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L’attaque d’Israël contre le Freedom Theatre dans le camp de Jénine fait partie d’un génocide culturel

La destruction du théâtre et l’arrestation de son personnel s’inscrivent dans une tentative générale visant à briser les Palestiniens de Cisjordanie occupée sur le plan psychologique et émotionnel
Le metteur en scène palestinien Mustafa Shetha est le directeur général du Freedom Theatre, situé dans le camp de réfugiés palestiniens de Jénine, en Cisjordanie occupée (AFP)

Lorsque Mustafa Shetha, père de quatre enfants et directeur général du Freedom Theatre, a été enlevé de chez lui le mercredi 13 décembre, qu’on lui a bandé les yeux et qu’il a été incarcéré, battu et privé de nourriture et d’eau, ce n’était pas le fruit du hasard.

Les soldats israéliens, qui avaient la moitié de son âge, avaient demandé aux voisins où il habitait. Ils étaient venus chercher ce producteur artistique corpulent et d’âge moyen en particulier.

Personne ne pourrait confondre Shetha, un homme doux au comportement paternel, avec un « terroriste ». Il n’était pas une cible militaire. Ils l’ont tabassé parce qu’il était le directeur général d’un théâtre. Voilà son crime.

Mais l’actuelle invasion israélienne du camp de réfugiés de Jénine est un exercice de torture, sans objectif militaire.

Depuis l’aube mardi dernier, les combattants de la Brigade de Jénine échangeaient des coups de feu avec l’armée israélienne dans la ville voisine de Jénine, aucun militant armé n’était dans le camp de Jénine.

L’armée israélienne en a profité pour arrêter plus d’un demi-millier de personnes à l’intérieur du camp, dont Shetha. Une centaine de personnes ont été incarcérées, en majorité des hommes ou des jeunes.

Ahmed Tobasi, directeur artistique du Freedom Theatre, était l’un d’eux.

Il a défié les soldats mercredi, leur demandant pourquoi ils attaquaient le théâtre. Ils l’ont frappé et ont perquisitionné son domicile, fracassé son ordinateur, son iPad et des plantes, avant de l’arrêter.

Des Palestiniennes regardent par l’embrasure d’une porte après un raid des forces d’occupation israéliennes à Jénine, en Cisjordanie occupée, le 29 novembre 2023 (Reuters)
Des Palestiniennes regardent par l’embrasure d’une porte après un raid des forces d’occupation israéliennes à Jénine, en Cisjordanie occupée, le 29 novembre 2023 (Reuters)

Ahmed Tobasi connaît bien la brutalité israélienne. Il rapporte que son premier souvenir, c’est d’avoir été frappé à coups de pied par un soldat israélien quand il était enfant, alors qu’il se cachait dans la ruelle à côté de son humble maison. Il a également été arrêté dans sa jeunesse.

Mais c’est alors que Juliano Mer Khamis, qui a fondé le Freedom Theatre, aujourd’hui sous sa direction, l’a pris sous son aile et lui a donné du travail au théâtre.

C’est ce travail qui a permis à Ahmed Tobasi de se rendre en Norvège, où il a vécu, travaillé et obtenu la nationalité norvégienne.

Mais c’est son courage et son sens de la fierté culturelle qui l’ont ramené au camp de Jénine et qui lui ont finalement valu d’être pris à partie par des soldats israéliens et de recevoir des coups la semaine dernière, lesquels lui ont laissé des ecchymoses sur les jambes et le dos.

Ces blessures sont une reconnaissance viscérale de sa capacité à inspirer l’espoir et le rêve à la jeunesse de Jénine.

La peur de la fierté palestinienne

Jamal Abu Joas a également été arrêté et détenu par des soldats qui frappaient les détenus et les traitaient de « fils de putes » en arabe. Une gentille attention.

Abu Joas est l’un des formateurs du théâtre pour les plus jeunes, et il a fait partie de l’équipe d’enseignants du camp d’été.

Ce n’est pas un gars dangereux, à moins que votre peur ne soit la cohésion sociale d’une communauté assiégée, et la transmission d’un sens de soi, de la continuité et de la fierté palestinienne.

Si c’est ce que vous craignez, il est logique de tabasser et d’incarcérer ce jeune poète sensible et gentil, désormais abattu, et qui fume beaucoup de cigarettes pour l’aider à faire face à ce qui se cache maintenant derrière ses yeux tristes et son sourire timide.

« Ces attaques sauvages visent directement tout ce qui renforce la conscience nationale et culturelle »

- Haneen Ameen, ministère de la Culture de l’Autorité palestinienne

Abu Joas a été roué de coups et son appareil photo et son téléphone ont été volés. 

« De nombreuses maisons du camp, y compris celles appartenant à des personnes travaillant dans le domaine culturel, ont été perquisitionnées », indique Haneen Ameen, directrice du ministère de la Culture de l’Autorité palestinienne.

« Ces attaques sauvages visent directement tout ce qui renforce la conscience nationale et culturelle, à travers le rôle créatif joué par ces institutions et ces individus, contribuant à l’amélioration et à la narration de l’histoire palestinienne, dans les voix de sa population, et préservant l’identité nationale à travers leurs arts et leur culture. »

L’électricité, l’eau et internet ont été coupés il y a quelques jours. Les routes ont de nouveau été détruites par des bulldozers Caterpillar modifiés, connus sous le nom de D9.

J’étais dans le camp de Jénine en juillet, quelques jours après les grandes attaques des 3 et 4 juillet, lorsqu’un millier de soldats israéliens ont envahi le camp et que le ciel était rempli d’avions de guerre, de roquettes et de drones.

Des chiens militaires ont été envoyés dans les maisons des réfugiés, ainsi que des grenades lacrymogènes. Le cliquetis constant des coups de feu était tout autour et ressemblait à des gouttes de pluie. 

Guerre psychologique

Pendant des semaines, les routes sont restées privées de leur bitume, attendant que l’Autorité palestinienne répare les tuyaux et câbles cassés, qu’elle refasse le revêtement qui permet aux enfants d’être conduits à l’école et aux ambulances d’arriver à temps à l’hôpital.

C’est l’une des raisons pour lesquelles cela est encore une fois détruit et les cœurs de tout le monde se brisent. 

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Il y a assurément une raison pratique de détruire des choses : cela rend la vie difficile. Couper les routes signifie moins de circulation.

Mais il ne s’agit pas seulement de cela. En fait, je dirais qu’il s’agit plutôt de l’aspect psychologique de la guerre.

Il s’agit de faire en sorte que les résidents du camp se sentent impuissants. Il s’agit de les faire abandonner et déménager en Jordanie.

Et qu’y a-t-il de plus démoralisant que de briser les murs intérieurs d’un théâtre très apprécié à la masse ? Que de bander les yeux du personnel du théâtre devant leurs familles ? Que de les menotter ? Et que de tirer des balles réelles à l’intérieur même du théâtre ? Tout cela alors qu’il fait environ 16 degrés dehors et qu’il pleut.

Étonnamment peut-être, il y a une bonne réponse à cette question rhétorique, et il s’avère que les forces israéliennes ont trouvé encore d’autres moyens pour briser l’esprit palestinien : passer à fond des enregistrements de chants de Hanouka sur le système Tannoy de la mosquée principale au centre du camp de réfugiés de Jénine pendant que les soldats pulvérisaient l’étoile de David sur les maisons des habitants et accrochaient des drapeaux israéliens sur leurs immeubles. 

« C’est la laideur de l’occupation », déplore Momen Sadi, acteur et éducateur à l’école du Freedom Theatre. « L’occupation empiète sur notre propriété, travaille à l’occidentalisation et chante des chansons dégoûtantes. »

Rien n’est plus révélateur du « colonisateur » qu’un drapeau sur un poteau, surtout lorsqu’il est associé à ces actes de génocide culturel, défini dans la Convention de La Haye, le Pacte Roerich et la Convention du patrimoine mondial, tous rompus et égratignés de manière flagrante, comme les os et les corps de mes collègues et amis.

Un Palestinien marche le 11 mars 2010 près d’une sculpture de cheval réalisée à partir des restes de voitures palestiniennes détruites par l’armée israélienne lors d’une opération à grande échelle dans le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie (AFP/Saïf Dahlah)
Sculpture de cheval réalisée à partir des restes de voitures palestiniennes détruites par l’armée israélienne lors d’une opération à grande échelle dans le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie, photographiée en mars 2010 (AFP/Saif Dahlah)

« Mina, c’est terrifiant », a écrit mon amie Wafa, mère de 26 ans et femme au foyer dont le mari est au chômage à cause de la violence, et dont l’enfant d’un an n’a pas pu avoir accès à du lait maternisé depuis des semaines et est sans aucun doute sous-alimenté.

« Mes enfants sont terrifiés par le bruit des rugissements et des cris. Notre quartier est plein de soldats. Mon mari est très nerveux, ils disent que [les soldats israéliens] les ont battus jusqu’à ce qu’ils s’évanouissent. »

Son mari a par la suite été arrêté par les Israéliens.

C’est le moment de mentionner le sort de la sculpture de cheval très appréciée qui était située près de la porte du camp : elle a été prise en otage par les Israéliens – et les portes voûtées géantes encadrant l’entrée de l’autre côté, qui ont été endommagées dans cette orgie dépravée de destruction culturelle.

Punir la résistance en attaquant un monument et en prenant le cheval en otage.

C’est à cela que ressemble l’oppression, visuellement. Comme des morceaux brisés de statues de chevaux. 

Éradiquer une culture

C’est comme Sa Majesté des mouches, mais les soldats lâchés dans ce camp de réfugiés n’ont qu’une idée générale de ce qu’ils devraient faire.

Il y a une liste de personnes à arrêter – Ahmed, Jamal, Mustafa – et une liste de bâtiments à vandaliser. Mais la méthodologie exacte pour ce faire est laissée à des adolescents perturbés et violents dotés d’armes automatiques qui errent dans les ruelles sombres, sans électricité pour les éclairer au-delà de leurs accessoires high-tech militaires.

Il s’agit d’éradiquer une culture. Mais vous ne pouvez pas effacer les aspirations collectives et les souvenirs communs d’un peuple, simplement en le faisant exploser.

L’arrestation des cadres du secteur culturel dans le camp de Jénine aujourd’hui ne fait rien pour assurer la sécurité des Israéliens, mais est une reconnaissance du fait que les pratiques culturelles d’une société sont son ciment, et que cela menace Israël

C’est Orange mécanique, mais juif.

Leurs cibles sont des non-combattants. Ce sont des mères, des pères, des enfants, des personnes âgées. Alors, pourquoi les gaz lacrymogènes, les drones volant à basse altitude et les bulldozers ? Pourquoi les avions de guerre larguant des missiles air-sol, et les grenades antichars Energa, avec les bangs super forts qui hantent mes rêves, depuis la première fois que je les ai entendus à Jénine, jusqu’à la dernière fois que je les ai entendus à Naplouse. (Ils ressemblent à la flotte de constructeurs Vogon, si vous connaissez Le Guide du voyageur galactique)

La rumeur disait que ce siège durerait encore cinq jours, comme le siège de la seconde Intifada, lorsque le camp de Jénine a été gravé dans les pages de l’histoire.

Au cours des 72 premières heures, au moins une douzaine d’hommes ont été tués, ainsi qu’un jeune garçon, Bachar Hourani, dont la voix n’avait pas encore mué.  

Le douzième mort était un étudiant du Freedom Theatre, Musa Ibn Malak (16 ans), un garçon joyeux et timide dont la mère est une amie chère. Elle est restée avec moi avec le frère et la sœur cadets de Musa lors de l’invasion israélienne du camp de Jénine en septembre.

Tant que les Palestiniens seront sur leur terre, ils continueront de faire de l’art et de la culture. L’arrestation des cadres du secteur culturel dans le camp de Jénine aujourd’hui ne fait rien pour assurer la sécurité des Israéliens, mais est une reconnaissance du fait que les pratiques culturelles d’une société sont son ciment, et que cela menace Israël.

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C’est un compliment détourné au pouvoir du théâtre et des arts en général, et en particulier au pouvoir du Freedom Theatre dans le camp de Jénine, et du Centre social pour les jeunes également, qui a été incendié.

Le Freedom Theatre fait partie de l’extraordinaire réseau de théâtres et d’organisations culturelles de Cisjordanie et de Gaza qui défendent les valeurs émotionnelles, psychologiques, spirituelles et culturelles de la Palestine en offrant des pièces de théâtre, des poèmes, des peintures et des spectacles.

Cette attaque montre à quel point de simples organisations populaires effraient la quatrième machine nucléaire et militaire la plus puissante au monde, et pourquoi le Freedom Theatre mérite le soutien de toutes les institutions théâtrales et artistiques internationales qui croient – pour citer Nina Simone – que « le devoir d’un artiste… c’est de refléter son époque ». 

- Mina Sadi est écrivaine, compositrice et conceptrice d’émissions de SVOD. Elle travaille avec le Freedom Theatre à Jénine, ainsi qu’avec le centre culturel Al-rowwad à Bethléem et d’autres organisations culturelles en Palestine.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Mina is a non-fiction writer, composer, and SVOD show developer who works with The Freedom Theatre in Jenin, as well as Al-rowwad Cultural Center in Bethlehem, and other cultural organizations in Palestine.
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