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Guerre à Gaza : les femmes palestiniennes peinent à trouver des produits d’hygiène

À Gaza, alors que les femmes ont recours à des solutions de fortune pour répondre à leurs besoins, les experts s’inquiètent des effets à long terme des mauvaises conditions d’hygiène et du manque de produits menstruels
Une femme chassée de sa maison par les frappes aériennes israéliennes se réfugie dans un centre des Nations unies à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza (Reuters)
Par Nadda Osman à LONDRES et Lubna Masarwa à JÉRUSALEM

Dans la bande de Gaza, en pleine campagne de bombardements israéliens et sur fond de siège total, les produits de première nécessité sont devenus un luxe, surtout pour les femmes, qui peinent à trouver des produits d’hygiène féminine et de santé.

Alors que les rayons des supermarchés et les pharmacies ont été vidés de leurs produits et que les femmes n’ont plus accès à l’eau courante depuis qu’Israël a lancé une guerre contre Gaza, elles sont à court d’options.

Les bombardements israéliens incessants sur l’enclave assiégée ont contraint les femmes à prendre des mesures désespérées en matière de santé, même si ces moyens peuvent être insalubres et avoir des effets néfastes à long terme.

L’une des principales préoccupations des femmes est de trouver des produits de menstruation et des serviettes hygiéniques pour leur usage quotidien.

Hind Khoudary, correspondante de Middle East Eye à Gaza, explique que le fait d’être sans domicile depuis le début de la guerre a exacerbé les problèmes de santé pour elle et d’autres femmes.

« Mes dernières règles ont été les pires, parce que je suis sans domicile, que je vis avec ce que j’ai dans mon sac à dos, et qu’il n’y a pas d’accès à des toilettes ou à quoi que ce soit d’autre », confie-t-elle.

« Tous les produits que l’on trouve aujourd’hui sont de mauvaise qualité, ils peuvent provoquer des irritations et peuvent être nocifs pour la santé... cela me rend stressée à l’idée de mes prochaines règles. »

La journaliste affirme que la situation est devenue cauchemardesque pour les femmes et est source d’une grande anxiété.

« Lorsque la guerre a éclaté, la première chose à laquelle j’ai pensé, avant même la nourriture, a été de faire des réserves de serviettes hygiéniques »

- Une femme à Gaza

« Nous toutes, les femmes, souffrons et parlons de la même chose. Certaines de mes amies disent qu’il faut porter deux sous-vêtements l’un sur l’autre, d’autres disent qu’il faut envelopper ses sous-vêtements avec du papier mouchoir... Je n’aurais jamais pensé me retrouver un jour dans une telle situation », ajoute-t-elle.

Une autre Gazaouie, qui a demandé à ne pas être identifiée, raconte à MEE que les femmes marchent plusieurs kilomètres pour tenter de mettre la main sur des serviettes hygiéniques, mais que souvent elles les trouvent en rupture de stock.

« Lorsque la guerre a éclaté, la première chose à laquelle j’ai pensé, avant même la nourriture, a été de faire des réserves de serviettes hygiéniques », témoigne-t-elle.

« Ce qui aggrave la situation, c’est le manque d’eau et de gaz de cuisine en ce moment. Nous en sommes réduits à laisser des bouteilles d’eau au soleil pendant quelques heures pour réchauffer l’eau et l’utiliser pour se laver ».

Étant donné que l’eau est rapidement devenue une denrée rare et que de nombreuses personnes se plaignent de déshydratation, les douches sont également rationnées.

Les pilules pour retarder les règles

Le bombardement d’immeubles résidentiels, d’hôpitaux, de lieux de culte et d’écoles signifie également que 1,9 million de personnes, soit près de 85 % de la population totale de Gaza, ont été déplacées depuis le 7 octobre, forçant les gens à trouver refuge parmi d’autres dans des zones à ciel ouvert.

Selon l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), près de 1,4 million de déplacés sont hébergés dans 155 infrastructures de l’agence, dont des écoles, qui ont dépassé leur capacité d’accueil.

Une femme assise sur les décombres humides d’un bâtiment touché par une frappe aérienne, après des pluies torrentielles à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 15 novembre 2023 (AFP)
Une femme assise sur les décombres humides d’un bâtiment touché par une frappe aérienne, après des pluies torrentielles à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 15 novembre 2023 (AFP)

Fin novembre, l’UNRWA a également indiqué qu’en moyenne, 160 personnes réfugiées dans ses écoles partageaient une seule toilette, et qu’il y avait une douche pour 700 personnes.

Le manque d’intimité, associé au fait que les réservoirs d’eau sont spécifiquement visés par les frappes aériennes israéliennes, n’a laissé que peu de choix aux femmes.

« Certaines femmes prennent des pilules pour éviter d’avoir leurs règles, en raison de la pénurie de serviettes hygiéniques et du manque d’eau pour se laver et se désinfecter », a publié une habitante de Gaza sur X. « La probabilité qu’une fille trouve un endroit sûr avec de l’eau pour se laver est inexistante. »

« Si des produits n’arrivent pas rapidement à Gaza, des femmes perdront la vie à cause des infections causées par le manque d’hygiène »

- Hajar Darwish, experte en santé des femmes

Les pilules, comprimés de noréthistérone, sont généralement prescrites pour des problèmes médicaux tels que des saignements menstruels importants, l’endométriose et des règles douloureuses.

Certaines femmes musulmanes peuvent également se les voir prescrire par un médecin lorsqu’elles partent accomplir le pèlerinage de la oumra à La Mecque, afin de retarder leurs règles et de leur permettre de prier.

Ces pilules augmentent les niveaux d’hormones et retardent les saignements menstruels, mais elles peuvent avoir des effets secondaires, surtout si elles sont prises à long terme. Il peut s’agir de nausées, de vomissements et de sautes d’humeur, parmi d’autres symptômes.

La population sur place explique cependant à MEE que les pilules sont désormais elles aussi en pénurie.

Trouver des solutions à leurs besoins, tout en peinant à trouver de quoi se nourrir, est source de souffrances pour les femmes de Gaza, notamment de stress accru, ce qui a des répercussions sur leur santé et leur bien-être.

Pas d’intimité, charge mentale

Hajar Darwish, experte en santé des femmes basée à Londres, explique que le fait de se trouver en zone de guerre soumet tout le monde, et en particulier les femmes, à un stress physique et mental extrême.

« Les gens doivent faire face à la mort et aux déplacements constants tout en se préoccupant de leur survie. En zone de guerre, les femmes continueront d’avoir leurs règles, de devoir utiliser les toilettes, changer leurs sous-vêtements, de tomber enceintes et de devoir accoucher mais, comme les hôpitaux et les habitations sont bombardés, il n’y a plus aucun endroit salubre », explique-t-elle à MEE.

D’après la spécialiste, le fait de ne pas pratiquer une hygiène convenable en raison de la coupure de l’approvisionnement en eau par Israël fait peser une « charge excessive » sur les femmes et a un impact significatif sur leur santé mentale.

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« Ma plus grande inquiétude concerne les filles qui ont leurs règles pour la première fois et qui ne parviennent pas à trouver des produits ou des personnes capables de les aider, si bien qu’elles risquent d’utiliser des chiffons, de déchirer des morceaux de leurs vêtements. Et malheureusement, avec la poussière, la saleté et les débris, ce n’est pas hygiénique, cela peut être dangereux, voire toxique, et provoquer des maladies et des infections », précise-t-elle.

Tandis que les médecins à Gaza sont incapables de se procurer des médicaments essentiels et que les chirurgiens doivent effectuer des opérations sans aucune forme d’anesthésie, les soins aux femmes ont été particulièrement négligés.

Un environnement insalubre peut entraîner des problèmes tels que des infections urinaires et la propagation de maladies.

« Pour certaines femmes, le stress extrême peut entraîner l’arrêt des règles, tandis que pour d’autres, elles deviennent plus abondantes », explique Hajaz Darwish, ajoutant qu’il s’agit d’une expérience traumatisante pour les femmes.

Des inquiétudes ont également été exprimées quant à la santé des femmes au cours des mois d’hiver, alors que les températures ont baissé à Gaza.

« Les températures ont commencé à baisser et la douleur des menstruations est déjà assez difficile quand il fait chaud à la maison, alors imaginez la torture à Gaza en plus du fait que les femmes ne peuvent pas se procurer de serviettes hygiéniques... Ce qui se passe à Gaza est terrible », a publié une internaute sur X.

Les soins post-partum négligés

Selon Hajar Darwish, une autre grande préoccupation à Gaza concerne les femmes qui viennent d’accoucher et qui n’ont pas accès à des soins spécifiques.

« Les femmes seront exposées à des saignements abondants et auront besoin de vêtements supplémentaires, de produits menstruels et de médicaments antidouleur. Sans quoi, cela risque d’être extrêmement handicapant pour le bien-être mental et physique, c’est un calvaire », déplore-t-elle.

Des produits comme les couches pour bébés sont également introuvables en supermarché et en pharmacie, ce qui empêche les parents de bien prendre soin de leurs nouveau-nés.

Une Palestinienne et ses enfants assis dans une tente de l’ONU accueillant des personnes déplacées à Khan Younès (Reuters)
Une Palestinienne et ses enfants dans une tente de l’ONU accueillant des personnes déplacées à Khan Younès (Reuters)

Hajar Darwish appelle les féministes et les organisations qui défendent les droits des femmes à dénoncer la situation dans laquelle se trouvent les Palestiniennes à Gaza.

« Si des produits n’arrivent pas rapidement à Gaza, des femmes perdront la vie à cause d’infections causées par le manque d’hygiène », affirme-t-elle.

« Les féministes et les associations pour les femmes qui sont restées silencieuses doivent dénoncer et apporter leur soutien, quelle que soit leur opinion [sur le conflit], elles doivent défendre les femmes en Palestine. »

Alors que toutes les boulangeries de Gaza sont désormais hors service après avoir été bombardées et que les rayons des supermarchés sont vides, les experts craignent également que les femmes aient du mal à mener des grossesses saines en raison d’une mauvaise alimentation.

« Les femmes à Gaza seront préoccupées par leur futur bébé, par sa croissance, et par le stress et l’anxiété », conclut Hajar Darwish.

Traduit de l’anglais (original publié le 16 novembre 2023) par Imène Guiza et actualisé.

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