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La cause de la fermeture du Saint-Sépulcre ? L’argent, pas la protection des chrétiens palestiniens

Au cours des dernières années, de nombreuses occasions – plus honorables – se sont présentées pour fermer les principaux sites de pèlerinage chrétiens de la Terre sainte en signe de protestation

C’était une protestation attendue depuis longtemps – et elle a produit des résultats rapides.

Pour la première fois de mémoire d’homme, l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem a fermé brutalement ses portes ce dimanche aux fidèles et aux touristes. Pour justifier la fermeture du site où Jésus aurait été crucifié et enterré avant de ressusciter, les dirigeants ecclésiastiques ont accusé Israël d’avoir lancé une « attaque systématique et sans précédent contre les chrétiens en Terre sainte ». 

Mercredi, l’église a rouvert ses portes après un recul apparent d’Israël, bombardé de mauvaise publicité.

La survie des chrétiens palestiniens

La fermeture de l’église laissait également planer la menace de dégâts économiques. Plus d’un quart des quelque 4 millions de visiteurs qui se rendent chaque année en Israël sont des pèlerins chrétiens. Comme beaucoup d’autres touristes, ils viennent principalement pour suivre les traces de Jésus – et le Saint-Sépulcre figure en haut de leur liste de visites.

Les Églises ont raison d’affirmer que la survie d’une présence chrétienne palestinienne significative en Terre sainte est en jeu. Les chrétiens ne représentent plus que 10 % de l’importante minorité palestinienne en Israël, soit environ 2 % de la population totale d’Israël.

Quelles que soient les apparences sur le plan des relations publiques, le Saint-Sépulcre a été fermé principalement parce que les intérêts commerciaux des Églises étaient en péril

Dans les territoires palestiniens, qui subissent une occupation israélienne belliqueuse, le nombre de chrétiens a également chuté.

Pourtant, quelle que soit la gravité du problème, la déclaration commune des dirigeants catholiques romains, grecs orthodoxes et apostoliques arméniens ne s’est intéressée que de manière approximative au sort de cette communauté locale de croyants. La protestation visait en réalité à protéger les profits des Églises issus de transactions immobilières et d’investissement.

Le pouvoir des chrétiens évangéliques

Les chrétiens en Terre sainte sont majoritairement palestiniens, tandis que les Églises qui parlent en leur nom sont majoritairement étrangères. Le patriarcat grec orthodoxe et le Vatican sont de vastes entreprises qui sont tout aussi préoccupées par leur viabilité commerciale et leur influence sur la scène mondiale que par les besoins spirituels d’un groupe spécifique.

Et ce fait n’est nulle part plus manifeste et révélateur que dans le berceau de la foi chrétienne, aujourd’hui divisé entre Israël et les fragments d’un État palestinien embryonnaire.

Des fidèles chrétiens prient à l’intérieur de l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem après sa réouverture, le 28 février 2018 (AFP)

Au Moyen-Orient, les Églises doivent depuis longtemps se frayer un chemin à travers un jeu politique complexe avec Israël, le principal décideur de la région en raison de sa puissance, et son patron à Washington.

Cette tâche est devenue de plus en plus colossale au cours des dernières années, alors que l’Église chrétienne évangélique a étendu son influence jusqu’à dominer l’échiquier politique aux États-Unis. La plupart des chrétiens évangéliques américains s’intéressent bien plus à des prophéties liées à la « fin des temps » qui exigent un soutien irréfléchi en faveur d’Israël et des colonies juives illégales qu’à l’idée de préserver une tradition chrétienne locale vieille de deux millénaires.

La montée en puissance des évangéliques a été illustrée par la victoire électorale de Donald Trump fin 2016 et par sa décision récente de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem, qui a mis fin aux espoirs déjà fragiles d’une solution à deux États.

L’exode chrétien

Ces tendances accélèrent simplement un processus de longue date dans lequel les chrétiens palestiniens, que ce soit en Israël ou sous occupation, fuient la Terre sainte.

Confinés dans des ghettos surpeuplés par Israël, privés d’opportunités économiques et sociales et victimes, comme les autres Palestiniens, de forces de sécurité israéliennes à la gâchette facile, nombreux sont ceux qui se sont servis de réseaux étrangers de chrétiens pour reconstruire leur vie en Europe ou en Amérique du Nord.

Cependant, ce n’est pas cet exode prolongé qui a incité les Églises à fermer les portes du Saint-Sépulcre, de la basilique de l’Annonciation à Nazareth ou de l’église de la Nativité à Bethléem.

L’approche de longue date employée par Israël consiste à intimider les Églises par tous les moyens possibles

Aucun gardien catholique ni aucun patriarche grec n’a osé prendre une position aussi ferme et décisive en solidarité avec les « pierres vivantes » de la Terre sainte : les chrétiens de Palestine.

Quelles que soient les apparences sur le plan des relations publiques, le Saint-Sépulcre a été fermé principalement parce que les intérêts commerciaux des Églises étaient en péril.

C’est pourquoi Aleef Sabbagh, membre palestinien du Conseil central orthodoxe qui essaye depuis plusieurs mois d’évincer le chef suprême grec orthodoxe, le patriarche Théophile III, a qualifié la protestation de « simulacre ».

Il a noté que les chrétiens locaux demandaient depuis longtemps la fermeture du Saint-Sépulcre pour protester contre les politiques israéliennes, mais que ces demandes avaient toujours été rejetées par les dirigeants ecclésiastiques. 

L’église n’a pas fermé au cours de la seconde Intifada, quand les Palestiniens étaient tués massivement, ni pendant les attaques répétées d’Israël contre Gaza.

Des intérêts commerciaux ?

Si les dirigeants des Églises ont dénoncé avec colère dans leur déclaration la rupture avec le « statu quo » opérée par Israël, il était question d’un statu quo financier – qu’ils ont décrit comme leurs « droits et privilèges » – qui a principalement profité aux ecclésiastiques d’Italie et de Grèce.

Au cœur de la confrontation avec Israël se trouvaient deux questions qui ont révolté les dirigeants ecclésiastiques.

Une de ces questions concernait la décision prise récemment par le maire de Jérusalem, Nir Barkat, de mettre fin à l’exemption de taxes municipales dont les Églises jouissaient depuis longtemps pour leurs propriétés. Compte tenu des possessions foncières considérables des Églises, la municipalité de Jérusalem espérait collecter plus de 180 millions de dollars de taxes rétroactives

Un Palestinien tient une croix lors d’une manifestation devant la porte fermée de l’église du Saint-Sépulcre, dans la vieille ville de Jérusalem, le 27 février (AFP)

L’autre préoccupation concernait la législation draconienne rédigée par le gouvernement israélien dans le but de saisir des propriétés que les Églises – principalement le patriarche grec orthodoxe – louaient à prix bradé à des promoteurs israéliens privés et à des groupes de colons.

Les Églises « pressées » financièrement

Malgré son recul ostensible survenu cette semaine, Israël n’a en réalité abandonné aucune de ces politiques. D’après les médias israéliens, elles ont été « reportées ». L’histoire tend à faire croire que les autorités israéliennes vont simplement attendre une meilleure opportunité ou trouver une voie différente pour parvenir à la même destination.

L’approche de longue date employée par Israël consiste à intimider les Églises par tous les moyens possibles. À différents moments, Israël a gelé les visas de travail du clergé et refusé ou retardé l’approbation des nominations de hauts responsables, y compris celle du patriarche grec orthodoxe en personne.

Israël fait régulièrement obstruction aux permis d’urbanisme relatifs à des propriétés des Églises. Dans le même temps, des groupes d’extrême droite proches de la coalition gouvernementale menacent le clergé dans les rues et vandalisent les propriétés des Églises à la faveur de la nuit.

En réalité, les Églises ont été traitées avec ménagement par Israël comparé au traitement réservé aux musulmans palestiniens et à leurs institutions religieuses depuis 1948

Les derniers efforts en date déployés pour « presser » financièrement les Églises visaient à intensifier l’intimidation en nourrissant leurs dettes, pour affaiblir davantage leur position. Cela aurait été une mauvaise nouvelle pour les Palestiniens, puisque cela aurait assujetti encore plus les Églises dans leurs relations avec Israël.

Cela aurait également risqué d’alimenter la vente de davantage de terres appartenant aux Églises – en Israël – pour rembourser les dettes existantes et éviter d’en contracter de nouvelles. Les Palestiniens vivant sur ces terres, en particulier à Jérusalem, auraient alors été à la merci d’Israël.

Atallah Hanna, le seul archevêque palestinien du patriarcat grec orthodoxe, a averti à juste titre que l’objectif de longue date d’Israël était de « vider » Jérusalem de sa population palestinienne. 

Une boîte de Pandore

Néanmoins, les dirigeants chrétiens étrangers sont au moins partiellement responsables d’avoir ouvert une boîte de Pandore au sujet des questions foncières à Jérusalem et ailleurs.

Ils ont traité leurs possessions considérables, en grande partie des terres et des propriétés qui leur ont été confiées par des chrétiens palestiniens et des pèlerins de l’étranger, comme des jetons dans une partie de poker immobilier. Israël est en quête d’une occasion de renchérir.

Le gouvernement israélien s’est montré enthousiaste au sujet des expulsions de chrétiens palestiniens, mais a tracé une ligne rouge épaisse pour empêcher l’expulsion de juifs

L’exonération fiscale découlait du statut caritatif de la mission spirituelle des Églises et de leur travail de proximité auprès des communautés palestiniennes, notamment la fourniture d’écoles et d’hôpitaux.

Toutefois, les Églises ont de plus en plus revu leurs œuvres caritatives à la baisse et se sont diversifiées dans d’autres entreprises plus clairement commerciales, telles que des boutiques, des bureaux et des restaurants. Les auberges de pèlerins ont été réaménagées en hôtels luxueux et rentables.

Une partie de l’argent a ensuite été détournée vers les patries mères au lieu d’être réinvestie dans le renforcement des communautés palestiniennes locales. Pendant ce temps, l’Église grecque orthodoxe a tiré profit de ses propriétés à Jérusalem, en Israël et en Cisjordanie, en vendant pour ces terres des baux à long terme et, dans certains cas, les titres de propriété, à des promoteurs privés israéliens et à des organisations de colons.

Le patriarche grec orthodoxe de Jérusalem Théophile III (au centre) à l’église du Saint-Sépulcre, dans la vieille ville de Jérusalem (AFP)

Selon le Conseil central orthodoxe, les transactions immobilières de la dernière décennie ont peut-être rapporté plus de 100 millions de dollars au patriarcat grec. La plupart des chrétiens locaux se demandent où tout cet argent est allé. Leurs communautés n’en ont certainement pas vu la couleur.

Israël soutenait pleinement les transactions lorsque les Églises vendaient des terres sur lesquelles vivaient des familles palestiniennes. La sale besogne des expulsions était remplie par les colons plutôt que par les Églises.

Mais alors, les Églises sont devenues encore plus gourmandes. Ces dernières ont commencé à vendre de futurs baux sur des terres à Jérusalem-Ouest qui abritaient des juifs israéliens depuis les années 1950. Les investisseurs se préparent désormais à chasser également ces juifs de chez eux, afin que les principaux emplacements immobiliers puissent être réaménagés de manière à être plus rentables. 

Le gouvernement israélien s’est montré enthousiaste au sujet des expulsions de chrétiens palestiniens, mais a tracé une ligne rouge épaisse pour empêcher l’expulsion de juifs. Cela a donné à la nouvelle législation l’élan pour laisser Israël saisir les terres et les propriétés louées par les Églises.

Le projet de loi a peut-être été mis de côté temporairement, mais celui-ci ou un projet de loi similaire refera surface parce que le problème abordé n’a pas disparu.

Les musulmans trahis

Dans leur déclaration de protestation, les Églises ont non seulement ignoré leurs années de collusion irréfléchie avec Israël contre les chrétiens palestiniens, mais elles ont aussi trahi toute solidarité qui pouvait subsister avec les musulmans palestiniens.

Les Églises ont laissé entendre que les chrétiens avaient été visés par des attaques provenant de ce qu’elles ont décrit comme des politiques « sans précédent » d’Israël ciblant leurs intérêts financiers.  « Cela nous rappelle toutes les lois de même nature qui ont été adoptées contre les juifs durant les périodes sombres en Europe », ont-ils ajouté.

En réalité, les Églises ont été traitées avec ménagement par Israël comparé au traitement réservé aux musulmans palestiniens et à leurs institutions religieuses depuis 1948.

Si les terres chrétiennes en dotation sont peut-être menacées aujourd’hui, presque toutes les propriétés relevant d’une fiducie similaire mais dédiée aux musulmans – le Waqf – ont été saisies par Israël à la naissance de l’État juif. Les communautés musulmanes ont perdu ces terres et propriétés – dans les faits, leur filet de protection sociale – il y a 70 ans.

Le fait est que les chrétiens palestiniens ont été abandonnés depuis longtemps par leurs Églises, qui ont préféré éviter un affrontement sérieux avec Israël qui aurait nui à leurs intérêts à plus grande échelle.

À LIRE : Comment l’emprise israélienne sur Jérusalem a détruit ses sites les plus sacrés

Cela a laissé à Israël le champ relativement libre pour agir contre les communautés palestiniennes. Plus récemment, Israël a mené une guerre d’usure financière acharnée contre les écoles et hôpitaux fondés par l’Église chrétienne – deux ressources clés pour les communautés palestiniennes – en Israël et à Jérusalem-Est occupée. Cette offensive a tout juste été remarquée par les dirigeants ecclésiastiques.

Conscient de son avantage, Israël a cherché à accroître la dépendance des chrétiens palestiniens d’Israël vis-à-vis de l’État plutôt que des Églises, dans le but de les pousser progressivement à devenir des sionistes chrétiens à l’américaine.

L’État a ajouté une classification à la nationalité israélienne – « araméenne » – pour remplacer la nationalité « arabe » plus inclusive qui existait pour les Palestiniens tant chrétiens que musulmans. La culture d’un nationalisme chrétien extrémiste est destinée à semer des tensions avec les musulmans palestiniens.

Dans le même temps, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a lancé une campagne pour faire pression sur les chrétiens palestiniens afin qu’ils servent dans l’armée israélienne, avec l’intention d’affaiblir un nationalisme palestinien unificateur et d’opposer physiquement les chrétiens palestiniens aux musulmans palestiniens.

Refermer les portes

Ces mesures ont jusqu’à présent été vigoureusement combattues par la plupart des chrétiens palestiniens, mais ce n’est pas grâce au Vatican ou au patriarcat grec.

Ces dirigeants étrangers sont coupables en raison de leur négligence désinvolte vis-à-vis de la cause palestinienne, de leurs politiques de la terre brûlée à l’encontre des chrétiens locaux, mais aussi de leur plaidoyer intéressé.

Au cours de la dernière décennie, de nombreuses occasions – plus honorables – se sont présentées pour fermer les principaux sites de pèlerinage chrétiens de la Terre sainte en signe de protestation.

La cause n’aurait pas dû être de protéger des intérêts commerciaux, mais de concentrer l’attention des chrétiens du monde entier sur la destruction progressive des communautés palestiniennes indigènes, chrétiennes comme musulmanes.

Les Églises ont pu constater l’efficacité de la fermeture du Saint-Sépulcre. Il est temps de refermer les portes de l’Église – mais cette fois, pour les bonnes raisons.

- Jonathan Cook est un journaliste anglais basé à Nazareth depuis 2001. Il a écrit trois ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et remporté le prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Vous pouvez consulter son site web et son blog à l’adresse suivante : www.jonathan-cook.net

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des chrétiens assistent à la messe précédant Pâques à l’église du Saint-Sépulcre, dans la vieille ville de Jérusalem, en avril 2014 (Anadolu).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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