artistiques après l’école (MEE/Zena Tahhan)
Par Zena Tahhan à CAMP DE RÉFUGIÉS DE SHUAFAT, Jérusalem-Est occupée

L’atmosphère est toujours tendue dans le camp de réfugiés négligé de Shuafat, à Jérusalem-Est occupée. 

Ici, les enfants jouent sur des routes jonchées d’ordures et d’eaux usées, tandis que de jeunes adolescents sont contraints d’abandonner leurs études pour travailler dans des garages ou des restaurants, afin que leur famille puisse joindre les deux bouts.

Au moins 24 000 personnes – en majorité des réfugiés dont les familles ont été déplacées en 1948 – vivent dans cette zone anarchique, enfermés dans une cage entre deux check-points et le mur de béton de 8 mètres de haut qui encercle le camp.

L’annonce qu’Israël prévoit de fermer les deux écoles de réfugiés des Nations unies dans le camp n’a fait que jeter de l’huile sur le feu.

Ces écoles, même si elles présentent des lacunes en matière d’organisation et manquent de capacité d’accueil, sont gratuites et offrent une petite lueur d’espoir significative dans un contexte difficile.

« J’ai tous mes amis à l’école. J’aime mes professeurs. Nous passons plus de temps à l’école qu’à la maison », a déclaré Zuhoor al-Tawil (14 ans), élève à l’école pour filles de Shuafat, gérée par l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, l’UNRWA.

Les élèves de l’école de l’UNRWA, Zuhoor al-Tawil (à droite) et son amie Rua, ont entendu parler du projet de fermeture de leur école depuis un moment (MEE/Zena Tahhan)
Les élèves de l’école de l’UNRWA, Zuhoor al-Tawil (à droite) et son amie Rua, ont entendu parler du projet de fermeture de leur école depuis un moment (MEE/Zena Tahhan)

« Pourquoi n’attendent-ils pas que nous ayons obtenu notre diplôme avant de la fermer ? », a-t-elle demandé à Middle East Eye.  

Dernier coup en date porté aux réfugiés palestiniens et au système éducatif de Jérusalem-Est occupée, les médias israéliens ont annoncé fin janvier qu’Israël fermerait les écoles de l’ONU des camps de réfugiés palestiniens à travers la ville.

Selon les médias israéliens, le Conseil de sécurité nationale du pays révoquera les autorisations des écoles gérées par l’UNRWA dès le début de la prochaine année scolaire.

La gestion des écoles sera transférée de l’agence de l’ONU à la municipalité de Jérusalem et le programme scolaire du ministère de l’Éducation israélien sera utilisé.

Opérant depuis 1949, l’UNRWA gère six écoles à travers Jérusalem, qui accueillent près de 3 000 élèves. L’agence gère également des centres de santé et des associations de femmes et de jeunes, ainsi que des services d’aide humanitaire et de protection.

« J’ai tous mes amis à l’école. J’aime mes professeurs. Nous passons plus de temps à l’école qu’à la maison 

- Zuhoor al-Tawil, élève de 14 ans

En réponse à ces informations dans les médias, l’UNRWA a publié un communiqué dans lequel l’agence a déclaré n’avoir été informée d’aucune décision de fermeture des écoles.

« Depuis 1967, les autorités israéliennes n’ont à aucun moment contesté les bases sur lesquelles l’agence entretient et exploite des locaux à Jérusalem-Est », indique le communiqué.

« Plan B »

Bien que l’UNRWA s’inquiète, elle essaie de ne pas parler de « plan B » si Israël décide de fermer les écoles ou de restreindre les opérations de l’agence, a indiqué son porte-parole, Sami Mshasha, à MEE.

« Il y a 60 000 réfugiés palestiniens à Jérusalem. Une grande partie d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Le taux de chômage est très élevé, en particulier chez les jeunes », a-t-il précisé.

« Si nous sommes expulsés de Jérusalem, la qualité de vie de ces personnes s’érodera sérieusement et ils souffriront. »

Mohannad Masalameh, directeur exécutif du Comité populaire du camp de Shuafat, a déclaré que même si les écoles de l’ONU étaient confrontées à une grave pénurie de personnel en raison des récentes compressions budgétaires du gouvernement américain, leurs installations restaient meilleures que celles des autres écoles.

Mohannad Masalameh est le directeur exécutif du Comité populaire du camp de Shuafat, qui relève de l’Organisation de libération de la Palestine (MEE/Zena Tahhan)
Mohannad Masalameh est le directeur exécutif du Comité populaire du camp de Shuafat, qui relève de l’Organisation de libération de la Palestine (MEE/Zena Tahhan)

La municipalité israélienne de Jérusalem exploite un certain nombre d’écoles dans le camp, où le programme de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie est utilisé, malgré les tentatives répétées du gouvernement israélien de mettre en œuvre le sien.

« Allez dans les écoles municipales ici et vous verrez que l’on n’y trouve pas l’atmosphère d’une école. Les écoles de l’UNRWA sont beaucoup plus grandes et meilleures. Vous avez une grande cour de récréation. La plupart des écoles municipales sont des bâtiments loués », a déclaré Masalameh à MEE.

« Bien qu’aucune décision n’ait été prise, si un tel projet est mis en œuvre, cela aura un impact très négatif. L’UNRWA emploie environ 85 personnes dans ces écoles ; ils perdront leur emploi. »

« Et je pense que les gens refuseront d’accepter de placer leurs enfants dans des écoles municipales respectant le programme israélien. En tant que Palestiniens, certains peuvent refuser d’apprendre le programme d’un autre pays qui entre en conflit avec leur patriotisme », a-t-il ajouté.

Installations décrépites

La politique d’Israël a un impact négatif sur l’éducation palestinienne à Jérusalem, la prise pour cible des écoles de l’UNRWA n’en étant qu’un exemple.

En vertu du droit israélien et international, Israël a l’obligation de fournir une éducation satisfaisante à tous les enfants palestiniens de la ville.

Cependant, Ir Amim, une ONG israélienne qui observe la vie des Palestiniens dans la ville, indique qu’il faudrait 2 500 salles de classe supplémentaires pour accueillir les enfants palestiniens dans de bonnes conditions.

En outre, on estime qu’il faut construire environ 70 salles de classe chaque année pour faire face à la croissance démographique palestinienne, mais Israël n’en construit qu’environ 37 par an en moyenne. 

« Jusqu’à récemment, la municipalité de Jérusalem et le ministère israélien de l’Éducation ont attribué la pénurie croissante de salles de classe au manque de terrains sur lesquels construire des infrastructures éducatives à Jérusalem-Est », indique le rapport du groupe, publié en 2017.

« En réalité, la rareté en question n’est pas une véritable pénurie de terrains, mais plutôt un manque de terrains affectés aux bâtiments publics, conséquence directe d’une planification discriminatoire à Jérusalem-Est. »

Israël a pris Jérusalem-Est, l’a annexée et a soumis ses quartiers à la législation israélienne en 1967, en violation du droit international, et cette annexion n’a jamais été reconnue par la communauté internationale.

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Depuis lors, 2,6 % de toutes les terres de Jérusalem-Est ont été consacrées à des installations publiques. En revanche, environ 86 % de Jérusalem-Est ont été alloués à l’État d’Israël et aux colons israéliens.

Le manque d’espaces pour se développer naturellement et la ghettoïsation des quartiers palestiniens de Jérusalem-Est ont fortement asphyxié le secteur de l’éducation.

Ziad al-Shamale, président du syndicat des comités de parents de Jérusalem-Est, a déclaré que le manque d’espace constituait le principal problème, et que le mur israélien séparant la ville de la Cisjordanie occupée asphyxiait encore davantage tout développement.

« Jérusalem est fermée par le mur et les écoles sont déjà surpeuplées. Le gouvernement israélien n’accorde à personne d’autorisation ni de permis de construire une école – ni à l’autorité palestinienne, ni au Waqf islamique de Jérusalem – à personne », a déclaré Shamale à MEE.

« Israël ne veut pas que notre secteur éducatif se développe. Ils veulent des gens sans éducation, des gens qui décrochent », a-t-il poursuivi. « Les gens n’arrivent pas à trouver de logement, alors comment voulez-vous qu’ils trouvent des écoles ? »

Au moins 33 % des élèves palestiniens à Jérusalem décrochent avant d’avoir suivi douze années de scolarité. Chaque année, plus d’un millier d’élèves abandonnent l’école selon le rapport d’Ir-Amim.

D’après Shamale, le taux d’abandon scolaire élevé est en partie dû au manque d’installations adéquates dans les écoles palestiniennes de Jérusalem.

« Il y a plus de 40 ou 45 élèves dans chaque classe, avec un seul enseignant. Il y a une grave pénurie de terrains de sport, d’aires de jeu, de salles informatiques et même de livres à lire pour les enfants », a-t-il déclaré.

Une guerre contre le programme palestinien

Après des décennies de négligence dans la scolarisation des Palestiniens, le gouvernement israélien a décidé en mai 2018 d’investir 450 millions de shekels (122 millions de dollars) dans l’éducation à Jérusalem-Est.

Cependant, cet argent est principalement destiné à améliorer les cours de technologie et d’hébreu et à convaincre les écoles municipales publiques d’adopter le programme israélien.

Zaid al-Qiq est enseignant dans une école privée et chercheur en éducation. Il affirme que le gouvernement israélien essaie déjà de convaincre les parents palestiniens et leurs enfants d’étudier dans des écoles municipales dotées d’un programme israélien. 

« La municipalité veut les convaincre de passer le Bagrut [examens israéliens de fin d’études secondaires] ou de passer les examens psychométriques [examens d’entrée dans l’enseignement supérieur] au lieu des examens palestiniens », a-t-il indiqué à MEE.

En l’absence d’institutions gouvernementales au sein du camp, les habitants ont eu recours à l’ouverture de plusieurs institutions et associations locales pour fournir des services, notamment des centres récréatifs pour les enfants (MEE/Zena Tahhan)
En l’absence d’institutions gouvernementales au sein du camp, les habitants ont eu recours à l’ouverture de plusieurs institutions et associations locales pour fournir des services, notamment des cent

Pour les Palestiniens de la ville, passer les examens de fin d’études israéliens signifie pouvoir aller dans les universités israéliennes et accéder à un marché de l’emploi plus vaste. Jusqu’à récemment, ceux qui souhaitaient étudier à l’Université hébraïque de Jérusalem devaient suivre un programme pré-universitaire de deux ans avec un examen psychométrique.

Le campus principal de la seule université palestinienne à Jérusalem – l’Université al-Qods – est, pour sa part, coupé de la ville par le mur de séparation. Ceux qui souhaitent y accéder voient leur trajet doublé et doivent franchir un check-point.

« Nous craignons que demain, le secteur éducatif passe totalement au programme israélien. Ils vont servir à nos enfants le récit israélien. Après dix ou quinze ans, cette génération sera palestinienne de nom mais pas dans son identité »

- Ziad al-Shamale, syndicat des comités de parents de Jérusalem-Est

Qiq estime que le secteur de l’éducation palestinien est loin d’être indépendant sous l’occupation israélienne.

« Même dans les écoles privées, la municipalité intervient dans le recrutement de certains enseignants. Ils interfèrent avec les matières que nous enseignons », a-t-il déclaré.

« Aujourd’hui, ils mènent une guerre contre le programme scolaire palestinien et nous le constatons en ce moment avec les écoles de l’UNRWA. »

Shamale, le responsable du comité de parents, est d’accord.

« Nous craignons que demain, le secteur éducatif passe totalement au programme israélien. Ils vont servir à nos enfants le récit israélien. Après dix ou quinze ans, cette génération sera palestinienne de nom mais pas dans son identité », a-t-il estimé.  

« Les élèves palestiniens sont les victimes de ce système. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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