En Israël, les chrétiens ciblés par une extrême droite encouragée par un climat suprémaciste juif
Pierbattista Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem, a été surpris d’apprendre le mois dernier que le pape François allait l’élever au rang de cardinal.
L’archevêque, qui avait récemment mis en garde contre la hausse des agressions israéliennes contre les chrétiens sur les lieux de naissance de la chrétienté, a interprété cela comme « une marque d’attention de la part de l’Église de Rome envers l’Église Mère, l’Église de Jérusalem ».
Cette nomination, la première qui s’étend au patriarche latin de Jérusalem depuis le rétablissement du siège patriarcal en 1847, est perçue comme une réponse claire du pape face à la hausse des violences israéliennes en Terre sainte.
Elle est survenue au lendemain d’un raid militaire israélien de deux jours à Jénine, en Cisjordanie occupée, qui a fait d’amples destructions et tué douze Palestiniens.
« C’est avec beaucoup de chagrin que j’ai appris une fois de plus que le sang avait été versé en Terre sainte », déplorait le pape dans son allocution, qui fut suivie par la nomination de Pizzaballa au rang de cardinal ainsi que celle de 21 autres personnes.
Pizzaballa, qui a autorité sur les églises catholiques à Chypre, en Jordanie, en Israël ainsi qu’en Cisjordanie occupée et à Gaza en sa qualité de patriarche de Jérusalem, n’a pas tardé à se rendre à Jénine une fois que les attaques israéliennes ont cessé, inspectant les dommages causés à l’église latine de la ville lors de l’offensive.
Lors de l’attaque les 3 et 4 juillet, le futur cardinal a dénoncé l’« agression sans précédent » d’Israël et les « actes barbares » commis au passage.
Ceux qui suivent l’actualité de Pizzaballa et du pape François n’ont pas été surpris par cette nomination sans précédent, car le pontife a de nombreuses fois fait référence aux difficultés des minorités chrétiennes au Moyen-Orient ces dernières décennies.
« La nomination du patriarche latin au rang de cardinal est un message fort d’habilitation envoyé à la communauté chrétienne en Israël en ces temps difficiles », estime Wadie Abu Nassar, ancien porte-parole de l’Assemblée des ordinaires catholiques de Terre sainte, à Middle East Eye.
Cet activiste social catholique, qui a récemment cofondé le Forum des chrétiens de Terre sainte pour promouvoir les intérêts chrétiens, affirme que ces derniers temps, on l’interroge souvent sur le même sujet : la détérioration de la situation des chrétiens à Jérusalem et en Israël.
Incitation à la haine et maintien de l’ordre défaillant
Wadie Abu Nassar ne fait pas seulement référence à la situation géopolitique qui se détériore dans les territoires occupés.
Il évoque plutôt la multiplication récente des crimes de haine contre les chrétiens et le harcèlement du clergé, traduction du climat suprémaciste juif en Israël.
On recense notamment des intrusions dans des églises, des crachats sur les fidèles, la destruction de symboles chrétiens et le vandalisme de tombes chrétiennes, entre autres.
Ces actes sont commis principalement par de jeunes ultranationalistes ou des colons, y compris par des soldats de l’armée israélienne.
Et si ces attaques ne sont pas nouvelles, elles se multiplient depuis que le nouveau gouvernement – qualifié de plus à droite de l’histoire du pays – est entré en fonction l’année dernière.
Un gouvernement dont les ministres d’extrême droite sont accusés par ses détracteurs d’attiser les flammes de la violence extrémiste dans leur discours.
Leurs partisans se sentent protégés et encouragés à la fois par les propos de leur politiciens et l’indifférence de la police israélienne, accusée de ne pas enquêter sur la plupart des cas de violences extrémistes, malgré l’existence de photos et d’enregistrements des auteurs.
La police est accusée de ne pas prendre au sérieux ces attaques, de refuser d’y voir une tendance et de minimiser les mobiles des assaillants en assurant qu’elles sont l’œuvre de « malades mentaux ». La police nie les allégations de négligence et affirme prendre au sérieux les signalements d’agression.
Caméras de sécurité
Il y a environ 185 000 chrétiens en Israël et à Jérusalem-Est occupé, représentant un peu moins de 2 % de la population du pays.
Il s’agit en grande majorité de Palestiniens qui vivent à Nazareth et Haïfa, tandis qu’environ 13 000 d’entre eux vivent à Jérusalem.
Les attaques visent surtout celles et ceux qui vivent à Jérusalem mais affectent à la fois les Palestiniens et la petite minorité chrétienne non arabe qui vit dans la ville.
Piotr Zelazko, vicaire du vicariat Saint-Jacques pour la petite communauté de catholiques romains de langue hébraïque, figure parmi ceux qui sont touchés par cette nouvelle tendance.
À Jérusalem, il explique à MEE que sa principale inquiétude, c’est le nouveau discours.
« Ce qui me terrifie le plus, c’est le nouveau langage qui fait son apparition dans le discours public », confie-t-il.
« On sait que c’est un État juif, mais lorsqu’ils parlent de suprématie juive contre les minorités, ils nous laissent de l’autre côté de la barrière. Nous ne vivons pas la même chose que les chrétiens palestiniens – mais nous tombons aussi dans la catégorie de “l’autre”. »
Piotr Zelazko indique que des amis d’une synagogue voisine lui ont conseillé d’engager un agent de sécurité pour la messe du dimanche. Il a refusé, mais l’église garde maintenant la porte fermée pour les retardataires qui entrent par les jardins, par mesure de sécurité.
De même, lorsqu’on traverse la vieille ville de Jérusalem, on ne peut ignorer de nouvelles additions au paysage : les caméras de sécurité sur l’église de la Flagellation, un portail de fer au centre de la société académique franciscaine, des barbelés sur le toit du monastère arménien et d’autres appareils de surveillance électronique.
Relations israélo-chrétiennes
Pierbattista Pizzaballa a averti de la montée des agressions contre les chrétiens il y a plusieurs mois de cela.
Dans une interview avec Associated Press, le futur cardinal indiquait que le gouvernement d’extrême droite avait rendu la vie difficile aux chrétiens, enhardissant les extrémistes qui harcèlent le clergé et vandalisent des biens religieux.
« La fréquence de ces attaques, des agressions, est nouvelle », a déclaré Pizzaballa. « Ces gens ont le sentiment d’être protégés et le climat culturel et politique peut dorénavant justifier, ou tolérer, les actes contre les chrétiens. »
Cette interview a fait les gros titres dans le monde en plusieurs langues, amenant certains à rappeler une assertion du Premier ministre Benyamin Netanyahou, laquelle dépeint un tableau bien différent.
« Il n’y a qu’un seul endroit sûr pour les chrétiens au Moyen-Orient… c’est l’État d’Israël », affirmait Netanyahou en 2018 dans un discours face aux chrétiens sionistes du Brésil.
Ce portrait d’une société qui prend au sérieux la tolérance religieuse est au cœur de l’image publique d’Israël, mais la réalité sur le terrain a toujours été bien différente.
Dans une interview de 2005, Pizzaballa (alors custode de Terre sainte) expliquait qu’Israël ne comprenait pas la sensibilité et l’importance des lieux saints pour les chrétiens.
À l’époque, il y a près de vingt ans, il suggérait qu’une présence internationale pourrait être nécessaire pour protéger les sites chrétiens.
Juste avant Noël 2021, l’actuel custode de Terre sainte, Francesco Patton, a écrit un article dans The Telegraph prévenant que « les chrétiens de Terre sainte [étaient] menacés d’extinction ».
C’était un an avant l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement ; un an avant que les radicaux de 2022 ne soient renforcés par les nouveaux dirigeants d’extrême droite dans les couloirs du pouvoir.
En privé, Pizzaballa confie qu’il est même aujourd’hui difficile de rencontrer de haut-dirigeants israéliens, un problème auquel il n’avait jamais été confronté jusqu’à présent.
L’attitude des responsables israéliens est surprenante, étant donné à quel point Israël a travaillé dur pour établir des relations diplomatiques avec le Vatican en 1993.
Cependant, préserver sa coalition d’ultraorthodoxes et d’extrême droite semble désormais plus important pour Netanyahou, englué dans un procès et dans une crise judiciaire nationale qui empire.
Lors d’une récente visite en Israël, le vice-ministre polonais des Affaires étrangères Pavel Jablonski a abordé le sujet : « La situation des chrétiens à Jérusalem et la préservation du patrimoine religieux et culturel en Terre sainte sont une des priorités de la politique étrangère polonaise. »
Pavel Jablonski a rencontré le patriarche orthodoxe grec de Jérusalem Théophile III et a évoqué avec lui « les défis rencontrés par les communautés chrétiennes et l’éventualité d’une implication accrue de la diplomatie polonaise ».
Deborah Lipstadt, envoyée spéciale américaine pour surveiller et lutter contre l’antisémitisme, a également rencontré les dirigeants de l’Église chrétienne lors de sa visite à Jérusalem au mois de juin.
Elle a été mise au courant de l’environnement de plus en plus hostile pour les chrétiens. À la suite de son rapport, le bureau américain des affaires palestiniennes a publié une déclaration faisant référence à cette rencontre et la nécessité de protéger la diversité religieuse de Jérusalem.
Le ministère israélien de l’Intérieur, via la division des communautés religieuses en charge des non-juifs dans le pays, affirme œuvrer sans relâche pour assurer la liberté de religion et protéger les lieux saints.
« Nous espérons que les incidents violents prendront fin immédiatement », a déclaré le porte-parole du ministère dans un communiqué. Mais l’espoir, dans ce cas précis, n’est assurément pas suffisant.
Judaïsation
Le harcèlement physique et verbal n’est pas l’unique phénomène perturbant.
De nombreux dirigeants chrétiens pensent que ce ne sont que les manifestations d’un plan bien plus vaste visant à judaïser la vieille ville de Jérusalem, les églises étant l’un des nombreux obstacles à éliminer à cette fin.
Un nouveau parc national prévu sur le mont des Oliviers inquiète particulièrement la communauté chrétienne et les Églises locales. S’il se concrétise, ce parc sera érigé sur des terres appartenant à plusieurs Églises, parmi lesquelles le Patriarcat orthodoxe grec, l’Église catholique et le Patriarcat arménien.
Lorsque le projet a été rendu public il y a plus d’un an, sous l’ancien gouvernement, la commission d’urbanisme locale s’était engagée à promouvoir ce projet seulement en coordination avec les Églises. Face aux réactions, le plan a été mis de côté.
Mais alors que le nouveau gouvernement redouble d’efforts pour renforcer le contrôle juif sur Jérusalem-Est occupée, les Églises restent en alerte.
Nicodemus Schnabel, abbé de l’abbaye de la Dormition, est l’un des religieux de Jérusalem les plus francs à propos des tendances anti-chrétiennes.
Dans une interview avec le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, il a dit de but en blanc que les agressions contre les chrétiens augmentaient depuis que « ceux qui haïssent les chrétiens siègent désormais au gouvernement ».
Dans une interview avec America Magazine, il s’est montré plus précis.
« En 2015, je pouvais dire qu’il y a[vait] des terroristes juifs [qui s’attaquaient aux chrétiens et aux lieux saints chrétiens] mais que l’État d’Israël nous soutenait », y déclare-t-il.
« Aujourd’hui, nous, les moines, vivons sous un gouvernement dont l’un des membres est un farouche détracteur des chrétiens. Le ministre de la Sécurité nationale [Itamar Ben-Gvir] a été l’avocat de la défense de terroristes juifs qui ont incendié [une église à] Tabgha… Comment pourrais-je me sentir en sécurité sous ce gouvernement ? »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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