Le patrimoine religieux et culturel de Gaza effacé par la guerre d’Israël
Les pertes matérielles subies par les Palestiniens de la bande de Gaza en trois mois de bombardements israéliens sont sans précédent. Non seulement ils ont perdu leurs maisons, des quartiers entiers et des infrastructures publiques, mais les habitants affirment qu’un autre « dommage incommensurable qui ne peut être réparé » a été l’effacement de l’histoire de la bande de Gaza.
Depuis le début de la guerre à Gaza, le 7 octobre, l’armée israélienne a pris pour cible et détruit des dizaines de sites patrimoniaux, notamment des églises et des mosquées historiques, des musées et des structures archéologiques millénaires.
Les principaux sites religieux ont été la cible des frappes aériennes et des tirs d’artillerie israéliens dans les différents districts de Gaza. Nombre de ces sites avaient été transformés en abris pour les Palestiniens déplacés lors des frappes, ce qui a fait des dizaines de victimes.
Le 18 octobre, l’église orthodoxe grecque de Saint-Porphyre a été endommagée par une frappe aérienne israélienne visant le plus ancien hôpital de la bande de Gaza, l’hôpital baptiste al-Ahli al-Arab, vieux de 141 ans.
Deux jours plus tard, l’église a été directement visée par une frappe qui a tué au moins zeize personnes et en a blessé des dizaines d’autres parmi les familles qui s’y étaient réfugiées.
Randa Arteen, une chrétienne qui habite à Gaza, déclare que l’église était l’un des rares sites religieux où elle et sa communauté pouvaient prier et célébrer les fêtes religieuses, puisqu’Israël ne leur accorde pas l’autorisation de se rendre à Bethléem, en Cisjordanie occupée, par le point de passage de Beit Hanoun (Erez) chaque année.
« Les églises de la bande de Gaza ne sont pas nombreuses, mais elles sont toutes anciennes et historiques. Donc, si une église est détruite, ce n’est pas juste une église, ce sont des centaines d’années qui sont effacées », explique cette Gazaouie chrétienne de 53 ans à Middle East Eye.
« Contrairement à toutes les autres églises, nous avions un lien spirituel particulier avec l’Église grecque orthodoxe. Elle est le symbole des chrétiens palestiniens de Gaza, et même de toute la Palestine. »
« Nous avions l’habitude d’y célébrer Noël et d’illuminer l’arbre avec les enfants chaque année. Il est difficile de se faire à l’idée que les rares endroits destinés aux chrétiens dans la bande de Gaza sont maintenant détruits. »
Cette église vieille de presque 900 ans, l’une des plus anciennes au monde, fait partie des trois églises qui ont été endommagées dans la bande de Gaza.
« Plus qu’une simple mosquée »
Outre les églises, au moins 114 mosquées ont été détruites et 200 autres endommagées à Gaza, dont la mosquée Othman Bin Qashqar, datant du XIIIe siècle, située dans le quartier d’al-Zaytoun, dans le sud de Gaza, et la grande mosquée médiévale al-Omari, la plus grande et la plus ancienne mosquée de Gaza, située au cœur de la vieille ville, dans l’est de Gaza, et qui remonte au VIIe siècle.
Om Ahmed al-Saqqa, 64 ans, qui habite dans le quartier d’al-Shujaiyya, à quelques kilomètres de la mosquée al-Omari, raconte qu’elle priait dans la mosquée depuis son enfance, notamment pendant le mois sacré musulman du Ramadan.
Actuellement déplacée à Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, après que sa maison a été gravement endommagée, Om Ahmed affirme avoir été plus attristée par la destruction de la mosquée que par celle de sa propre maison.
« Je suis née et j’ai vécu toute ma vie dans ce quartier. Lorsque j’avais environ 6 ans, et pendant toute mon enfance, mon père nous emmenait, moi et mes frères et sœurs, tous les soirs pendant le mois de Ramadan pour accomplir les tarawih [prières nocturnes facultatives] dans cette mosquée. Ce lieu évoque pour moi des souvenirs d’enfance et de vie adulte », confie-t-elle à MEE.
« Pour nous, Palestiniens, c’est plus qu’une simple mosquée. C’est notre histoire et notre présent. Lorsque nous parlons de Gaza, nous parlons de la mosquée al-Omari. Nous pensions qu’il serait impossible de porter atteinte à un tel lieu, non seulement parce qu’il s’agit d’un site sacré, mais aussi en raison de sa riche histoire et de son importance pour les musulmans et les chrétiens du monde entier. »
La mosquée, qui a été convertie à partir d’une église byzantine, est considérée comme l’une des plus anciennes mosquées du monde.
Non loin de la mosquée al-Omari se trouve le hammam al-Samra (les bains turcs d’al-Samra), un exemple exceptionnel et rare d’un site architectural ottoman à Gaza.
Le 30 décembre, des frappes israéliennes ont directement touché le site, détruisant des éléments de style turc datant de plus de 1 000 ans.
Saint-Hilarion
Selon un rapport publié en novembre par Heritage for Peace, qui fait état des répercussions de la guerre d’Israël sur le patrimoine culturel de Gaza, au moins 104 des 195 sites du patrimoine architectural recensés dans l’enclave côtière ont été détruits ou endommagés.
Faute de pouvoir évaluer les dégâts sur place, les experts de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) confirment surveiller la situation à distance « à l’aide de données satellitaires et d’informations transmises par des tiers, en coordination avec ses partenaires et les agences de l’ONU sur place, ainsi qu’avec son bureau de Ramallah ».
« Il est difficile de se faire à l’idée que les rares endroits destinés aux chrétiens dans la bande de Gaza sont maintenant détruits »
- Randa Arteen, Gazaouie
« L’UNESCO a entrepris début octobre un suivi à distance des dommages. Dans le cadre de cette surveillance à distance, [nous sommes] particulièrement préoccupés par l’état des ruines de Saint-Hilarion, inscrites sur la Liste indicative nationale du patrimoine mondial en 2012. Il s’agit des vestiges de l’un des plus anciens monastères chrétiens de la région », a déclaré un porte-parole de l’UNESCO à MEE, sous le couvert de l’anonymat.
Les ruines de Saint-Hilarion font partie du site de Tell Umm Amer, situé dans le camp d’al-Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza. Le site a été gravement endommagé par la campagne de bombardements israélienne.
« Le conflit dans la bande de Gaza a engendré une grave crise humanitaire qui affecte tous les aspects de la vie civile. Comme déclaré publiquement à plusieurs reprises, l’UNESCO est gravement préoccupée par les répercussions de ce conflit sur l’éducation, la culture et la protection des journalistes, [les éléments qui constituent] les piliers de son mandat », explique-t-il.
« Si les urgences humanitaires constituent une priorité légitime, la protection du patrimoine culturel sous toutes ses formes, ainsi que la protection des infrastructures éducatives et médiatiques, doit également être assurée, conformément au droit international, qui stipule que les biens culturels sont des infrastructures civiles et qu’en tant que telles, elles ne doivent être ni ciblées ni utilisées à des fins militaires. »
La guerre contre le passé, le présent et l’avenir
Une autre victime notable des frappes aériennes de Gaza a été le bâtiment des Archives centrales, qui a été détruit le 29 novembre.
Dirigé par la municipalité de Gaza, le bâtiment contenait des milliers de documents historiques et d’archives nationales sur Gaza, datant de plus de cent ans.
À cela s’ajoutent au moins trois musées détruits ou gravement endommagés, dont le musée du palais Qasr al-Basha, géré par le gouvernement, qui remonte au XIIIe siècle et qui a été directement pris pour cible.
« C’est comme s’ils lançaient ces attaques avec l’intention de détruire non seulement notre présent et notre avenir, mais également notre passé »
- Mohammed Abulehia, fondateur du musée d’al-Qarara
À Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le musée d’al-Qarara a été endommagé à plusieurs reprises par des frappes aériennes israéliennes menées sur les maisons adjacentes.
Mohammed Abulehia, qui a fondé le musée en 2016, affirme que des barils explosifs ont été largués sur le quartier et dans ses environs, endommageant gravement le bâtiment et sa collection.
« Le musée renfermait une collection de plus de 5 000 objets, y compris des antiquités et des pièces qui remontent à la période cananéenne. Je les avais rassemblés et j’avais redoublé d’efforts pour créer le musée afin de protéger et préserver le patrimoine de Gaza », explique-t-il à MEE.
« Les forces d’occupation israéliennes ont largué de lourdes bombes sur une maison très proche du musée. L’explosion massive et la pression atmosphérique [engendrée] ont considérablement affecté le musée, et de nombreux objets ont été détruits ou perdus. »
Mohammed Abulehia, qui n’a pas pu se rendre au musée pour constater les dégâts étant lui-même déplacé, affirme qu’il s’attend à ce que celui-ci soit complètement ou gravement endommagé à son retour.
« Après la première attaque, je suis sûr que de multiples autres attaques ont à nouveau endommagé le musée. Cependant, je ne peux pas m’y rendre pour le moment car j’ai été déplacé à Rafah. »
La situation à Khan Younès et dans la zone où se trouve le musée en particulier est très dangereuse, ajoute-t-il. « Depuis des semaines, [cette zone] fait l’objet d’intenses frappes aériennes et de tirs d’artillerie de la part d’Israël. Personne ne peut y accéder. »
Le fondateur du musée affirme que les dommages causés par la guerre sont immenses, à tous les niveaux de la société gazaouie, tant sur le plan matériel que moral.
« C’est comme s’ils lançaient ces attaques avec l’intention de détruire non seulement notre présent et notre avenir, mais également notre passé. »
Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.
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