Dans les territoires palestiniens, les enfants doivent braver tous les dangers pour s’instruire
NAPLOUSE, Territoires palestiniens occupés (Cisjordanie) – Les soldats israéliens ont fait irruption pendant que les enfants étaient en train de jouer devant l’école de leur village, au sud de Naplouse. En l’espace de quelques minutes, les gaz lacrymogènes ont envahi le terrain de jeu, des pierres ont été jetées et un garçon de 10 ans a reçu dans la tête une balle en métal recouverte de caoutchouc.
Les violences de ce dimanche 25 mars n’étaient que les dernières d’une série d’affrontements ayant eu lieu devant le lycée du village de Burin, et Ahmad Faris, l’enfant touché par balle, qui a dû être hospitalisé, en était la dernière victime.
« Les colons essaient de briser les fenêtres de l’école et d’attaquer les enseignants et les élèves avec des pierres, parfois ils tirent même à balles réelles »
- Ghassan Najjar, activiste de Burin
Selon les habitants du village, l’école est attaquée jusqu’à trois fois par semaine par des habitants de la colonie illégale voisine, Yitzhar, ainsi que les soldats de la tour de guet à proximité.
« Plus de dix élèves ont refusé d’aller à l’école suite à la blessure d’Ahmad, et un autre s’est uriné dessus à l’école », a déclaré à Middle East Eye Ghassan Najjar, un activiste local. « Quand vous êtes en cours et que votre école est encerclée par des soldats israéliens, comment pouvez-vous vous concentrer en classe ? »
Ces attaques s’inscrivent dans un schéma national d’intimidations et de violences croissantes ciblant les écoles, les enfants et les enseignants palestiniens.
Selon le rapport annuel du ministère palestinien de l’Éducation, 80 279 enfants et 4 929 enseignants et employés ont été « attaqués » par des colons ou des soldats israéliens en 2017. Au cours de cette même année, 9 étudiants ont été tués dans diverses circonstances, 600 ont été blessés et plus de 300 ont été arrêtés, au cours de 352 attaques israéliennes contre 95 écoles.
Les écoles en première ligne
Niché dans les collines du nord de la Cisjordanie, Burin abrite environ 3 000 Palestiniens et est entouré de tous côtés par deux colonies illégales, un avant-poste illégal et une base militaire israélienne. L’établissement scolaire se trouve à l’entrée du village et est fréquenté par environ 300 enfants, filles et garçons.
Perché sur le sommet de la colline à proximité se trouve la colonie de Yitzhar, source de fréquentes attaques, et environ 50 mètres derrière l’école se dresse une tour de guet de l’armée israélienne. L’école est donc souvent sur la ligne de front des raids des colons et des soldats, selon Najjar.
« Chaque semaine, il y a au moins deux ou trois attaques, menées tant par les colons que par les soldats », a-t-il indiqué à Middle East Eye.
« Les colons descendent de la colline et essaient de briser les fenêtres de l’école et d’attaquer les enseignants et les élèves avec des pierres, parfois ils tirent même à balles réelles. »
Il raconte qu’un jour, des colons armés ont réussi à s’introduire dans l’école pendant que les enfants passaient des examens.
Les soldats, a-t-il ajouté, quittent souvent la tour de guet pour crier des insultes aux enfants et diffuser de la musique avec les haut-parleurs de leurs véhicules pour les provoquer. Les enfants jettent souvent des pierres en représailles. « Ensuite, les soldats utilisent cela comme excuse pour jeter des gaz lacrymogènes sur l’école et tirer sur les enfants. »
Bénévole à l’école, Ghassan Najjar a affirmé que les enfants étaient constamment sur les nerfs, à guetter sans cesse les soldats ou les colons. « Ils ont cette mentalité : ‘’nous devons nous protéger et nous devons protéger notre école’’ », explique-t-il.
L’année 2018 est bien partie pour être tout aussi dangereuse que la précédente pour les enfants et les enseignants de Cisjordanie. Les médias palestiniens ont déjà signalé plusieurs attaques contre les écoles depuis le début de l’année.
Par exemple, le 21 mars, quelques jours avant que Faris ne soit blessé, les forces israéliennes ont effectué une « démonstration de force » dans le village d’al-Mughayyir, dans la région de Ramallah, alors que des enfants se rendaient à l’école à pied. Huit d’entre eux ont été blessés par des balles en métal recouvertes de caoutchouc lors des affrontements qui ont suivi.
Deux jours auparavant, une école du village de Tuqua, dans la région de Bethléem, était également attaquée par des soldats israéliens. Alors que des pierres étaient lancées et des gaz lacrymogènes tirés sur la cour de l’école, le personnel a été forcé de barricader les portes pour empêcher les soldats de pénétrer à l’intérieur.
Confiscations et démolitions
Si de telles attaques menacent la sécurité des enfants et des enseignants, pour Ghassan Najjar, la plus grande source de préoccupation est l’actuelle confiscation des terres de l’école par Israël. En février, les soldats ont annoncé qu’Israël confisquerait près de 6 hectares de terres de l’établissement scolaire de Burin pour la construction d’un mur de séparation.
« C’est la menace la plus dangereuse à laquelle est confrontée l’école à présent », a-t-il déclaré. « La construction prévue de ce mur mettra encore plus de pression sur les élèves et les empêchera de recevoir une éducation adéquate. Ils se concentreront sur la protection de leurs terres plutôt que sur leurs études. »
Des confiscations sont en cours dans la totalité des territoires occupés. Selon un communiqué du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) publié en février, 37 écoles ont reçu des ordres de démolition dans la zone C de la Cisjordanie, qui est sous le contrôle civil et sécuritaire total des autorités israéliennes.
« Quand une organisation vient construire de nouvelles salles de classe, les enfants ne se réjouissent même pas car ils savent que ce n’est qu’une question de temps avant que les bulldozers israéliens ne reviennent »
- Dawoud al-Jahalin, conseil d’Abu Nuwar
L’une d’entre elles, partiellement démolie en février pour la sixième fois depuis 2016, est située dans le village bédouin d’Abu Nuwar, où 670 Palestiniens vivent dans des tentes et des baraques en tôle.
Sous prétexte d’être construites sans permis israéliens – lesquels sont quasiment impossibles à obtenir pour les Palestiniens de la zone C –, deux salles de classe financées par l’UE qui accueillaient 26 enfants ont été démolies par les autorités israéliennes, suscitant de nombreuses critiques de la part des responsables palestiniens et de la communauté internationale.
« Ces salles de classe ont été démolies un grand nombre de fois », a déploré Dawoud al-Jahalin, le chef du conseil du village d’Abu Nuwar.
« Quand une organisation vient construire de nouvelles salles de classe, les enfants ne se réjouissent même pas car ils savent que ce n’est qu’une question de temps avant que les bulldozers israéliens ne reviennent. »
Selon Jahalin, les 26 enfants étudient maintenant dans un centre communautaire local et un salon de coiffure.
« Bien sûr que nous espérons reconstruire des salles de classe adéquates, mais nous avons surtout besoin de l’aide de la communauté internationale pour mettre davantage de pression sur le gouvernement israélien afin qu’il arrête ces démolitions », a-t-il précisé, ajoutant que les confiscations dépassaient les bâtiments « illégaux ». L’été dernier, des panneaux solaires qui alimentaient en électricité les salles de classe et une maison d’hôtes locale ont été confisqués.
Incursions israéliennes
Située dans la zone stratégique dite « E1 », en Cisjordanie, Abu Nuwar est la plus grande des communautés bédouines locales menacées de démolition.
S’il est mis en œuvre, le plan E1 verrait la construction de centaines d’unités de logement pour colons reliant Maale Adumim à Kfar Adumim, dans Jérusalem-Est occupée. Il créerait un bloc de colonisation urbaine en plein territoire palestinien, coupant ainsi en deux les parties sud et nord de la Cisjordanie et isolant davantage cette dernière de Jérusalem-Est.
À LIRE ► Enfance volée : la vie des mineurs palestiniens après la prison
Ce plan marquerait en outre la fin du camp de Khan al-Ahmar, qui est déjà menacé de démolition et de déplacement forcé, et de celui de Jabal al-Baba – dont la seule école maternelle du village a été détruite en août 2017, un mois avant la rentrée scolaire.
Les groupes de défense des droits de l’homme ont soutenu que les politiques d’Israël dans la zone E1 constituaient un transfert forcé – lequel est strictement interdit par le droit international humanitaire et représente une violation de la quatrième Convention de Genève.
« Nous vivons au XXIe siècle mais les enfants palestiniens n’ont toujours pas accès à l’un des droits de l’homme les plus élémentaires : le droit à l’éducation. »
« Les communautés bédouines de la région de Jérusalem sont ici depuis les années 1950, après avoir dû fuir leurs terres originales dans le désert du Néguev et être devenues des populations réfugiées, et nous n’avons même pas accès à l’électricité, à l’eau ou aux routes », a déclaré Dawoud al-Jahalin à MEE.
« En revanche, Maale Adumim, qui a été construit illégalement dans les années 1980, compte plus de soixante-dix jardins et aires de jeux, douze écoles ainsi que des bus pour emmener les enfants à l’école.
Cours gâchés
Le ministère de l’Éducation palestinien a également souligné les conséquences néfastes du vaste réseau israélien de check-points et de zones militaires fermées sur le droit et l’accès sécurisé à l’éducation.
« Nous vivons au XXIe siècle mais les enfants palestiniens n’ont toujours pas accès à l’un des droits de l’homme les plus élémentaires : le droit à l’éducation »
- Dawoud al-Jahalin, conseil d’Abu Nuwar
Le rapport 2017 du ministère indique que les enfants et les enseignants palestiniens de 51 écoles ont été retardés aux nombreux check-points israéliens alors qu’ils se rendaient à l’école ou en revenaient.
En conséquence, 26 808 élèves et 1 029 enseignants ont été empêchés d’aller à l’école ou ont été considérablement retardés, ce qui s’est traduit par « 35 895 cours gâchés ».
Dans les collines du sud d’Hébron, dans la région de Masafer Yatta, 210 enfants palestiniens vivant dans un ensemble de douze petits villages font face au défi quotidien de se rendre en classe dans une zone d’entraînement militaire active.
Aller à l’école dans une zone de tir
Déclarée zone de tir n° 918 par le gouvernement israélien à la fin des années 1970, cette zone s’étend sur près de 3 500 hectares et les Palestiniens qui y vivent sont soumis aux caprices de l’armée israélienne, qui s’exerce régulièrement en faisant usage de munitions réelles.
Nidal Younis, chef du conseil du village de Masafer Yatta, a déclaré à MEE que les enfants de la communauté étaient souvent les plus exposés à ces exercices militaires.
« Quelqu’un d’autre au monde peut-il s’imaginer – ou imaginer son propre enfant – essayer d’obtenir une bonne éducation dans de telles conditions ?
- Nidal Younis, conseil du village de Masafer Yatta
« Il n’y a que trois écoles dans toute la région et la plupart des communautés n’ont pas accès aux bus scolaires, ce qui oblige les enfants à marcher sur plusieurs kilomètres pour aller à l’école », a-t-il expliqué, ajoutant que les bus scolaires affrétés pour les enfants étaient souvent arrêtés et forcés de rebrousser chemin par les forces israéliennes.
« Quand les enfants marchent pour l’école, des hélicoptères militaires volent au-dessus de leurs têtes à basse altitude, provoquant des nuages de terre et de sable qui fouettent les enfants, leur font mal aux yeux et retardent leur arrivée à l’école. »
Il a ajouté que pendant les périodes d’entraînement actif, les soldats avaient l’habitude de fermer certaines zones menant aux écoles pendant une dizaine de jours, obligeant les enseignants et les enfants à rester chez eux jusqu’à ce que l’armée rouvre la zone.
Selon Younis, Israël a également empêché les habitants de goudronner les routes ou d’installer des infrastructures électriques ou hydrauliques dans la zone.
« Les enfants doivent marcher sur des chemins de terre et, en été, ils doivent éviter serpents et scorpions. Quand ils arrivent à l’école, ils souffrent de coups de chaleur et sont assoiffés – et ils n’ont même pas accès à l’eau courante.
« Quelqu’un d’autre au monde peut-il s’imaginer – ou imaginer son propre enfant – essayer d’obtenir une bonne éducation dans de telles conditions ?
« C’est insupportable, presque impossible, mais en Palestine, c’est ce que nos enfants doivent subir juste pour s’instruire. »
Traduit de l’anglais (original).
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].