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Pourquoi l’offensive d’Israël contre Jénine est un échec

Les événements sur le terrain prouvent que la résistance palestinienne a anticipé l’invasion israélienne et la façon de l’affronter dans cette bataille entre deux camps inégaux
Une bannière portant un slogan de solidarité avec le camp de réfugiés de Jénine et des photos des combattants autour d’une fontaine dans le complexe de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem, lors des prières du vendredi, le 7 juillet 2023 (AFP)

Le ministre israélien de la Défense Yoav Galant s’est vanté que l’offensive sur Jénine avait « pleinement atteint » ses objectifs, affirmant que lorsque les combattants palestiniens reviendraient dans le camp de réfugiés, ils « ne le reconnaîtr[aient] pas » en raison de la dureté de l’attaque.

« La plupart d’entre eux ont abandonné leur domicile et ceux qui sont restés se sont cachés dans des endroits où ils étaient protégés par la population civile comme les hôpitaux. C’est la preuve flagrante de la couardise et du manque de courage qu’ils ont tenté de démontrer à l’extérieur », a assuré Yoav Galant.

La réaction de l’armée israélienne a, quant à elle, été plus sérieuse. Elle s’inquiète véritablement que la résistance palestinienne et ses tactiques – notamment l’utilisation d’engins explosifs – puissent s’étendre à d’autres régions de la Cisjordanie occupée.

Le ministre semblait s’adresser au public israélien pour se mettre en avant et accroître son influence politique en dissimulant l’échec de son offensive plutôt qu’en dressant un tableau honnête de ses résultats.

« Un triomphe palestinien »

Cherchant à remonter le moral des Israéliens, Yoav Galant s’est vanté que les combattants palestiniens avaient fui lors de l’attaque. Pourtant, on peut également dire que l’armée israélienne – considérée comme l’une des plus sophistiquées au monde, dotée d’une force aérienne, de satellites, de soldats d’élite et de technologies militaires de pointe – n’a pas réussi à progresser dans le centre du camp de réfugiés de Jénine.

L’armée israélienne – considérée comme l’une des plus sophistiquées au monde – n’a pas réussi à progresser dans le centre du camp de réfugiés de Jénine

Au lieu de marcher, les soldats ont rampé au sol pour éviter d’être pris pour cible par les snipers. Quand ils se sont retirés du camp, la scène ressemblait plus à un repli dans des véhicules blindés et de transports de troupes.

Les célébrations de victoire de la part des résidents du camp et des combattants après le retrait de l’armée israélienne étaient une scène bien plus enthousiasmante. Ils sont des réfugiés dont les familles et grands-parents ont été chassés de Haïfa et de ses alentours lors de la Nakba en 1948, et ont été récemment déplacés de leurs maisons lorsque l’armée s’en est emparée pour les utiliser comme boucliers et comme baraquements militaires après les avoir détruites.

Si le déplacement a touché un tiers de la population du camp, cette scène spontanée et populaire de joie montre le triomphe palestinien.

Mais pourquoi le ministre israélien de la Guerre a-t-il utilisé le terme « fuite » pour décrire les combattants de la résistance, dont le nombre n’excède pas quelques dizaines et qui ne possèdent aucune arme meurtrière, tandis que l’armée et la presse civile israéliennes les dépeignent comme une armée régulière avec un arsenal militaire et un état-major ?

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La réponse à cette question tient dans les objectifs de l’offensive contre Jénine, qui – comme l’avait mentionné la presse israélienne au préalable – était de transformer le camp de Jénine en « cimetière pour terroristes ». Ron Ben-Yishai, analyste militaire israélien pour Ynet, a fait observer la « déception dans l’armée face au petit nombre de victimes » parmi les combattants palestiniens.

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et Yoav Galant considèrent le camp de Jénine comme la « capitale du terrorisme », tandis que le Shin Bet, l’agence de sécurité intérieure, indique que l’objectif était d’éliminer les « infrastructures terroristes » et les « capacités de combat sophistiquées, notamment le développement de capacités de construction de roquettes rudimentaires ».

Cependant, le directeur général de l’Institut d’études pour la sécurité nationale et ancien chef de la division de renseignement militaire, le général Tamir Hayman, estime que la résistance « vit dans le cœur des Palestiniens » et n’a pas de capitale. Elle ne peut donc être éliminée en faisant irruption dans le camp de Jénine.

Ce dernier ajoute qu’Israël ne dispose « que de l’option militaire sans le moindre horizon politique ».

Une nouvelle « Nakba »

Si on considère que c’est l’objectif central du gouvernement israélien, alors il a échoué en définitive. La résistance n’a pas été éliminée, ni ses capacités et sa connaissance accumulée dans l’art du combat et de la confrontation.

Au contraire, les événements sur le terrain prouvent que la résistance a anticipé l’invasion de l’armée d’occupation, surveillé ses mouvements et déterminé comment, où et quand l’affronter dans un contexte de bataille entre deux camps inégaux. Les Palestiniens ont tenu résolument face à l’arsenal de guerre israélien.

Un autre objectif israélien était de viser la base populaire palestinienne, à savoir la population palestinienne dans son ensemble et les habitants du camp en particulier, les considérant comme faisant partie des « infrastructures terroristes ».

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Il s’agissait du principal mobile de la prise pour cible des civils, de la destruction totale d’infrastructures, de la coupure des réseaux d’eau, d’électricité et de communication, ainsi que du déplacement forcé de 5 000 personnes, rappelant la Nakba aux Palestiniens.

Par ailleurs, la destruction de biens leur a rappelé les attaques perpétrées par les gangs de colons, qui incendient des villages et détruisent des propriétés à Huwara, Turmus Ayya, Um Safa et Masafer Yatta.

Les objectifs de ces diverses opérations sont intégrés et liés. Ils se conforment à l’idéologie prévalente du sionisme religieux qui donne la priorité à un « projet de résolution » pour les Palestiniens – en d’autres termes, de nettoyage ethnique – et à l’annexion plutôt qu’à l’occupation.

Cette idéologie cherche à créer une situation où il est dans l’intérêt des Palestiniens de quitter leurs terres. Ce projet a été formulé par le ministre de la Sécurité, Bezalel Smotrich, qui est également à la tête du Parti sioniste religieux et le responsable de la gestion des affaires et des colonies en Cisjordanie occupée.

L’occupation cherche à supprimer la conscience des Palestiniens, à terroriser la population au moyen de destructions et d’expulsions de masse et à leur faire payer le fait d’être l’incubateur populaire de la résistance.

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En prélude à une autre grande offensive dans le nord de la Cisjordanie, y compris Naplouse, l’objectif politique central de l’offensive à Jénine est la recolonisation du nord de la Cisjordanie. Cela survient après que le Parlement israélien a annulé en mars dernier la loi de désengagement de 2005, qui ordonnait le désengagement d’Israël de Gaza et des régions du nord de la Cisjordanie, et à la suite du rétablissement de la colonie illégale de Homesh.

L’objectif est de construire des dizaines d’avant-postes coloniaux dans la région et de la judaïser et de l’annexer conformément aux accords de coalition.

Politique d’annexion

Pour l’occupation, remplir cet objectif requiert l’élimination de la résistance dans cette région et la marginalisation du rôle de l’Autorité palestinienne, surtout que la résistance vise l’armée israélienne et les colons. Les colons israéliens ne déménageront dans cette région que si l’État leur assure sécurité et tranquillité, lesquelles seront obtenues aux dépens des Palestiniens.

S’il échouait, cela signifierait l’échec de la judaïsation et du projet colonial dans le nord de la Cisjordanie et un échec temporaire, du moins, du projet d’annexion auquel résisteront les Palestiniens.

Au départ, ce projet était marginal sur la scène politique israélienne mais il a gagné en importance après avoir reçu l’approbation de l’ancien président américain Donald Trump et après l’ascension du sionisme religieux au pouvoir, lequel possède de fortes convictions idéologiques et exerce une influence notable sur la politique israélienne.

La résistance émergera de la récente offensive encore plus déterminée, expérimentée et riche d’une plus grande base de soutien populaire

Cela pourrait donner du poids politique au projet d’annexion tandis que certains aspects ont déjà été mis en œuvre sur le terrain dans les territoires palestiniens, ce qu’on connaît sous le nom d’annexion de facto, sans annonce officielle.

Les résultats de l’attaque contre Jénine sont décevants pour ceux qui s’accrochent au projet d’annexion. Via une décision politique, l’armée israélienne a cherché à procéder à l’expulsion en grand nombre de réfugiés palestiniens du camp, ce qui indique que la mentalité du déplacement et de la Nakba est toujours solidement ancrée dans le régime israélien. Il y a des gens qui soutiennent cela et plaident pour sa mise en œuvre.

Or, les Palestiniens ont réagi en rentrant chez eux dès le retrait des forces d’occupation, tandis qu’une partie significative de la population a refusé de quitter son domicile malgré les menaces des soldats israéliens.

La mentalité de la Nakba et du déplacement demeure, mais la mentalité des Palestiniens a, elle, changé. Ils ne veulent pas quitter leurs maisons, leurs villes ou leurs terres. Ils insistent pour rester chez eux qu’importe la gravité de l’occupation ou de l’agression.

Pour les forces israéliennes, en particulier lors des opérations militaires, les Palestiniens sont des ennemis où qu’ils puissent être et doivent être visés en tant que tels.

Au niveau politique, Netanyahou a réussi sur deux sujets importants. Sur le plan national, il a obtenu le soutien des chefs de l’opposition parlementaire concernant l’offensive et la décision du gouvernement. Il a également bénéficié d’un soutien unanime de la part du consensus sioniste national, y compris de l’opposition populaire, laquelle n’a pas pris position contre l’agression, tandis que les manifestations de grande ampleur que connaît le pays « pour la démocratie » ont fermé les yeux sur cette attaque.

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Sur le plan international, Netanyahou a reçu le soutien sans équivoque de l’administration Biden aux États-Unis ainsi que de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, qui ont soutenu « le droit d’Israël à protéger ses citoyens » et ont condamné le « terrorisme palestinien ».

Selon les estimations, la popularité de Netanyahou s’est accrue, en particulier du fait que la société et les médias israéliens ne se soucient pas du nombre de victimes palestiniennes ou de l’ampleur des destructions. Ils se concentrent purement et simplement sur les pertes israéliennes.

La situation palestinienne est soumise à des attaques incessantes d’Israël, dont les méthodes pourraient changer mais dont l’essence perdurera toujours.

La classe politique au pouvoir n’a aucune perspective de solution juste ni même de gestion efficace de l’occupation et du conflit. Elle compte principalement sur la force militaire pour faire face ou retarder les crises. Cependant, ce qui se passe en fait, c’est que chaque agression suscite l’opposé de ses objectifs attendus.

La résistance émergera de la récente offensive encore plus déterminée, expérimentée et riche d’une plus grande base de soutien populaire.

Israël cherchera à provoquer des dissensions internes entre Palestiniens, particulièrement entre les deux principales factions politiques, le Fatah et le Hamas, afin d’atteindre ses objectifs militaires par l’intermédiaire des Palestiniens. C’est actuellement le plus dangereux des scénarios.

L’agression d’Israël n’a pas changé les règles du jeu mais a plutôt renforcé une politique israélienne persistante. L’armée d’occupation s’est peut-être retirée du camp de Jénine mais sa prochaine offensive n’est qu’une question de temps et le compte à rebours a déjà commencé.

Fournir une protection aux Palestiniens est, par conséquent, une nécessité urgente et doit devenir la première des priorités.

Ameer Makhoul est un activiste palestinien de premier plan et journaliste au sein de la communauté des Palestiniens de 1948 (citoyens d’Israël). Il a dirigé Ittijah, une ONG palestinienne en Israël. Il a été emprisonné par Israël pendant dix ans.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Ameer Makhoul is a leading Palestinian activist and writer in the 48 Palestinians community. He is the former director of Ittijah, a Palestinian NGO in Israel. He was detained by Israel for ten years.
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