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Une rencontre entre les Saoudiens et le Hezbollah a permis le cessez-le-feu au Yémen et la démission de Hadi

Exclusif : une délégation saoudienne a rencontré le secrétaire général adjoint du Hezbollah, Naim Qassem, à Beyrouth en mars, lorsque les discussions directes avec les Houthis ont échoué
Le secrétaire général adjoint du Hezbollah libanais, le cheikh Naim Qassem (Reuters)
Le secrétaire général adjoint du Hezbollah libanais, le cheikh Naim Qassem (Reuters)

Une rencontre secrète entre une délégation saoudienne et le Hezbollah au Liban a ouvert la voie à un cessez-le-feu au Yémen, conclu le 2 avril 2022, ont rapporté plusieurs sources à Middle East Eye.

Cette rencontre est extraordinaire car les deux côtés se voient comme des ennemis jurés. Par ailleurs, alors qu’il est notoirement connu que Houthis au Yémen sont entraînés et soutenus par l’organisation libanaise, Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, a plusieurs fois nié agir au nom des Houthis. 

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Lors de cette réunion fin mars, Naim Qassem, l’adjoint de Nasrallah, a présenté aux Saoudiens une liste de demandes posant les conditions pour un cessez-le-feu immédiat au Yémen.

Parmi celles-ci figuraient l’éviction du président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi, la levée du blocus sur le port clé de Hodeida et l’aéroport de Sanaa ainsi qu’un échange de prisonniers, pas tous Yéménites, mais dont des chiites emprisonnées à Bahreïn et dans d’autres pays du Golfe.

Trois semaines plus tard, la plupart des exigences ont été acceptées, bien que tous les prisonniers sur la liste de Qassem n’aient pas été libérés.

La démission de Hadi et le transfert de ses pouvoirs à un conseil présidentiel, le 7 avril, semblaient se produire à brûle-pourpoint après huit années de soutien saoudien au président yéménite. 

Le Wall Street Journal a ensuite signalé que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane l’avait contraint à démissionner et l’avait placé en résidence surveillée.

Mais jusqu’à aujourd’hui, les motivations du dirigeant saoudien de facto restaient obscures, sinon un souhait de s’extirper d’une intervention militaire inefficace et coûteuse contre les Houthis qui dure depuis sept ans, l’une de ses premières mesures en tant que ministre de la Défense.

Menaces de boycott des négociations

Selon l’ONU, fin 2021, le conflit au Yémen a tué 380 000 personnes. On estime à 4 millions le nombre de déplacés et 80 % des 29 millions de Yéménites dépendent de l’aide humanitaire.

En juin, l’accord de cessez-le-feu a été prolongé. Mais tout cela aurait pu échouer lorsque les Houthis ont continué leurs opérations militaires autour de la ville de Marib dans le centre du Yémen et dans la province environnante, précise une source du Golfe.

Des partisans des Houthis au Yémen lors d’un rassemblement à Sanaa, le 3 juin, au lendemain d’un accord entre les belligérants renouvelant le cessez-le-feu (AFP)
Des partisans des Houthis au Yémen lors d’un rassemblement à Sanaa, le 3 juin, au lendemain d’un accord entre les belligérants renouvelant le cessez-le-feu (AFP)

En réaction, a-t-on confié à MEE, l’Arabie saoudite a menacé de boycotter la prochaine session de négociations entre les délégations saoudienne et iranienne, qui se tiennent à Bagdad par intermittence depuis des mois pour traiter des sujets régionaux.

Dimanche 26 juin, le Premier ministre irakien Moustafa al-Kazimi qui agissait en tant que médiateur dans les négociations entre les Saoudiens et les Iraniens, s’est rendu dans les deux pays et a soulevé le problème avec le président iranien Ebrahim Raïssi.

Un communiqué publié par le bureau du Premier ministre irakien dimanche indiquait : « Lors de cette rencontre, ils ont souligné le soutien à l’armistice au Yémen et le renforcement des efforts pour établir la paix là-bas, en soulignant que toute solution pacifique à cette crise doit refléter la volonté des Yéménites. »

Diverses sources dans le Golfe et au-delà ont confirmé la rencontre au Liban. Approché par MEE, le Hezbollah n’a pas répondu. Mais une source ayant accès aux plus hauts échelons de l’organisation a confirmé que « les Saoudiens ont bel et bien approché le Hezbollah ».

L’ambassade saoudienne à Londres n’a pas répondu à nos sollicitations.

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Cette extraordinaire initiative diplomatique a commencé lors d’une de rencontre en face-à-face entre les Iraniens et les Saoudiens à Bagdad.

Une source du Golfe raconte à MEE : « Les Saoudiens ont demandé aux Iraniens d’ouvrir le dossier yéménite. Les Iraniens ont insisté sur le fait que le Yémen était un État indépendant et qu’ils n’intervenaient pas dans les affaires yéménites. Le camp iranien a affirmé que la seule chose qu’il pouvait faire était d’adoucir les relations. »

Selon cette source, les Saoudiens ont répondu que tout adoucissement des relations ne pourrait se faire qu’avec une rencontre directe entre eux et les Houthis.

Ici, des divergences apparaissent. Selon les sources du Golfe, les Iraniens ont encouragé les deux camps à se rencontrer mais les Houthis ont rejeté cette idée.

Les sources proches du Hezbollah disent le contraire. « Les Saoudiens ne voulaient pas les [rencontrer] parce qu’ils ne veulent pas reconnaître Ansar Allah », rapporte une source proche du Hezbollah, utilisant le nom officiel du mouvement houthi.

Les Saoudiens « ont claqué la porte »

Le camp iranien a ensuite proposé Nasrallah en tant que porte-parole. « Les Saoudiens étaient réticents. Ils ont claqué la porte, puis ils se sont faits à l’idée et ont envoyé une délégation au Liban », déclare une source du Golfe.

À l’arrivée à Beyrouth, il a été annoncé à la délégation saoudienne qu’elle rencontrerait Qassem, pas Nasrallah lui-même. Ils ont rejeté cette proposition et sont retournés immédiatement à leur hôtel. Le lendemain, ils ont été contactés par le Hezbollah et se sont laissé persuader de rencontrer Qassem.

Cette rencontre a duré 25 minutes, ce qui est peu étant donné la complexité du sujet abordé.

La délégation saoudienne a commencé par les répliques diplomatiques standards au Moyen-Orient : « Nous sommes tous Arabes, tous frères, nous devons nous entendre. » Déclaration balayée par Qassem qui a sorti un papier et l’a présenté aux Saoudiens.

Sur celui-ci figurait une dizaine de demandes, à commencer par la démission de Hadi et l’installation d’un conseil présidentiel élargi, se poursuivant avec un échange de prisonniers et la levée du siège sur Hodeida et l’aéroport de Sanaa.

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« Les Saoudiens ont demandé à Qassem quelle serait la réponse des Houthis si ces demandes étaient acceptées. Qassem a répondu : “Quand vous aurez compris que nous sommes tout à fait sérieux, il y aura un cessez-le-feu immédiat” », relate une source au fait de cette rencontre à MEE.

Trois semaines plus tard, les Saoudiens ont commencé à mettre en œuvre ces mesures et les Houthis ont annoncé un cessez-le-feu.

Bien que les bateaux aient commencé à accoster à Hodeida et que le trafic aérien ait  repris à l’aéroport de Sanaa, les Houthis ont continué à bloquer les routes d’approvisionnement des forces pro-gouvernement à Marib et dans la province méridionale de Ta’izz.

Les Saoudiens ont menacé une fois de plus d’annuler leur rencontre avec les Iraniens à Bagdad si les Houthis « ne répondaient pas positivement », ce qui a engendré la visite de Kazimi à Téhéran.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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