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Guerre Israël-Palestine : une brève histoire du christianisme à Gaza

Le christianisme s’est implanté dès sa naissance dans la bande de Gaza, qui abrite certains des sites chrétiens les plus anciens au monde
Une femme prie dans l’église Saint-Porphyre de Gaza en janvier 2023 (AFP/Mahmud Hams)

L’attaque israélienne contre l’église Saint-Porphyre de Gaza, le 19 octobre dernier, a braqué les projecteurs sur la population chrétienne de l’enclave palestinienne assiégée.

Au moins dix-huit personnes ont été tuées dans la frappe contre une annexe des services sociaux située dans le complexe de l’église au cours de la guerre israélo-palestinienne qui a débuté le 7 octobre dernier. Musulmans et chrétiens s’étaient réfugiés entre ses murs dans l’espoir que son importance historique et religieuse lui épargnerait le carnage qui touchait d’autres régions de Gaza.

À la mi-décembre, deux chrétiennes – une mère âgée et sa fille – ont été abattues par un soldat israélien dans le complexe de l’église catholique de la ville de Gaza, a rapporté le Patriarcat latin de Jérusalem.

Lorsqu’un journaliste d’une radio britannique a demandé à la maire adjointe de Jérusalem, Fleur Hassan-Nahoum, pourquoi Israël attaquait des églises à Gaza, celle-ci a répondu : « Il n’y a pas d’églises à Gaza, il n’y a pas de chrétiens à Gaza. »

Or, la bande de Gaza abrite des chrétiens et des églises depuis que la foi y a pris racine il y a plus de 2 000 ans.

Il est d’ailleurs impossible de dissocier l’histoire des chrétiens palestiniens de Gaza de leurs coreligionnaires en Cisjordanie et à Jérusalem-Est occupées ainsi qu’au sein de la communauté palestinienne en Israël, tous issus de la Palestine historique.

La région est le berceau du christianisme et le lieu de nombreux événements cités dans l’Ancien et le Nouveau Testament.

Les chrétiens de Gaza, comme les autres Palestiniens de la région, ne se considèrent pas comme détachés de la nation palestinienne dans son ensemble.

Néanmoins, il existe une histoire chrétienne spécifique à Gaza. Même s’il ne reste qu’un peu plus d’un millier de chrétiens dans la bande côtière, le territoire revêt une importance particulière dans le développement du christianisme.

Des sites historiques de la chrétienté

La région est désignée par son nom dans le Nouveau Testament, au chapitre 8 du récit des Actes des apôtres, qui fait référence au baptême d’un Éthiopien par Philippe l’Évangéliste sur la route entre Jérusalem et Gaza.

« L’ange du Seigneur adressa la parole à Philippe en disant : ‘’Mets-toi en marche en direction du sud, prends la route qui descend de Jérusalem à Gaza ; elle est déserte’ », lit-on dans le verset.

Gaza abrite en outre plusieurs sites chrétiens historiques qui revêtent une importance non seulement au niveau local, mais également pour la communauté chrétienne en général.

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Le site de l’attaque israélienne, l’église Saint-Porphyre, est ainsi l’un des sites religieux les plus importants de Palestine.

L’église Saint-Porphyre, qui doit son nom à un évêque du Ve siècle, est l’un des lieux de culte les plus anciens de la région et l’une des plus anciennes églises au monde.

Elle a été construite en 425 après J-C, puis reconstruite par les croisés au XIIe siècle ; c’est à cette période que remonte une grande partie de la structure actuelle.

Un autre site chrétien de premier plan à Gaza est le monastère de Tell Umm Amer à proximité, lequel est encore plus ancien.

La structure du IVe siècle, aujourd’hui en grande partie en ruines, comprenait autrefois des églises, une salle de baptême, un cimetière et une crypte.

Le monastère servait de lieu de culte pour les personnes qui voyageaient entre l’Égypte et les terres du Levant, notamment la Palestine et la Syrie.

Le site est connu pour être le lieu de naissance de saint Hilarion, un moine palestinien du IVe siècle qui a contribué à la naissance du monachisme (le retrait du monde pour se concentrer sur la vie spirituelle).

La diffusion du christianisme

La présence de ces premières églises et monastères, ainsi que la référence biblique à Gaza, indiquent que le christianisme dans la bande côtière a pris racine en tandem avec le développement de cette religion dans la région.

Toutefois, l’adoption généralisée du christianisme n’a eu lieu qu’à partir du Ve siècle.

Selon la chercheuse Nicole Belayche, la force des cultes païens à Gaza avant le Ve siècle est « incontestable ».

Dans son essai dans le livre Christian Gaza in Late Antiquity, elle écrit que lorsque Porphyre a été ordonné évêque de Gaza, la communauté chrétienne s’élevait à « moins de 300 personnes sur une population estimée entre 20 000 et 25 000 habitants ».

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La conversion généralisée de Gaza au christianisme a commencé au Ve siècle sous les auspices de l’Empire byzantin, successeur de l’Empire romain d’Orient.

« Ce fut un processus difficile, qui a nécessité le recours à l’intervention impériale », écrit Nicole Belayche.

La réticence initiale a été surmontée grâce aux efforts d’hommes saints tels que Porphyre et à l’incorporation de rituels indigènes dans les rites de l’église, explique la spécialiste.

À la fin du VIe siècle, la population avait en grande partie adopté le christianisme, mais une nouvelle religion dominante n’allait pas tarder à apparaître.

Dans son livre History of the City of Gaza, le rabbin américain de la fin du XIXe siècle Martin A. Meyer écrit : « La nouvelle foi avait à peine eu le temps de s’établir que l’islam l’a balayée pour toujours de cette partie du monde. »

Si la déclaration de Meyer est hyperbolique, elle rend néanmoins compte du fait qu’au cours des siècles qui ont suivi la conquête arabe, une grande partie de la population de la région s’est convertie à l’islam.

Une petite minorité chrétienne est toutefois restée dans la région de Gaza ; elle a survécu à travers les siècles et connu une brève expansion sous le règne des croisés au XIIe siècle.

Christianisme moderne

À l’instar de leurs compatriotes palestiniens, de nombreux chrétiens de la région ont été forcés de quitter leurs foyers lors de la création de l’État d’Israël en 1948.

Après ces événements connus sous le nom de « Nakba » (catastrophe), la population chrétienne de Gaza a continué de diminuer au fil des décennies.

Selon le Guardian, Gaza comptait 6 000 chrétiens palestiniens au milieu des années 1960 contre seulement 1 100 aujourd’hui. Depuis le début de la guerre le 7 octobre, ils ne seraient plus que 800.

Des Palestiniennes réagissent au bombardement par Israël de l’église grecque orthodoxe Saint-Porphyre à Gaza (Reuters)
Des Palestiniennes réagissent au bombardement par Israël de l’église grecque orthodoxe Saint-Porphyre à Gaza (Reuters)

La plupart d’entre eux sont de rite orthodoxe grecque, tandis que les Églises baptiste et catholique sont minoritaires.

Depuis le début du blocus israélien de la bande de Gaza en 2007, les chrétiens sont confrontés à des restrictions à leur liberté de mouvement et de circulation similaires à celles imposées à leurs voisins musulmans.

Coupés des communautés chrétiennes plus larges de Cisjordanie et de Jérusalem, les chrétiens de Gaza doivent solliciter un permis auprès des autorités d’occupation israéliennes afin de se rendre dans ces régions lors de célébrations religieuses.

En 2021, Israël a délivré des permis à environ la moitié de la population chrétienne de Gaza pour assister aux offices de Noël.

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Le droit d’assister à des rituels religieux n’est en aucun cas garanti, comme en témoigne entre autres la décision d’Israël d’annuler 700 permis permettant aux chrétiens de Gaza d’assister aux services de Pâques à Jérusalem en avril 2023.

Autre exemple : Israël a rejeté les demandes de permis de 260 Palestiniens de Gaza souhaitant passer Noël en Cisjordanie occupée ou ailleurs l’année dernière.

Bien que peu nombreuses, les églises de Gaza ont régulièrement ouvert leurs portes aux personnes de toutes confessions cherchant refuge en période de conflit, dans l’espoir que les lieux de culte ne seraient pas la cible des frappes israéliennes.

La dernière attaque israélienne contre l’église Saint-Porphyre et d’autres infrastructures civiles abritant des déplacés, comme des écoles et des hôpitaux, a brisé ces espoirs.

Traduit de l’anglais (original).

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