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« Tout semblait irréel » : dans la bande de Gaza en guerre, les Palestiniennes accouchent à domicile

Sans électricité ni équipement médical, une infirmière palestinienne accouche sa sœur sous le bruit des intenses bombardements israéliens
Une Palestinienne tient ses jumelles qui viennent de naître à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 2 novembre (Reuters)
Par Maha Hussaini à GAZA, Palestine occupée

À l’aide de ciseaux à papier, de pinces à linge en plastique et de la faible lumière de téléphones portables, Nour Moeyn a coupé le cordon ombilical de sa nièce à peine née.

Sous les intenses bombardements israéliens, sans équipement ni électricité, la jeune infirmière de 25 ans a accouché sa sœur au son des frappes aériennes et d’artillerie.

L’hôpital le plus proche d’elles dans la bande de Gaza était ouvert. Mais la famille ne pouvait tout simplement pas courir le risque de quitter la maison au milieu de la nuit et de marcher jusqu’à l’hôpital alors que les quartiers autour d’eux étaient attaqués.

Les hôpitaux et ambulances de Gaza sont par ailleurs submergés par le nombre de Palestiniens tués ou blessés par les attaques israéliennes. La sœur de Nour, Aya, n’avait d’autre choix que d’accoucher chez elle, où elle avait été déplacée au début de la guerre.

« Vers une heure du matin, les contractions d’Aya ont commencé. Elles étaient très fortes alors elle avait du mal à les supporter. En l’espace d’une demi-heure, la tête du bébé a commencé à apparaître et on a dû agir immédiatement », raconte à Middle East Eye Nada Nabeel (31 ans), la belle-sœur d’Aya.

« Bien sûr, il ne nous est pas venu à l’esprit d’aller à l’hôpital car cela aurait été une condamnation à mort pour Aya, le bébé, et quiconque l’aurait accompagnée. Les bombardements étaient intenses et on pouvait entendre les chars israéliens avancer dans les environs. »

« Les bruits des bombardements étaient assourdissants, se mêlant aux cris d’Aya qui peinait à accoucher et aux voix de ses proches et des autres déplacés en train de prier »

- Nada Nabeel, belle-sœur d’Aya

Bien que l’infirmière eût déjà aidé les médecins lors d’accouchements et de césariennes par le passé, elle ne l’avait jamais fait toute seule. « Mais elle a décidé de le faire, sinon sa sœur et le bébé seraient morts », poursuit Nada Nabeel.

L’un des principaux problèmes quand on fait cette procédure à domicile la nuit est le manque d’électricité.

Peu après l’attaque menée par le Hamas contre des localités israéliennes proches de Gaza le 7 octobre, Israël a coupé tout approvisionnement en électricité et en carburant dans l’enclave. Depuis, les Palestiniens dépendent des bougies, des LED alimentées par des batteries et des panneaux solaires.

Toutefois, la maison de la famille d’Aya n’avait rien de ce genre.

« Pendant la guerre, on a pris l’habitude de s’assoir dans le noir, parfois avec une petite bougie ou une lumière LED. Mais cette fois, on ne pouvait pas compter sur les bougies, et même si les batteries de nos téléphones étaient presque vides, tout le monde a allumé les lampes des portables pour aider Nour à y voir convenablement », témoigne Nada Nabeel.

Aya, son mari et leurs deux enfants ont quitté leur logement dans la rue al-Rimal située dans le centre-ville de Gaza au cours de la première semaine de guerre et ont trouvé refuge dans la maison de sa famille dans le quartier d’al-Sahaba à l’est.

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Elle est composée de plusieurs étages et appartements, donc l’ensemble de la famille élargie a pu être accueilli.

En période de guerres, les familles de Gaza ont tendance à se rassembler au même endroit, cherchant protection et réconfort. Il y a un désir commun de vivre ensemble ou de mourir ensemble.

Selon Nada Nabeel, la naissance de la plus jeune membre de la famille a ressemblé à une scène tirée d’un film, « hors de la réalité ».

« Les femmes dirigeaient leurs lampes vers Aya et les hommes à l’extérieur priaient pour sa sécurité. Tout le monde dans le bâtiment, tous les déplacés de tous les appartements, étaient réveillés et répétaient “ya rab, ya rab” [Ô Dieu, en arabe] », témoigne-t-elle.

« Les bruits des bombardements étaient assourdissants, se mêlant aux cris d’Aya qui peinait à accoucher et aux voix de ses proches et des autres déplacés en train de prier et de lui dire de rester forte et de s’accrocher. Tout semblait irréel. Peu importent les détails que je peux donner, personne ne pourrait se représenter la scène. »

Aucun équipement médical

L’armée israélienne a détruit 52 centres médicaux et 56 ambulances dans la bande de Gaza, selon le ministère palestinien de la Santé, et a tué au moins 283 soignants. Plus de 18 600 Palestiniens ont été tués jusqu’à présent, en grande majorité des civils.

La famille d’Aya ne s’attendait pas à ce qu’elle accouche si vite, alors aucun plan d’urgence n’avait été convenu. En l’absence de matériel médical, ils ont dû se contenter d’utiliser ce qui se trouvait à la maison.

« L’heure tournait et nous craignions pour la vie du bébé car Nour et Aya avaient du mal à la sortir. Les prières s’élevaient et je tenais mon téléphone avec la lampe en lisant le Coran et en pleurant », poursuit Nada Nabeel.

« Quelques minutes plus tard, le bébé est finalement né et une fois qu’elle est sortie, tout le monde a fondu en larmes. C’était un soulagement pour nous tous. Nour a serré Aya dans ses bras et l’a embrassée sur le front, et les déplacés se réjouissaient et remerciaient Dieu. »

Une femme enceinte de 8 mois à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 10 novembre (AFP)
Une femme enceinte de 8 mois à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 10 novembre (AFP)

Nada indique qu’elles ont réussi à se débrouiller avec des ciseaux à papier stérilisés et des pinces à linge mais qu’il n’y avait rien pour l’expulsion du placenta.

« Nour a dû procéder aux soins postnataux à mains nues, procédant à la révision utérine d’Aya et extrayant le placenta manuellement. Heureusement, elle n’a pas eu à pratiquer une épisiotomie lors de l’accouchement, donc elle n’a pas eu à la recoudre », ajoute-t-elle.

« Le lendemain matin, elles sont allées au centre [médical] al-Sahaba pour vérifier l’état de santé de la mère et de l’enfant et, Dieu merci, elles allaient parfaitement bien. »

Selon le docteur Adan Radi, gynécologue-obstétricien à l’hôpital al-Awda dans le nord de la bande de Gaza, il y a environ 55 000 femmes enceintes à Gaza qui ont besoin de soins réguliers.

« On a prénommé le bébé Massa [‘’diamant’’ en arabe] en raison des conditions dans lesquelles elle est née, mais aussi parce qu’elle est précieuse et obstinée », explique Nada Nabeel.

« Elle a insisté pour venir au monde dans ces circonstances. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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