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« J’ai cru que j’étais dans une tombe » : à Gaza, un père de famille raconte son expérience sous les décombres

À la suite d’une frappe aérienne, Waheed Mousa et sa famille ont vu leur immeuble leur tomber littéralement dessus. Sortis des décombres par les secours, ils racontent le traumatisme de se retrouver ensevelis
Des Palestiniens sauvent une jeune fille blessée dans les décombres d’un bâtiment détruit à la suite d’une frappe aérienne israélienne dans le camp de réfugiés de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 7 novembre 2023 (AP)
Des Palestiniens sauvent une jeune fille blessée dans les décombres d’un bâtiment détruit à la suite d’une frappe aérienne israélienne dans le camp de réfugiés de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 7 novembre 2023 (AP)
Par Aseel Mousa à GAZA, Palestine occupée

En un clin d’œil, la lumière matinale qui baignait les pièces de la maison de Waheed Mousa, 55 ans, a été asphyxiée sous une montagne de décombres. Et Waheed, sa femme et son fils se sont retrouvés ensevelis.

« Je me suis réveillé terrifié. J’ai trouvé plus des deux tiers de mon corps enfouis sous les décombres. J’ai cru que notre maison avait été prise pour cible. Pendant un moment, j’ai cru que j’étais dans une tombe », raconte-t-il à Middle East Eye.

En réalité, c’est la maison voisine qui a été touchée par une frappe aérienne israélienne. Mais la puissante réplique causée par le bombardement a provoqué d’importantes destructions dans ce bâtiment résidentiel du camp de réfugiés d’al-Maghazi, qui compte 36 habitants, dont la famille de Waheed, en plus de 35 personnes déplacées.

« J’étais terrifiée, jusqu’à ce que j’entende la voix de mon plus jeune fils, Ahmed, 13 ans, qui criait : ‘’Maman, j’étouffe’’ »

- Reem, épouse de Waheed

Waheed, directeur de laboratoire, espérait que sa maison – située dans une zone du centre de la bande de Gaza classée comme « sûre » par l’armée israélienne – serait épargnée par la brutale campagne de bombardements qui a rasé des quartiers entiers et tué plus de 11 500 personnes dont plus de 4 700 enfants depuis le 7 octobre.

« La première chose à laquelle j’ai pensé, c’est ma femme et mes enfants. J’étais terrifié à l’idée de les perdre, jusqu’à ce que j’entende la voix de ma femme, Reem, m’appeler d’une voix douloureuse. À ce moment-là, j’avais bon espoir qu’elle soit toujours en vie », témoigne-t-il.

Reem ne trouve pas les mots pour décrire ce qu’elle a ressenti lorsqu’elle s’est retrouvée enterrée sous les décombres.

« J’étais terrifiée, jusqu’à ce que j’entende la voix de mon plus jeune fils, Ahmed, 13 ans, qui criait : ‘’Maman, j’étouffe’’ », raconte-t-elle.

Obscurité totale

Reem était en train d’envoyer des SMS à sa sœur pour s’assurer que tout allait bien, quand tout à coup, « tout est devenu noir, cendres et destruction ».

« C’était comme un cauchemar », se souvient-elle.

Reem, dont le corps entier était coincé sous les pierres et le sable, à l’exception de sa tête, n’a pas pu bouger lorsqu’elle a essayé de se libérer en entendant son plus jeune fils crier.

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À ce moment-là, explique Waheed, la famille a perdu connaissance pour basculer dans l’obscurité totale.

« Autour de nous, c’était le noir absolu. Nous ne pouvions rien voir, juste des voix gémissant de douleur et des enfants qui pleuraient », rapporte-t-il.

« Je pensais que j’allais rester sous les décombres et que personne ne pourrait me secourir. L’immeuble dans lequel nous habitions faisait quatre étages, comme je pensais qu’il avait été bombardé et rasé jusqu’au sol, je ne voyais pas comment les secours allaient pouvoir nous sauver. »

« J’étais terrifié à l’idée de perdre tous les membres de ma famille, comme c’est arrivé à de nombreuses personnes à Gaza. J’ai commencé à penser que je ne pourrais pas vivre seul. »

Mais quelques minutes plus tard, des voisins sont venus sauver Waheed et sa famille des décombres. Waheed raconte que lorsqu’il a entendu la voix de son fils aîné, Mohammed, l’appeler, il s’est senti un peu en sécurité.

« Impossible à oublier »

Les hommes ont commencé à retirer le sable et les débris qui recouvraient les corps de Waheed, Reem et Ahmed, qui dormaient dans la pièce la plus endommagée.

Tous trois présentent de profondes blessures sur tout le corps. Waheed a des fractures sur le côté droit du dos et à la colonne vertébrale.

« J’ai demandé à Mohammed [le fils aîné] : ‘’Comment vont vos sœurs ? Où sont-elles ?’’. Il m’a répondu : ‘’Elles vont bien’’ », se souvient Waheed. « Je ne l’ai pas cru jusqu’à ce que je les voie de mes propres yeux après avoir quitté l’hôpital. »

« J’ai allumé la lampe de mon téléphone et j’ai trouvé mes mains couvertes de sang »

- Walaa, 22 ans

Reem a tenu à continuer à parler à son plus jeune fils, pour l’empêcher de perdre connaissance jusqu’à ce que les secours le sortent des décombres.

Avant cette nouvelle phase du conflit, Ahmed était déjà sujet à des crises de panique et souffrait d’anxiété. Un mal-être qui remonte à l’agression israélienne contre la bande de Gaza en 2014.  Ahmed avait 4 ans à ce moment-là.

Selon sa mère, le fait d’être enterré sous les décombres a aggravé son état psychologique.

« Il se réveille la nuit, terrifié et court à travers la maison vers la porte comme s’il voulait s’échapper », relève-t-elle.

« Je rêve de bombardements toutes les nuits et je ne peux pas dormir paisiblement à cause du bruit des avions, des missiles et des obus d’artillerie », ajoute Waheed.

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Les cinq filles du couple dormaient dans l’un des couloirs lorsque tout est devenu noir.

« Nous avons entendu le bruit des pierres qui tombaient. J’ai allumé la lampe de mon téléphone et j’ai trouvé mes mains couvertes de sang », raconte Walaa, 22 ans.

« Quand j’ai mis mes mains sur mon visage, elles se sont davantage couvertes de sang. Je ne savais pas où j’étais blessée, j’étais terrifiée et je posais des questions sur mon père et ma mère. »

En plus de l’horreur vécue par la famille, celle-ci a également subi d’importantes pertes financières.

« Ma maison a été gravement endommagée et sa réparation nécessitera environ 15 000 dollars. Ma Jeep, d’une valeur estimée à 20 000 dollars, a été complètement détruite. Le laboratoire que je possède à côté de la maison a également subi des dommages évalués à 1 500 dollars », énumère Waheed.

Tous les appartements de l’immeuble ont été gravement endommagés lors de l’attaque du 3 novembre, qui a tué dix personnes dans l’immeuble voisin.

La rue entière et plusieurs magasins ont également été endommagés, car le camp d’al-Maghazi, densément peuplé, s’étend sur une superficie ne dépassant pas 0,6 kilomètre carré.

Un restaurant du quartier a été détruit et son propriétaire tué lors du bombardement.

Pour Waheed, c’est un miracle que la famille ait survécu.

« Nous avons vu la mort de nos propres yeux. Même si chaque personne à Gaza se sent ciblée, même s’il s’agit de civils, l’expérience de se retrouver piégé sous les décombres est quelque chose d’impossible à oublier. »

Traduit de l’anglais (original).

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